Avec le coronavirus, la Terre ne s’est pas arrêtée de tourner, ni le dessinateur de dessiner
Des livres sur le coronavirus, il y en aura beaucoup ces prochains mois. Et même ces prochaines années. En attendant, le Vaudois Valott nous livre des dessins. Pertinents et savoureux.
C’est comme le 11 septembre 2001: tout le monde se souviendra de ce qu’il faisait au printemps 2020. En plus de nos souvenirs, la pandémie et le semi-confinement ont enrichi notre livre d’images collectif. À la mi-janvier, qui aurait vu dans une petite boule rouge hérissée de ventouses, un masque chirurgical ou un rouleau de papier hygiénique des symboles d’une époque?
Capter les symboles d’une époque, c’est un peu le travail du dessinateur de presse. Et le confinement – avec des feuilles et des crayons -, c’est un peu son état naturel. Pour autant, Jaques Vallotton, dit Valott, ne s’est pas levé un beau matin en se disant «chouette, une pandémie, je vais en faire un livre». «Je n’ai pas cet opportunisme, nous confie-t-il au téléphone. Personne ne savait combien de temps ça allait durer, et il y avait toute cette iconographie nouvelle en train d’apparaître. Alors, j’ai fait des dessins».
Et même beaucoup de dessins. Car aujourd’hui, l’artiste n’a plus besoin d’attendre son jour de parution dans tel ou tel journal. Les réseaux sociaux permettent de publier en permanence. Mais de là à faire un livre… de l’aveu de l’auteur, c’est un peu arrivé par hasard: «Mon frère Laurent, qui est ornithologue, est en train de préparer un gros bouquin, qui devrait être le livre-somme sur les oiseaux en Suisse, pour les éditions Favre. C’est lui qui m’a donné les contacts, et à ma grande surprise, ils ont accepté tout de suite – ils m’ont même laissé une très grande liberté pour tout faire moi-même: le choix des dessins, la mise en page, les textes…»
Les textes? «Ce n’était pas ma tasse de thé», précise celui que ses amis tiennent pourtant pour un incorrigible bavard. Et après une heure d’entretien – que je n’ai pas vue passer – je confirme. Incorrigible! Mais tellement passionné, érudit et amoureux de la formule, des maximes de Sacha Guitry aux dialogues de Bertrand Blier, en passant par la poésie de Brel et de Brassens.
Mais le dessinateur ne se voit pas en homme de plume. Le plus souvent, ses dessins parlent pour lui. Un cas plutôt rare dans ce milieu. «En France particulièrement, le dessin de presse, c’est le plus souvent des gags mis en images. On pourrait les dire en stand up, face à un public. C’est tellement vrai que quand un journal publie un dessin sans texte parce que le dessinateur l’a voulu comme ça, il se croit obligé d’ajouter la mention ‘sans légende’ au-dessous».
Valott s’inscrit dans une autre tradition, héritée de deux maîtres romands dont il revendique l’influence: son regretté collègue du quotidien 24Heures Raymond Burki («le Goya du dessin de presse») et l’immense Martial Leiter, maître de l’encre de Chine et pourfendeur en noir et blanc des petitesses humaines. Eux non plus n’avaient pas besoin de texte. «C’est peut-être parce qu’en Suisse, on a plusieurs langues, alors si on veut qu’un dessin soit compréhensible par tous, il vaut mieux qu’il soit visuellement fort».
Et visuellement Valott se défend pas mal. Au fil des pages du livre, mais aussi tout au long de sa carrière, on devine une vaste culture de l’image, jamais étalée pour elle-même, mais souvent suggérée en clins d’œil. Une culture qui se nourrit à toutes les sources, des comics de son enfance au cinéma de Kubrick (à qui il voue un culte absolu), en passant par les maîtres classiques. Au fil des 110 pages, on croise notamment Monet, Van Gogh, Magritte, Dali, da Vinci ou Wahrol.
Et il y a effectivement aussi des textes. «Je ne voulais pas que ça ressemble à un album de coloriages. Au départ, j’avais pensé à plusieurs humoristes suisses, mais ça ne s’est pas fait. Je les ai donc écrits moi-même». Courts et incisifs, ce sont plus des légendes de photos que de longues histoires, mais ils complètent agréablement l’ensemble.
Peut-on vraiment rire d’une pandémie? Pour Valott, la réponse va de soi: «Le rire c’est ce que l’homme a inventé pour se consoler d’être mortel. Et là, j’ai vu dès le départ qu’on n’était pas dans le truc qui allait tuer tous les enfants dès 12 ans. Entre guillemets, ça ne se présentait pas de la façon la plus catastrophique. N’oublions quand même pas que 25’000 personnes meurent de faim chaque jour dans le monde, dont un tiers d’enfants, alors qu’on connaît le vaccin contre la faim. Mais apparemment cette faim-là ne justifie pas les moyens…»
Alors, humour noir? Dessins à message? L’auteur ne revendique rien de tout cela. Et même quand il est critique, montrant du doigt l’avidité des profiteurs ou l’arrogance des puissants, Valott n’est jamais méchant. «Ce que je trouve marrant, c’est de provoquer un choc, soit visuel, soit émotionnel. Et si en plus, il peut être intellectuel, alors, j’ai atteint le Graal».
En Romandie, et même en francophonie, on ne présente plus Valott. Depuis presque quatre décennies, ses dessins participent à l’imagerie nationale. À 18 ans, son premier livre de caricatures «Swiss Monsters» est le bestseller de l’année 1985. Sa petite vache Mumu Cow; née en 1999, se retrouve sur plus de 5 millions d’objets à ce jour, et il est notamment l’auteur de «Nainconnu – le livre le plus nainportant depuis la nainvnetion de la nainprimerie».
Il a aussi dessiné la mascotte officielle du Musée olympique de Lausanne, collaboré avec Franquin, pour le dessin animé «Les Tifous», mis en couleurs plusieurs albums de Cosey, et créé, avec Bertand Lehmann, la «corporate identity» de Titeuf à la demande de son ami Zep.
De Lausanne à Yverdon, et même de Sierre à Délémont, les lecteurs de journaux le connaissent aussi pour ses caricatures dans les quotidiens 24Heures et Le Matin, et depuis peu pour ses petites vidéos de la série «Tableau Noir» sur le site internet qui sert désormais de support unique au quotidien orange.
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