Carrément Souchon
Alain Souchon, artiste discrètement immense. Voyage à travers 35 ans de perles pas toujours attendues, souvent ironiques, parfois rageuses, toujours justes dans le ton et si discrètement drôles. Et ce dimanche au Paléo, il y avait aussi l’humoriste-imitateur Yann Lambiel. Un autre registre.
Souchon au Paléo. Y’a d’la rumba dans l’air ?…. Pas vraiment. Ce soir, les grandes filles bleu marine oublieront les banquettes de moleskine. Le ton est plutôt à Carrément méchant, jamais content, même si ce titre n’est pas au répertoire. Pas plus que l’autre d’ailleurs.
Mais le répertoire est si vaste. Et ceux qui attendent les chansons apparemment incontournables resteront un peu sur leur faim.
Il commence par On s’aime pas, enchaîné sur Les regrets. Derrière le cynique en dentelles, le dandy désabusé aux yeux tristes qui fondaient devant la torride Isabelle Adjani dans l’Eté meurtrier, il y a aussi un homme en colère.
Mais méchant, ça non. «C’est la troisième fois que je viens au Paléo, et vous êtes à chaque fois plus beaux», lance-t-il au public ravi. Chemise blanche à col remonté, tel un Beethoven hirsute, il a choisi pour cette tournée un registre plutôt sombre, engagé, «concerned» comme diraient les Anglo-Saxons.
Pilier depuis des années des tournées des Enfoirés, au profit des Restos du Cœur (pour les sans abri), il parle de ces cassés de la vie que l’on croise dans toutes les villes d’Europe, de ces gens «qui sont tombés et qui se sont fait mal». Et c’est l’occasion de se moquer allègrement, sur un air de calypso, de ceux qui se ménagent leurs Parachutes dorés.
Couleurs
Tonalité blues pour aller Regarder sous les jupes des filles, rock pour Passer notre amour à la machine, romantique triste comme dans les nouvelles pour dames de Somerset Maugham, mais aussi funky, jazzy… Les teintes se déclinent en finesse et en puissance par un band impeccable, avec notamment Michel-Yves Kochmann aux guitares. transfuge du tout aussi impeccable band de La Nouvelle Star, le télé-crochet de M6.
A un moment, Souchon prend une guitare. Applaudissements. «Il y a des connaisseurs, ils savent que je suis un excellent guitariste». Il est vrai que les arpèges de Rive Gauche, c’est assez costaud. Et ça balance comme le reste.
Tonalité plus sombre dans Et si en plus y’a personne, réflexions sans trop d’illusions sur la nature humaine.
Si toutes les balles traçantes
Toutes les armes de poing
Toutes les femmes ignorantes
Ces enfants orphelins
Si ces vies qui chavirent
Ces yeux mouillés
Ce n’était que le vieux plaisir
De zigouiller
Mots
Sur les trois derniers titres, les paroles défilent sur les écrans. Encore jamais vu ça. Ce qui pourrait paraître prétentieux de la part de bien des autres semble ici sympa de celle d’une des grandes plumes de la chanson française. Et efficace, quand on a un peu oublié les mots.
Ces mots qui même déclamés seraient déjà de la musique. Tant la collaboration avec Laurent Voulzy, à l’écriture musicale très pop et rythmiquement exigeante a amené Souchon à inventer, comme il le dit lui-même, un style saccadé, quasiment télégraphique.
Pour Foules Sentimentales toutefois, ce karaoké n’aurait pas été nécessaire. Sous les nuages qui n’auront donné que quelques gouttes, vingt mille poitrines au bas mot reprennent entre deux phrases bien sonnées une des plus belles allitérations de la chanson française:
On nous prend, faut pas déconner,
dès qu’on est né,
pour des cons alors qu’on est…
Sentimentale, la foule aura encore droit à… allez, on ne résiste pas au plaisir d’une autre petite citation.
Il a tourné sa vie dans tous les sens
Pour savoir si ça avait un sens l’existence
Il a demandé leur avis à des tas de gens ravis
Ravis, ravis, de donner leur avis sur la vie
Il a traversé les vapeurs des derviches tourneurs
Des haschich fumeurs et il a dit…
Vous savez, les mains éblouies et les deux jolis petits seins de mon amie. Et bien sûr, encore J’ai dix ans («ce n’est pas une chanson, c’est un souvenir !»), avant Rame, le plus beau canon de la chanson française.
La soupe est servie…
Souchon n’a pas fini son set que Yann Lambiel est sous le chapiteau. Il y a quelques années, Jamel, puis Gad Elmaleh avaient investi la Grande Scène. Mais il est vrai que le registre du Valaisan est plus régional.
Ceux qui ne conçoivent pas un dimanche sans La Soupe, l’émission satirique de la Radio Suisse Romande dont il est un pilier depuis dix ans connaissent tous les personnages.
Mais ça marche. Ici comme sur les ondes. Un Chapiteau plus que débordant glousse de plaisir à entendre brocarder ses ministres. Moritz (Leuenberger) l’endormi, Hans-Ruedi (Merz) le simplet, Doris (Leuthard) la présidente un peu tarte. Et bien sûr, l’inénarrable Daniel Brélaz, imposant maire de Lausanne à la voix de fausset.
Qui trop embrasse…
Mais bon, avec tout ça et quelques autres, on est encore loin des 110 voix différentes annoncées dans le programme (50 suisses et 60 internationales). C’est que plus de la moitié vont venir dans les 20 dernières minutes, qui voient l’imitateur revisiter 80 ans de chanson, essentiellement française, mais aussi rock.
Il n’en manque pas un, de Félix Mayole à Mika, en passant par Chevalier, Trenet, Bécaud, Brassens, Gainsbourg, Mike Brant, Johnny, Souchon, Goldman, mais aussi Queen, les Stones, les Beatles, Elton John…
Ici, c’est l’occasion de saluer la performance du band: Sandrine Viglino aux claviers, Florent Bernheim aux guitares, Fabien Iannone à la basse et Marc-Olivier Savoy à la batterie exécutent tous ces extraits avec une précision folle.
Quant au chanteur, sa performance est certes globalement bluffante, mais quand même inégale. S’il nous fait croire sans peine à son Montand, son Fernandel, son Michel Berger ou son Alain Morisod (une phrase à la trompette), Yann Lambiel a du mal à entrer dans certains costards qui taillent un peu grand pour lui. Ray Charles, James Brown ou Michael Jackson, c’est quand même du gros calibre.
Et finalement, tant de virtuosité étalée et revendiquée finit par lasser. Qui trop embrasse, mal étreint. Lorsque Laurent Gerra se lance dans un exercice similaire, ses choix sont nettement moins boulimiques, mais l’émotion s’installe et quand il arrive à Aznavour, on pleure.
Ici, on est simplement soufflé…
Marc-André Miserez, swissinfo.ch au Paléo
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