Dans le casque de l’animatrice suisse de réalité virtuelle Zoe Roellin
Les créateurs de réalité virtuelle en Suisse prospèrent et sont de plus en plus reconnus au niveau international. swissinfo.ch a rencontré l'artiste zurichoise Zoe Roellin lors d'un festival de réalité virtuelle à Prague. Elle y a présenté sa nouvelle œuvre d'art, projetée en avant-première au dernier festival du film de Venise.
Le Festival du film de Venise a acquis une réputation importante parmi les artistes et les aficionados de la réalité virtuelle (RV). Il est l’un des principaux festivals disposés à traiter sérieusement l’art et la pratique de cette forme d’art naissante.
Les festivaliers qui souhaitent enfiler un casque encombrant et disparaître dans la fumée et les miroirs de la réalité virtuelle doivent d’abord traverser l’eau pour se rendre à Lazzaretto Vecchio, une île à l’écart de l’agitation du festival. Cette ancienne léproserie et fourrière de la ville de Venise sert désormais, chaque année en septembre, de rampe de lancement et de lieu de rencontre pour un groupe d’artistes de la réalité virtuelle en pleine ascension venus du monde entier.
L’une de ces artistes est Zoe Roellin, animatrice et réalisatrice originaire de Lucerne, dont le film Perennials (2023), produit par Meta, a été présenté en première mondiale à Lazzaretto Vecchio. «J’étais déjà venue à Venise un an auparavant avec un projet sur lequel j’avais travaillé en tant qu’illustratrice-animatrice [The Choice: VR Documentary, 2022], je n’étais donc pas tout à fait nouvelle, mais y être avec mon propre travail était une sensation totalement différente», confie Zoe Roellin.
«Perennials est un projet sur lequel j’ai travaillé seule pendant un an et demi dans mon salon. Enfin, je suis à l’extérieur de la maison, je vois les gens en faire l’expérience, je parle aux spectateurs et j’entends ce qu’ils en pensent.»
Nous ne sommes pas à Venise, mais à Prague, lors de l’édition inaugurale du festival ART*VR. En novembre, cette vitrine de six jours pour les films de RV à vocation artistique est la deuxième à laquelle le projet de Zoe Roellin est présenté depuis sa première en septembre.
Il avait été précédé par un événement de réseautage pour les artistes suisses à Séoul, en Corée, organisé par le collectif Virtual Switzerland à l’occasion du 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la Suisse et la Corée.
L’événement de Prague était également une première édition, mais on avait l’impression que tous ces événements VR «artistiques», où les films sont traités comme des œuvres d’art et non comme des terrains d’aventure virtuels, sont nouveaux et expérimentaux.
>> Voir la bande-annonce de Perennials:
Mémoire virtuelle
Perennials, cependant, est plutôt un film de cinéma. Un jeune homme et sa nièce reviennent dans une maison de vacances désaffectée. Elle appartenait au père de cet homme, récemment décédé. Roellin imagine l’espace, chargé de mémoire et de bagages émotionnels intergénérationnels, comme le théâtre d’une confrontation frustrée et difficile, l’une après l’autre.
«Perennials est très personnel pour moi parce qu’il est basé sur une histoire vraie concernant la maison de vacances de mon propre grand-père en Italie. Pourtant, dans un autre sens, on n’en apprend pas beaucoup sur les personnages et leurs identités. L’endroit est très vaguement situé. Il pourrait être n’importe où. C’était le bon choix pour ce film en particulier. Mais, à l’avenir, j’aimerais aussi faire des œuvres plus spécialisées et spécifiques, par exemple en m’adressant aux personnes ayant des identités homosexuelles.»
Dans le casque, j’observe la nièce qui pose question sur question. Son oncle la rabroue de manière peu délicate et insensible. Il est marqué par le traumatisme récent de la mort de son père, incapable de parler à l’enfant en termes bienveillants, et reproduisant involontairement les discussions impatientes de son propre père avec son fils.
En regardant ces scènes depuis l’intérieur du casque, on peut bouger la tête d’avant en arrière, de gauche à droite, mais l’attention est rigoureusement dirigée. L’action se déroule dans des épisodes dispersés dans le néant noir à 360° qui entoure le porteur du casque.
Une tache de lumière apparaît sur le côté et, à l’intérieur de cette avant-scène, une histoire donnée se déroule. L’oncle et la nièce se promènent dans la forêt, conversent au coin du feu, une feuille flotte dans l’air devant nous. Vos mains, que vous pouvez voir dans le film, sont représentées par les manettes auxquelles vous vous accrochez dans le monde réel. En les tirant vers le bas, vous pouvez les passer de manière surprenante dans des buissons virtuels, des assiettes à dîner ou des tissus d’ameublement.
Alors que je naviguais dans ce monde dans un coin de la salle d’exposition du musée d’art moderne où se déroule ART*VR, je sentais un courant d’air provenant d’une porte donnant sur la cour, ouverte et fermée à plusieurs reprises. Cela me faisait frissonner, dresser les poils des bras malgré le fait que, dans la réalité virtuelle, je me tenais à côté d’une cheminée crépitante.
Travailler avec Meta
Roellin a pris goût à l’illustration et à l’animation dans l’espace virtuel après une visite de l’artiste VR australien Sutu dans sa faculté de la Haute école des arts appliqués et des sciences de Lucerne. «J’ai mis le casque et j’ai réalisé que l’on pouvait dessiner librement dans la réalité virtuelle. J’ai tout de suite été époustouflée, raconte-t-elle. C’était en partie une fascination pour le caractère immersif de la RV. Mais c’est aussi parce que j’ai commencé à me dire que si je pouvais créer dans un espace de 360°, qu’est-ce que cela signifiait pour la narration?»
Par chance, l’université avait récemment acheté un casque pour les étudiants. «J’ai passé toutes mes vacances d’été [en réalité virtuelle] à dessiner et à expérimenter». Par la suite, d’autres opportunités ont commencé à se présenter. «Cela s’est fait petit à petit. J’ai pu créer un documentaire de neuf minutes pour Fantoche, un festival d’animation basé à Baden».
Le passage de Tilt Brush à Quill, deux outils d’illustration et d’animation VR, s’est avéré décisif. Grâce à cela, elle a pu entrer en contact avec une communauté Quill dynamique dans le monde entier et a commencé à animer pour la série VR Lustration, qui l’a emmenée à Venise pour la première fois, en 2022.
Quand Meta, la société mère de Facebook et les producteurs de Perennials, s’en sont-ils rendu compte? «Ils sont impliqués dans presque tout ce qui concerne Quill, parce qu’il a longtemps appartenu à Meta. Et bien que nous ayons une grande variété d’œuvres différentes dans la communauté, elles sont toutes, en fin de compte, produites ou financées par Meta».
En tant qu’observateur extérieur de cette communauté, il est remarquable et même inquiétant de constater à quel point Meta pénètre le monde de la RV et du XR. À ART*VR, un membre du jury, Štěpán Soukeník, venait des divisions XR et intelligence artificielle de Meta en Europe.
Les casques grâce auxquels nous avons découvert de nouveaux projets lors du festival étaient Metaquest 2 ou la nouvelle série 3, photographiée ci-dessus lors de son lancement par Mark Zuckerberg en septembre dernier, bien que le festival n’ait pas reçu de financement ou de soutien de la part de Meta.
Pour les artistes indépendants comme Roellin, tout se résume aux relations qu’elle entretient avec les différents producteurs. «Ryan [Genji Thomas] et Gora [Fujita], deux producteurs de Meta, font un travail extraordinaire en encourageant ces projets et en les rendant possibles.»
La RV par rapport au cinéma
Venant du monde du cinéma, j’ai trouvé fascinant de voir une communauté artistique repousser les limites technologiques et formelles de la forme d’art relativement nouvelle qu’elle revendique comme sienne. Comme aux premiers jours du cinéma, les incidents techniques et la confusion des spectateurs sont fréquents.
Quant aux films, il était facile de voir les mêmes dynamiques de cette époque primordiale de la création cinématographique se reproduire. La plupart des projets s’inscrivent soit dans l’école baroque et fantastique de George Méliès, soit dans l’école réaliste et dépouillée de Louis et Auguste Lumière.
J’interroge Roellin sur cette impression de Far West où tout est permis, où les règles sont encore en cours d’écriture. «C’est un effort communautaire. Pour les mouvements de caméra, nous avons opté pour la solution la plus simple, lenteur et stabilité. Rotation minimale. Lorsqu’une ballerine apprend à pirouetter, on lui dit de se concentrer sur un seul point devant elle. Nous avons donc appris que cela s’applique également à la RV, donner au public un point focal.»
«Avec Perennials, j’essaie de raconter une histoire où il se passe beaucoup de choses sous la surface, où j’ai besoin que le public soit très attentif aux personnages», souligne-t-elle. Là où d’autres expériences pourraient avoir une approche plus ouverte et ludique, «j’ai besoin de cette concentration, et c’est ce qui entre dans mes idées de cadrage. Je fais des croquis à l’intérieur du casque, en bloquant les scènes dans l’environnement. Ensuite, je déplace la caméra pour voir où je me sens bien».
La communauté de la RV en Suisse se développe. Outre Virtual Switzerland, le réseau susmentionné pour les artistes VR et XR qui a organisé la réunion à Séoul, il y a le Festival international du film de Genève, qui est très apprécié par la communauté internationale et collabore avec un grand festival comme Locarno pour ses expositions VR.
Entre-temps, Zoe Roellin est également de retour dans son ancienne faculté, où elle montre à une nouvelle génération les ficelles du virtuel à l’intérieur du casque. «Je vois maintenant des étudiants en animation, en beaux-arts et en conception d’objets approcher la RV. Le fait d’être avec eux lorsqu’ils l’essaient pour la première fois me rappelle la joie d’être novice en matière de RV. Et le fait de pouvoir créer quelque chose dans un média entièrement nouveau. Tout est grand ouvert.»
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par Françoise Tschanz
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