Comment produire des films en Suisse
Les productions cinématographiques suisses sont souvent des coproductions internationales. Lors des Journées du film de Soleure, swissinfo.ch a rencontré Luc Peter, réalisateur et fondateur d'Intermezzo films, une société de production qui s'est présentée à Soleure avec deux films tournés aux Etats-Unis.
Parler de cinéma suisse ne signifie pas automatiquement parler d’histoires et de personnages suisses. Ceci parce que les films réalisés dans les quatre régions linguistiques du pays sont souvent des coproductions internationales, mais également parce que les cinéastes et producteurs helvétiques aiment explorer des réalités plus lointaines.
Production cinématographique suisse
Cet article fait partie d’une série de portraits de producteurs de films suisses – dont certains sont également réalisateurs – qui mettent en lumière les défis et les passions qui font vivre l’industrie cinématographique suisse.
Le programme de la 54ème édition des Journées de SoleureLien externe l’a confirmé. À Soleure, nous avons rencontré Luc Peter, réalisateur et fondateur de la maison de production romande Intermezzo filmsLien externe, qui figure parmi les plus importantes de Suisse, et qui a présenté dans le cadre du festival deux films tournés aux Etats-Unis. A Bright Light. Karen and the Process, réalisé par Emmanuelle Antille, est un documentaire poétique et visionnaire dédié à la chanteuse culte Karen Dalton. My Little one, réalisé par Frédéric Choffat et Julie Gilbert, est un film de fiction ambitieux dont l’histoire se déroule dans le désert de l’Arizona, plus précisément dans une réserve de la tribu indienne des Navajos.
swissinfo.ch: Parlez-nous d’Intermezzo films…
Luc Peter: Intermezzo films a été fondée en 1993 par Vincent Pluss et moi-même. Comme réalisateurs, nous avions beaucoup de difficultés à trouver des producteurs disposés à prendre le temps nécessaire pour développer des projets un peu différents et novateurs. Nous avons donc commencé à produire nos propres films. Après quelques années, nous avons commencé à travailler également avec d’autres réalisateurs qui nous proposaient des projets intéressants. Aujourd’hui, la société appartient à un collectif de cinq réalisateurs, dont deux s’occupent également de production: Anne Deluz et moi-même.
Quel genre de films produisez-vous?
Nous choisissons en premier lieu des projets qui nous tiennent à cœur, car ceux-ci peuvent durer jusqu’à cinq ou six ans. Et puis, bien sûr, l’estime pour le réalisateur ou la réalisatrice a un certain poids dans la décision. Personnellement, je suis intéressé par les documentaires qui permettent la rencontre de personnes, de certaines réalités et la possibilité de traiter de thèmes politiques ou sociaux. En tant que société de production, nous nous occupons aussi de fictions.
Quelles sont vos sources de financement?
En Suisse romande, il existe trois grands bailleurs de fonds: l’Office fédéral de la culture, le fonds régional appelé Cinéforom, et la télévision publique. Ils fournissent plus ou moins les trois quarts des fonds. Il y a ensuite quelques fondations et les coproductions.
Quelle somme peut-on obtenir pour une production?
Il est difficile d’obtenir de l’argent des trois grands bailleurs de fonds à la fois. C’est pourquoi de nombreux projets restent sous-financés. Un film de fiction obtient en général, mais pas toujours, un financement qui peut aller d’un million à deux millions de francs. Ce n’est pas beaucoup, si l’on pense qu’en France par exemple, la somme peut atteindre dix millions. Pour les documentaires, on reçoit proportionnellement plus d’argent, si on prend en compte l’effort de production nécessaire: de 250’000 à 500’000 francs. Néanmoins, après avoir payé tous les frais du projet, il ne reste plus beaucoup pour le réalisateur et pour le producteur.
Être à la fois producteur et réalisateur n’offre-t-il pas un avantage économique?
Oui, bien sûr. En étant également producteur, on a tendance à investir beaucoup dans le projet, et à sacrifier l’aspect économique. On préférera ainsi consacrer deux semaines de plus au montage pour obtenir un résultat artistique meilleur, plutôt que d’empocher un salaire décent. Il y a aussi un avantage artistique: en tant que producteur, on a davantage conscience des difficultés de réalisation d’un projet.
Comment avez-vous choisi les deux films que vous avez présentés à Soleure?
My Little One est un projet qui tenait à cœur à Anne Deluz. Elle connaissait déjà les réalisateurs, et le sujet lui a plu dès le début. En tant que productrice, il était intéressant pour elle de contribuer à donner forme au film à travers le choix d’acteurs de premier plan et en intervenant dans le processus d’écriture du scénario.
Bright Lights est un projet atypique pour moi en tant que producteur: la réalisatrice Emmanuelle Antille est venue vers moi après avoir terminé le tournage. Elle a fait ce choix parce qu’elle voulait avoir la plus grande autonomie possible dans la première phase du film. Après le tournage, elle a en revanche demandé des conseils pour le montage et une aide pour la recherche de soutiens financiers.
… et donc normalement, comment le producteur intervient-il dans le processus créatif?
Je m’occupe du film depuis l’écriture du scénario, qui est un moment extrêmement important et très créatif. Pendant le tournage, en revanche, je n’interviens pas, je ne veux pas interférer dans ce processus qui peut être aussi intime et fragile. En phase de montage, je m’occupe à nouveau du projet. Je vois passer entre cinq et dix versions du même film avant le résultat final, et j’interviens beaucoup sur chacune des versions.
Ces deux films, et d’autres que vous avez produits par le passé, parlent de réalités périphériques, presque de frontière, aux Etats-Unis. Un pur hasard?
Nous sommes très attirés par les Etats-Unis. C’est un pays riche, plein de contrastes. Les personnes y sont très ouvertes et n’ont pas peur de poursuivre leurs propres rêves. Pour un documentariste, c’est intéressant et très stimulant, car il y a peu d’autocensure, et les personnes sont prêtes à se mettre à nu devant la caméra. Les espaces aussi sont extraordinaires, extrêmement cinématographiques.
Parlons de la circulation et de la distribution de ces deux films…
Notre premier objectif est toujours de sortir dans les salles de cinéma. Nous recherchons également la collaboration avec la télévision pour pouvoir promouvoir le film de la meilleure façon possible. Par ailleurs, nos œuvres ont une forte ambition artistique, et il est donc fondamental de les faire circuler à l’intérieur des festivals. La première année, nous nous engageons beaucoup afin que le film arrive jusque dans les festivals internationaux les plus importants. Outre leur rôle artistique, ils sont également des acteurs commerciaux. Et il n’est pas rare de trouver des acquéreurs justement pendant ce genre de manifestations.
Traduit de l’italien par Barbara Knopf
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