Christoph Marthaler, fin d’un règne contesté
Suite à une longue polémique, le directeur artistique du Schauspielhaus de Zurich quitte ses fonctions fin juin.
Metteur en scène alémanique brillant, il n’aura pas eu le temps d’inscrire son oeuvre dans la durée pour lui donner pleinement son sens.
Jamais artiste suisse n’a fait couler autant d’encre, aussi bien dans son pays qu’à l’étranger. C’est que l’artiste en question n’est pas n’importe qui.
Il s’agit de Christoph Marthaler (52 ans), metteur en scène de réputation internationale, homme de théâtre au langage inventif, musicien aussi, à l’écoute des rythmes de la vie moderne, et directeur sortant du Schauspielhaus de Zurich.
Sortant? Le mot est plutôt inapproprié ici. Car pour «sortir», Marthaler n’a pas pu attendre la fin de son mandat, prévue pour 2005. Il est «chassé» de la vénérable institution zurichoise. Sa faute? Avoir été l’audacieux novateur de la scène alémanique la plus en vue.
«Ici, on n’aime pas les têtes qui dépassent». Amer constat formulé souvent par les grands artistes suisses. Victimes, la plupart du temps, d’un verdict qui sanctionne l’originalité de leurs oeuvres supposées inaccessibles au grand public, ils font souvent les frais du célèbre dicton: «Nul n’est prophète dans son pays».
Et ce n’était certainement pas l’anticonformiste Marthaler qui allait faire exception au dicton.
Zurich à la fête
Lorsque le metteur en scène arrive à la tête du Schauspielhaus en 2000, Zurich est à la fête. Enfin, l’enfant du pays va pouvoir injecter du sang neuf à une institution qui s’enfonce dans le provincialisme. Vénéré en Allemagne où il a travaillé pour les théâtres les plus prestigieux, encensé en France où son talent éblouit presse et public, Marthaler impose vite sa marque à Zurich.
En charge de l’ancienne salle du Pfauen et du nouveau Schiffbau construit pour lui, sa marge de manœuvre reste grande. Il n’hésite pas à écrire et monter des spectacles satiriques qui mettent en cause la léthargie suisse face aux changements économiques et politiques de notre époque.
Mieux (ou pire, c’est selon), il invite dans son théâtre des metteurs en scène avant-gardistes, comme Christoph Schlingensief, jugé provocateur par quelques esprits zurichois austères et chagrins.
Bref, Marthaler agace avec ses programmations qui ébranlent les certitudes morales et esthétiques. Une partie du public se met à fuir son théâtre; les abonnements se réduisent et la polémique enfle.
Conflit ouvert
En 2002, Marthaler est limogé par le Conseil d’administration du Shauspielhaus sous le prétexte de «déficit de spectateurs» entraînant un déficit budgétaire.
S’élèvent alors des voix d’artistes de toute l’Europe, indignés par cette décision outrancière. «Comment, le Schauspielhaus serait-il trop cher pour la ville la plus riche de Suisse et l’une des plus aisées au monde?», se demande un journaliste révolté.
La polémique se calme mais pour reprendre de plus belle en 2003. Elle sera alors fatale à Marthaler qui quitte donc ses fonctions à la fin du mois de juin. C’est l’Allemand Matthias Hartmann qui le remplacera dès 2005.
Quatre ans auront été largement insuffisants pour Marthaler, dont l’œuvre a besoin de s’épanouir dans la durée pour trouver son sens.
Car le metteur en scène a une vision de l’Histoire. Celle de l’Europe en général et de la Suisse en particulier. En témoignent ses nombreuses créations dont on citera les plus récentes: «La Mort de Danton» (pièce de Georg Büchner sur la Révolution française) et «Groundings» (spectacle corrosif sur la déroute de Swissair).
swissinfo, Ghania Adamo
Christoph Marthaler est né en 1951 à Zurich.
Début de carrière à Zurich, puis longue étape allemande.
Il travaille notamment à Berlin et à Hambourg.
Il obtient de nombreuses distinctions, dont le Europäischer Theaterpreis.
Septembre 2000: il prend la direction du Schauspielhaus de Zurich.
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