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Bernard Rapp et l’art de l’ellipse

Bernard Rapp, dans un décor genevois par hasard très "assiette anglaise"! Bernard Rapp

A Genève, dans le cadre de «Cinéma tout écran», le public a pu découvrir «L'Héritière» du journaliste français Bernard Rapp. Bon moment.

Juliette, une jeune femme que rien ou pas grand chose ne prédestine à cela, se retrouve brutalement PDG d’une grande entreprise agroalimentaire. Cet étrange cadeau, elle le doit à son père, qu’elle ne connaissait pas. Tout au plus avait-elle entrevu quelques temps auparavant un vieux monsieur, qui s’était intéressé à elle, dans le grand hôtel où elle travaillait.

C’est un conte de fée que nous raconte Bernard Rapp, mais un conte où Juliette/Blanche-Neige est tout sauf naïve: c’est son intelligence et sa volonté qui lui feront gagner son challenge, malgré les embûches semées par les cadres arrogants et le demi-frère buté dont elle a hérité avec l’entreprise.

C’est bien écrit et bien réalisé, drôle et sensible. Des qualités dues au jeu des comédiens (en particulier la remarquable Géraldine Pailhas), mais aussi à la finesse d’approche de Bernard Rapp, scénariste et réalisateur. On est loin des téléfilms souvent stéréotypés qui font le quotidien de nos soirées télévisuelles.

Leçon de cinéma

Les faiblesses d’un téléfilm, on les impute souvent à la brièveté du tournage inhérente au genre. Pourtant «L’héritière» n’a pas dérogé à la règle: 22 jours, ce n’est pas beaucoup. Mais «je ne voulais pas tomber dans le filmage pour la télévision», dit Bernard Rapp.

C’est-à-dire? «Le cinéma, c’est l’art de l’ellipse. L’ellipse, c’est du temps qui disparaît de l’image. On passe d’une action à une autre sans être obligé de montrer ce qui s’est passé entre deux. Si on tourne bien, l’ellipse relève de l’évidence, on ne se pose pas la question. Mais c’est un gros travail de mise en place».

«A la télévision, pour arriver aux 90 minutes nécessaires, on a tendance à remplir les ellipses avec du rien. Le rien, c’est quelqu’un qui marche dans un couloir, qui s’arrête, ouvre une porte, et on le récupère en contrechamps quand il entre. Cela prend 50 secondes et je trouve ça d’un ennui absolu.»

Du vite fait à l’éternité

Pour le journaliste, la différence fondamentale entre le cinéma et la télévision, c’est le rapport au temps, «au sens le plus large du terme». Alors qu’un film de cinéma est long à monter, long à tourner, et peut être revu 50 ans plus tard, un film de télévision, «c’est vite écrit, vite tourné, vite monté, vite montré, et vite oublié».

Un constat qui pourrait entraîner une certaine frustration… Pas pour Rapp, qui a le goût du paradoxe: «Non, ce sont des questions qu’il ne faut pas se poser. Si on est un peu artiste, on ne peut pas travailler autrement que pour l’éternité… sinon on est un boutiquier.»

«L’Héritière» sera en principe diffusé sur la Télévision suisse romande, puis sur France 3, en décembre prochain. Amis du ‘new management’, si vous voulez savoir pourquoi il est mieux d’innover que de supprimer, consultez la grille des programmes et ne ratez pas le nouvel opus de Bernard Rapp, dont c’est le 3e long-métrage («Tiré à part», 1996, et «Une affaire de goût», 1999).

Bernard Léchot

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