De la cave de la paroisse à la Cinémathèque suisse
Plus de 500 longs métrages des années 30 à 60: la paroisse de Mendrisio a fait don d’un fonds exceptionnel à la Cinémathèque suisse. Ces trésors du cinéma italien, français et américain sont en route pour Penthaz, dans des centaines de petites mallettes.
La paroisse de Mendrisio, dans le sud du Tessin, a choisi la 64e édition du Festival international du film de Locarno pour faire un don sans précédent à la Cinémathèque suisse de Lausanne: une collection de films en 16 mm, 502 en tout, qui retracent la culture cinématographique des années 30 à 60, le tout accompagné d’un millier d’affiches.
Don Ernesto Storelli, vicaire général du diocèse de Lugano, est à l’origine de la démarche qui a conduit à cette donation. Il a convié Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque de Lausanne et son équipe, à Mendrisio, pour lui remettre officiellement les mallettes de cuir et de carton bouilli, contenant le précieux matériel.
Epoque révolue
Ces classiques du cinéma américain, italien et français ont été projetés depuis le début des années 50 et jusqu’à l’apparition du DVD, à des dizaines de milliers de petits Tessinois, pour qui, la collection de Mendrisio a souvent représenté le premier contact avec le 7e art.
«Le but de ces projections, à une époque où seuls les familles les plus aisées pouvaient s’offrir un téléviseur et qu’il fallait se rendre dans certains bars pour découvrir la magie du petit écran, était récréatif mais aussi et surtout éducatif», a tenu à rappeler don Ernesto Storelli, en louant les vertus pédagogiques du cinéma.
Et si les films avaient souvent une connotation religieuse évidente, certains choix n’en étaient pas moins audacieux, puisque plusieurs longs métrages signés Pier Paolo Pasolini ou Jean Renoir notamment, figurent dans le catalogue de la collection. «Cela donnait lieu à des discussions intéressantes», indique don Angelo Crivelli, actuel vicaire de la paroisse de Mendrisio.
Cinéma Paradiso
«Les films étaient projetés à l’oratoire, pendant les colonies de vacances. Il y avait les films pour garçons, comme Tarzan et de très nombreux Western, et des films pour filles», ajoute don Angelo Crivelli, qui faisait lui-même partie des petits spectateurs de l’époque.
«Parfois, l’écran s’assombrissait subitement, par la main du curé, précipitamment plaquée devant le projecteur, pour nous empêcher de voir certaines scènes, jugées trop érotiques pour les valeurs morales de l’époque», confie le vicaire amusé et ému.
«Certains prêtres, plus interventionnistes, avaient même jugé bon de couper la pellicule pour ‘purifier’ le film en quelque sorte. D’ailleurs, une boîtes contenant les dits extraits, accompagnera les petites mallettes à Lausanne», ajoute don Ernesto Storelli, en souriant à l’évocation de ces souvenirs d’un autre temps.
Les jolies colonies de vacances
Le fonds de la fondation ACER (pour Associazione cinema educativo a passo ridotto), à l’origine de la collection cinématographique de la paroisse de Mendrisio, avait été créé il y a plus de 50 ans, alors que les salles de cinéma étaient encore rarissimes et que la télévision était réservée aux riches.
«L’arrivée de chaque film, était un événement», rappelle don Ernesto Storelli, particulièrement fier du fait que, dans les années cinquante, l’ACER et la paroisse de Mendrisio avaient obtenu la première autorisation des autorités fédérales, d’importer ces pellicules en 16 mm, achetées à Milan.
«Il nous arrivait aussi de prêter des films aux missions catholiques italiennes dans le reste de la Suisse», ajoute le prélat, en profitant de l’occasion pour lancer un appel: «Il manque quelques films, qui ne nous ont pas été rendus, dont Don Camillo et Pepone, si jamais quelqu’un entend parler d’une mallette en déshérence….», a-t-il dit, en provoquant des éclats de rire.
Cinéphilie d’un terroir
Pour Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque suisse et ancien directeur du festival international du film de Locarno, au-delà des films eux-mêmes – dont certains sont devenus introuvables – «c’est toute la cinéphilie d’un canton, d’une région linguistique, à une époque donnée, qui devrait susciter l’intérêt des historiens».
«Même la boîte contenant les extraits coupés et censurés par les prêtres, nous raconte quelque chose», ajoute le directeur de la Cinémathèque, confiant qu’il avait lui-même découvert le cinéma grâce aux projections organisées par le curé de Camogli, en Italie, sur les murs de l’église du village, le dimanche soir, pendant ses vacances d’été dans le pays d’origine de sa mère.
Une nouvelle vie
Dans un premier temps, les conservateurs de la Cinémathèque seront chargés de trier le matériel et d’établir une sorte de bulletin de santé des pellicules et des affiches reçues. Bien que soigneusement rangés, à l’abri des intempéries, les films n’en ont pas moins subi les outrages du temps.
«Certaines pellicules sont rongées par le syndrome du vinaigre, d’autres ont été attaquées par des champignons. La première étape du travail consistera donc à faire le bilan sanitaire de ce matériel. Après quoi, il faudra opérer des choix au niveau de la conservation. Et enfin, nous procéderont à la digitalisation des films les plus rares, ainsi qu’à la restauration des bobines les plus précieuses», explique Frédéric Maire.
«Une fois digitalisés, certains de ces films, pourraient aussi être prêtés à des groupes cinéphiles pour la jeunesse, en Suisse italienne par exemple, et pour lesquelles il est parfois difficile de dénicher des classiques du cinéma doublés en italien», explique encore celui qui est aussi le fondateur de la Lanterne magique, club de cinéma pour enfants.
De l’après-guerre à la fin des années 80, la paroisse de Mendrisio a proposé des milliers de projection de films à la jeunesse de la région. Cette aventure cinématographique était née de la passion pour le septième art d’un prêtre de l’époque, don Vittorino Piffaretti, véritable pionnier, qui avait fondé l’ACER, (soit l’Associazione cinema educativo a passo ridotto), devenu ACERSM (Section Mendrisio).
Les 502 mallettes de cuir ont été emballées et ont quitté Mendrisio pour Penthaz, où se trouvent les entrepôts et les ateliers de la Cinémathèque suisse mercredi 10 août, en marge du Festival international du film de Locarno.
Fondation privée d’utilité publique, la Cinémathèque suisse est subventionnée aux deux-tiers par les pouvoirs publics. Sa mission est nationale et fixée dans la loi fédérale sur la culture et la production cinématographique concernant l’archivage et la restauration des films.
Ses buts
– Recueillir et sauvegarder les archives de la cinématographie, quelle qu’en soit l’origine;
– Veiller à l’accroissement, à la conservation, à la restauration et à la présentation de ses collections;
– Constituer un musée national et un centre d’étude de la cinématographie;
– Servir l’utilité publique et ne viser aucun but lucratif.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.