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Aux arènes d’Avenches, un opéra toujours miraculeux

AVenches Opera
«Vive la musique qui tombe du ciel," chante Carmen à Avenches, sous un ciel sans pluie. Keystone

Faire vivre une “petite Vérone” au nord des Alpes, sans subventions et dans une région au climat pas vraiment propice, c'est le défi qu'a relevé avec succès le Festival Avenches Opéra. La manifestation célèbre cette année sa 20e édition et propose “Carmen” dans son arène romaine.


«L’amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser… » Le cri passionné de Carmen monte dans le ciel d’Avenches durant une nuit tiède du début de l’été. Dans l’arène où s’affrontaient jadis fauves et gladiateurs, l’insolente gitane qui séduit et ridiculise ses prétendants, va, elle aussi, au-devant de son tragique destin. Devant 5000 spectateurs.

Carmen

Situé à Séville, CarmenLien externe est un opéra en quatre actes composé par le musicien français Georges Bizet et mis en scène pour la première fois à Paris en 1875.

Les premières soirées n’avaient pas plu et la critique avait trouvé l’œuvre immorale. Il faudra quelques modifications au livret original – dues à Ernest Guiraud, ami du compositeur – et l’excellent accueil réservé à l’opéra dans d’autres pays pour que le chef d’œuvre de Georges Bizet devienne l’une des œuvres les plus jouées au monde. 

Sur une estrade grise qui semble faite de ciment, la scène est sobre. Ce qui fait ressortir davantage encore les couleurs des costumes, les gestes des solistes et les mouvements du chœur dans le grand décor de l’amphithéâtre romain. Carmen, comme toujours, s’enflamme et fascine. Elle est campée par la mezzosoprano française Béatrice Uria Monzon, considérée comme une des meilleures interprètes au monde dans ce rôle et par la grande soprano suisse Noëmi Nadelmann qui foule les planches d’Avenches pour la troisième fois.

«J’ai joué dans plusieurs opéras à ciel ouvert. Mais Avenches est pour moi une expérience unique, car l’on chante sans micros. C’est fantastique d’entendre à quel point la voix remplit cette arène et revient jusqu’à soi. Ici, on peut jongler avec l’acoustique ou chanter un passage à voix basse. On entend tout. Puis quand la lune se lève, avec les derniers chants des oiseaux, cela devient magique.»

Un âge d’or

L’amphithéâtre est le plus grand témoignage de ce que furent les fastes romains à  Avenches il y a 2000 ans. Capitale de l’Helvétie romaine, AventicumLien externe était alors un important carrefour d’échange des marchandises qui arrivaient de la Méditerranée par le Rhône et le Léman et de la Mer du Nord par le Rhin et les lacs du Haut-Plateau. A l’époque, la ville devait compter 20’000 habitants au moins. Elle n’en a plus que 3800 aujourd’hui.

Avenches
La ville romaine d’Aventicum, une aquarelle de Brigitte Gubler متحف التاريخ والأركيولوجيا بكانتون فو، لوزان

«L’amphithéâtre était beaucoup plus haut qu’aujourd’hui avec une dizaine de gradins en plus. Il pouvait accueillir jusqu’à 16’000 personnes. On y pratiquait les jeux de chasse, les combats, probablement au son de la musique », nous explique Marie-France Meylan Krause, directrice de la Fondation Pro Aventico.

Dès le 3e siècle après J-C, l’invasion des Germains met fin à la période dorée d’AvenchesLien externe. Durant les siècles qui suivent, les prestigieux monuments romains font office de carrières pour la construction de murs ou de maisons. L’amphithéâtre, lui, est enfoui sous terre, avant que ne débutent vers 1940 de grandes fouilles et la restauration des vieux vestiges. Jusque dans les années 90,  Avenches est avant tout visitée par des élèves en course d’école. 

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Les habitants font de la résistance

Puis un beau jour, l’Office du tourisme d’AvenchesLien externe reçoit un fax envoyé par un chanteur d’opéra proposant d’organiser des représentations lyriques dans l’amphithéâtre. «Au début le projet s’est heurté à la résistance de certains habitants qui le trouvaient trop grand pour le village», se souvient Léo Obertüfer, l’actuel président de la fondation Avenches Opéra.

«Les Vaudois sont méfiants, nous explique l’auteur de la proposition, Sergio Fontana, un Tessinois qui a grandi à Berne. Ils avaient peur de ces chiffres un peu élevés, ils disaient ‘les gens ne vont pas venir’ et ils continuaient à dire “et s’il pleut”… et ainsi de suite. »

L’initiative a fini par aboutir. Sergio Fontana qui a chanté comme basse dans plusieurs théâtres européens dont la Scala de Milan pendant une vingtaine d’années, trouve un orchestre, réussit à réunir un chœur et met à profit son réseau de contacts internationaux pour engager de grands solistes. En l’espace d’un an, tout est prêt pour le premier opéra, Aida, joué en 1995. Les six soirées affichent complet.

Une concurrence croissante

«Cela a été un rêve, un vrai rêve. Les gens étaient enthousiastes et disaient: nous avons réussi la première édition, l’opéra lyrique doit désormais devenir une manifestation annuelle », se souvient encore Léo Obertüfer. Le succès croît rapidement: 36’000 spectateurs la première année, 42’000 la seconde, 52’000 la troisième. Avenches devient ainsi le rendez-vous suisse de l’opéra en plein air. Plus de 80% des dépenses sont couvertes par le public, le reste par les sponsors.

La critique n’a toutefois pas toujours été tendre face aux hauts et bas des représentations d’Avenches. Mais, avec près de 750’000 spectateurs en 20 ans, le festival a relancé l’intérêt pour la musique lyrique en Suisse qui était en déclin depuis un certain temps. «L’opéra a perdu du terrain, pas seulement en Suisse mais aussi en Italie. Domenico Gaetano Donizetti en a écrit plus de 70, Giocchino Rossini une cinquantaine, Giuseppe Verdi près de 30. Aujourd’hui la plupart des gens ne connaissent pas plus de deux œuvres», estime Sergio Fontana.

Le festival est aussi parvenu – jusqu’à maintenant – à surmonter les épreuves du climat, peu clément en cette année du 20e anniversaire.

Festival d’Avenches

Le Festival Avenches OpéraLien externe se termine le 12 juillet.

Dans l’arène romaine qui peut accueillir jusqu’à 6000 personnes, plusieurs grands opéras ont été joués dont Aida, Nabucco, La Traviata, Turandot, Le Barbier de Séville, Rigoletto e La Flûte enchantée.

Le festival est financé par les recettes des entrées à raison de 80%, le reste étant versé par des sponsors. 

Davantage que le mauvais temps, Avenches Opéra souffre depuis quelques années d’une concurrence croissante. «Les festivals à ciel ouvert sont de plus en plus nombreux, pas seulement de musique lyrique mais aussi de comédie musicale ou autre genre de spectacles, nous devons donc partager le gâteau», observe Léo Obertüfer.

Un petit miracle

Malgré une baisse du public, la “petite Vérone” reste une manne pour le village vaudois. «Avenches a connu un bel essor touristique. De nombreux spectateurs y arrivent dans la journée. Ils ont donc le loisir de découvrir les témoignages romains et l’architecture médiévale du lieu», ajoute le président de la fondation. Des centaines d’habitants, principalement des bénévoles, collaborent à l’organisation du festival.

Pour se battre contre la concurrence, le festival table avant tout sur la qualité. Eric Vigié, directeur artistique de la manifestation depuis 2010, a conféré un statut professionnel à presque toutes les activités, du chœur à la musique en passant par le travail en coulisses. De Lausanne où pendant toute l’année, il dirige l’Opéra municipalLien externe, chaque été il emmène avec lui à  Avenches des musiciens, des choristes et des scénographes.

«Chaque année, l’opéra d’Avenches représente un grand défi. Il s’agit d’animer une très grande scène, tout en disposant de peu de moyens techniques par rapport à une salle de théâtre. Il faut avoir des voix très puissantes qui atteignent tous les spectateurs. Il y a aussi les imprévus, comme le vent, le pollen, les écarts d’humidité et de température. Lorsque tout fonctionne, c’est un petit miracle à chaque fois », explique encore Eric Vigié.

Avenches Opera (1)
La mort tragique de Carmen (Noëmi Nadelmann), poignardée par Don José (Giancarlo Monsalve) avenchesopera.ch

Son naturel

Pour célébrer la 20e édition du festival, Eric Vigié met en scène une Carmen qui vit dans les années 60, vers la fin de l’ère du dictateur Franco. Donc près d’un siècle après l’époque à laquelle Georges Bizet a écrit son célèbre opéra.

«J’ai voulu éviter de tomber dans le cliché du folklore espagnol, avec ses castagnettes et tous ses autres lieux communs, pour mettre avant tout en évidence la qualité des voix et des instruments qui peuvent être pleinement appréciés dans cet amphithéâtre. L’acoustique dans l’arène d’Avenches est très pure. Nous n’avons pas besoin de micros, ni d’un quelconque autre moyen de sonorisation. Le son est naturel comme il doit l’être dans l’art lyrique», conclut le directeur artistique.

Traduction de l’italien, Gemma d’Urso

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