Aznavour: la classe plutôt que l’émotion
Jeudi soir, après plus de deux heures de spectacle, le public neuchâtelois offrait une chaleureuse standing-ovation à Charles Aznavour. Le respect était au rendez-vous. Mais pas les frissons.
Le public de la Patinoire du Littoral, remplie à ras-bords, est debout. Acclamations, bouquets de fleurs. Aznavour en chemise, col ouvert, déguste en connaisseur, sans abuser: rapidement, les lumières de la salle s’allument, et il ne reviendra pas saluer. Le pro a fait son boulot.
Le fait qu’il s’agisse là de sa «dernière tournée» confère à l’instant une touche d’historicité. Le programme a d’ailleurs été conçu dans cet esprit-là. En ouverture, «Les émigrants», puis quatre chansons tirées de son dernier album, «Aznavour 2000». «Des chansons nouvelles avant de chanter celles d’hier, puis d’avant-hier, puis d’avant-avant-hier», comme il le précise.
Et effectivement, c’est un véritable «best of» qui défile par la suite, sur lequel Aznavour surfe avec une voix plus ferme que jamais, jouant de l’étonnante rythmique de son phrasé… «Que c’est triste Venise», «La Mamma», «Trousse chemise», «Les deux guitares», «Je m’voyais déjà», «Tu te laisses aller», «Ma fille», «Hier encore», «Il faut savoir», le très pompier «Ave Maria», «Les plaisirs démodés», «La Bohème», «Emmenez-moi»… Tout, ou presque, y passe. Un programme de rêve. Et pourtant…
Le vaste orchestre qui accompagne Charles Aznavour (13 musiciens, 2 choristes dont sa fille), dirigé par Hervé Roy, est évidemment parfait. Mais il évoque assez gravement les grands machins des émissions de variété typées seventies. Sur ses deux derniers albums, Aznavour nous avait fait croire à son goût pour le jazz. Là, il nous rappelle également qu’il n’a rien contre la guimauve sur-orchestrée.
On a évidemment du plaisir à entendre le répertoire d’Aznavour, et particulièrement certaines perles qui le couronnent: après avoir écrit «La bohème», un auteur-compositeur peut mourir heureux. Mais on ne ressent guère d’émotion, à de rares exceptions près: sobriété de «Comme ils disent», nostalgie profonde de «Non je n’ai rien oublié»…
Sur scène, Bécaud cabotine, mais déballe ses tripes. Reggiani se dévoile jusqu’à l’indécence. L’humour de Renaud traduit son malaise existentiel. Nilda Fernandez assume ses fragilités… Tous jouent, bien sûr, mais donnent également une part réelle d’eux-mêmes. Aznavour ne donne rien: il se prête au jeu du spectacle, le temps d’un récital. Sa maîtrise de soi est totale, il ne laisse rien filtrer.
Si un concert est un voyage – et c’est le cas – le spectacle de Charles Aznavour ressemble à une promenade en Bentley, sur une route bien goudronnée. Beau, mais sans surprise.
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