Ces bandes originales qu’on n’oublie pas

Ennio Morricone: "aucune musique ne sauvera un film médiocre." www.morricone.it

De passage à Locarno, Ennio Morricone a évoqué son métier avec le public dans le cadre d’un débat sur la musique de film.

Rencontre avec une légende vivante, un compositeur qui a collaboré avec les plus grands: Leone, Pasolini, Bertolucci, etc.

«Bach composait une œuvre par semaine. Ensuite, il la dirigeait encore à l’église le dimanche. C’était son contrat. Face à lui, je suis un compositeur au chômage!»

Propos d’Ennio Morricone. Et pourtant… Que serait «Il était une fois en Amérique» sans sa musique? De plus, Ennio Morricone bat tous les records de productivité, avec plus de 400 compositions.

swissinfo: Quelle est la différence majeure entre la composition autonome et la composition d’une bande originale de film?

Ennio Morricone: J’écris une «musique absolue», appelons-la ainsi, dans le sens où elle n’est pas écrite avec les conditions que l’on impose habituellement dans le cinéma. Un compositeur peut se libérer de ces contraintes en imposant sa personnalité, pour garder son autonomie dans la création.

Ce qui est magique dans la composition pour le cinéma, c’est l’échange avec le réalisateur. Je lui fais une proposition. Ensuite, il me demande peut-être quelques changements… Parfois, je dois avouer que ça peut m’énerver un peu!

Mais la volonté de ne pas trahir le réalisateur l’emporte. Et finalement le résultat peut se révéler surprenant. C’est un exercice extraordinaire.

swissinfo: Au soir de l’ouverture du festival, vous étiez sur la Piazza Grande pour la projection de «The Band Wagon»… Quelles ont été vos impressions?

E. M.: Bon… Je n’aime pas les comédies musicales. Un acteur qui se met à chanter tout d’un coup, comme ça… je ne comprends pas.

Mais, à l’issue de la projection, je me suis dit que je devrais revoir mon opinion, laisser tomber ce préjugé. Parce que ce film qui a plus de cinquante ans m’a beaucoup plu. Je l’ai trouvé extraordinaire, comme «Chicago» ou «Moulin Rouge» d’ailleurs.

Un kitsch phénoménal, mais abouti. On veut miser sur le kitsch? Bien! Alors… que ce soit vraiment kitsch et courageux!

swissinfo: Que pensez-vous des clips-vidéo? Ont-ils influencé la manière de concevoir la colonne sonore des films?

E. M.: C’est l’industrie du disque qui s’invente des solutions pour séduire le public. Quelquefois, le résultat est magnifique. Quelquefois, cela crée seulement une forme de confusion.

Souvent, tout va trop vite. Certains films, comme Terminator, ne laissent pas un seul instant au spectateur pour respirer et réfléchir.

«Chicago», par exemple, a aussi un rythme soutenu, mais il y a de la substance.

swissinfo: Chacun se souvient des bandes originales que vous avez composées pour les westerns de Sergio Leone… Des succès. Quel est votre secret?

E. M.: J’ai toujours essayé de récupérer des sons de la vie. Le marteau, la cloche, etc. dans le film «Pour une poignée de dollars», par exemple. Ou encore, pour «Le Bon, la Brute et le Truand», je me suis inspiré du cri du coyote. Parce qu’il me semblait que cela soulignait le côté sauvage du western.

Et Ennio Morricone se met alors à entonner la célèbre mélodie… Quatre ou cinq notes et on est immédiatement replongé dans les images du film. C’est sans doute ça la magie. Quand la musique et les images se lient spontanément.

Parce que comme le souligne Ennio Morricone, un film de valeur mérite une musique extraordinaire. Mais aucune musique ne sauvera jamais un film médiocre.

swissinfo, Raffaella Rossello, Locarno
(Adaptation: Alexandra Richard)