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Corto à Locarno

Corto, énigmatique, nécessairement énigmatique... Image tirée du film

Le héros créé par Hugo Pratt a beaucoup roulé sa bosse. Mais c'est à Locarno que, pour la première fois au monde, le public l'aura vu s'animer. Privilège.

La soirée de mardi s’est ouverte par un hommage à Raimondo Rezzonico, décédé l’automne dernier, qui régna sur le festival pendant une vingtaine d’années.

Hommage appuyé et ému d’Irene Bignardi, la directrice, de Marco Solari, le président, et par film interposé, de la conseillère fédérale Ruth Dreifuss.

A la mémoire du «presidentissimo», un Prix Raimondo Rezzonico a été créé, qui récompensera chaque année un producteur indépendant.

Pour sa première édition, il a été octroyé au Portugais Paulo Branco. A son actif, des films signés Manoel De Oliveira, Wim Wenders, Raoul Ruiz, Alain Tanner, Chantal Akerman ou Patricia Plattner.

Un vieux rêve

Corto Maltese. Aventurier né le 10 juillet 1887 à La Valette, de père britannique et de mère gitane espagnole. Résidant à Antigua, il a un pied-à-terre à Hong Kong. Signe particulier: beau comme Delon jeune, avec une boucle dorée à l’oreille gauche.

Autre caractéristique de Corto: il a été créé par le Vénitien Hugo Pratt, dessinateur à la plume aérienne, passionné d’ésotérisme, et grand voyageur.

Après avoir vécu en Ethiopie (alors l’Abyssinie), en Argentine, en Italie, en France, c’est en Suisse, à Grandvaux, qu’il passera les dix dernières années de sa vie.

Troisième spécificité: Corto Maltese compte de nombreux et véritables aficionados. Parmi eux, le producteur Robert Réa et le réalisateur Pascal Morelli.

Les deux Français rêvaient de porter le héros de bande dessinée à l’écran. Ils ont jeté leur dévolu sur l’album «Corto Maltese en Sibérie».

Après cinq années de travail et moult aléas, ils y sont parvenus: cela s’appelle «Corto Maltese, la cour secrète des Arcanes».

S’habituer à la transposition

Il faut tout d^’abord que nos yeux et notre cerveau s’habituent. Aux mouvements des corps, relativement saccadés: on n’est pas chez Walt Disney. Puis aux personnages en eux-mêmes…

On sait la difficulté de transposer à l’écran une oeuvre littéraire. C’est même l’enjeu, cette année à Locarno, d’un certain nombre de tables rondes.

On sait que nécessairement, ce ne sera pas comme dans le livre… Ah bon, Corto bouge ainsi? Et il a la voix de Richard Berry? Et son pote Raspoutine a hérité de celle de Patrick Bouchitey? Ce dernier paraît d’ailleurs plus convaincant que Berry. Mais peut-être Corto parle-t-il réellement comme Richard Berry, allez savoir…

Le principal débat portera vraisemblablement sur le décor. Car en la matière, Hugo Pratt faisait plutôt dans le dépouillement. Or là, il y a beaucoup. Beau, magnifiquement soigné, mais beaucoup.

On pourra donc faire à Pascal Morelli le même reproche qu’à Bob De Moor lorsque, pourtant sur l’ordre d’Hergé, celui-ci modernisa et surchargea «L’île noire», perdant dans la foulée la fraîcheur de l’original.

Feu d’artifice

Mais une fois ces réticences passées, on est pris par la luxuriance du dessin et l’ambiance narrative de Pratt. Car question intrigue et dialogues, Pascal Morelli et l’adaptateur Thierry Thomas sont restés très proches de l’album.

Les personnages apparaissent et se séparent, se croisent et disparaissent, avec ce détachement si caractéristique.

Moments somptueux: les trains traversant la neige sibérienne. Sommet absolu: le déraillement de l’un d’eux, suite à l’explosion du viaduc qu’il traversait. Prouesse graphique. Le tout porté par une bande-son hallucinante, où bruitages dantesques et musique ‘stravinskienne’ (signée Franco Piersanti) se mêlent.

Très forts aussi, les jeux de clair-obscur, notamment quand dans la nuit opaque de Hong Kong, le regard doré de Corto Maltese darde l’écran. Et que dire du charme de la Duchesse Marina Seminova, fissurée façon Marylin?

Dernier point essentiel à signaler: Corto Maltese allume toujours de longues et fines cigarettes. Il ne s’est pas mué en suçoteur de brin d’herbe comme le premier cow-boy venu, lui.

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