Derrière les paysages, une Suisse au-delà des mythes
François Walter, historien romand, publie chez Gallimard «La Suisse. Au-delà du paysage». Un ouvrage de petit format, à l’écriture très fluide, qui éclaire le visage d’un pays dont la beauté a forgé bon nombre de mythes.
La Suisse. Au-delà du paysage. Le titre s’imprime sur la page de couverture joliment verglacée, reflétant, dans la fente d’une croix blanche, l’image du Cervin, lui aussi verglacé. Ici tout brille. Mais que cache la vitrine? François Walter, historien, professeur à l’Université de Genève, auteur de cinq tomes sur «l’Histoire de la Suisse», tente d’éclairer son lecteur sur un pays dont la beauté a forgé, à tort ou à raison, bon nombre de mythes.
Publié chez Gallimard dans la collection Découvertes, cet ouvrage abondamment illustré, bien charpenté, à l’écriture très fluide, se lit facilement. Pour en parler, voici François Walter.
swissinfo.ch: Y a-t-il «au delà du paysage» une Suisse qu’on ne connaisse pas encore?
François Walter: Il y a surtout des a priori que je tente de corriger. Le paysage, c’est donc tout simplement un point d’ancrage ou de départ, si vous voulez. Par la suite, j’introduis toutes sortes de questions sur lesquelles on a, en général, des idées préconçues. Par exemple, on pense à tort que la Suisse est la plus vieille démocratie du monde, qu’elle a toujours été neutre, qu’elle est indépendante depuis très longtemps, qu’elle ne connaît pas de conflits sociaux… Bref, autant de clichés politiques que l’on trouve dans la vie courante, comme en littérature d’ailleurs. Le but du livre est donc de remettre toutes ces questions dans leur contexte historique pour montrer que l’identité de notre pays est bien plus complexe qu’il n’y paraît.
swissinfo.ch: Votre démarche est certainement très éclairante pour un étranger francophone auquel s’adresse forcément votre livre. Mais à un Suisse qui vous dira qu’il connaît bien le sujet dont vous traitez que répondriez-vous?
F.W. : Si la moitié des Suisses, ou ceux qui prétendent avoir bien cerné ce pays, et là je pense surtout aux journalistes et aux hommes politiques, si donc ceux-ci lisent mon livre et ont l’honnêteté d’avouer ne pas savoir tout ce qu’il y a dedans, eh bien j’aurais gagné mon pari. Mais bon, c’est toujours comme ça, le premier réflexe consiste à dire: «mais je connais tout ça !» Or ce sont précisément ces certitudes que je mets en cause.
swissinfo.ch: Hormis les clichés historiques que vous avez voulu détrôner, il y en a d’autres liés à la Suisse du chocolat et de l’horlogerie, entre autres. Vous n’en parlez pas beaucoup. Pourquoi?
F.W. : Le fait que je ne m’étale pas sur les domaines que vous citez devrait justement attirer l’attention sur leur réalité, à laquelle on a donné une dimension exagérée. Les montres, je les évoque brièvement, en effet, pour dire que l’industrie horlogère a été introduite chez nous par des réfugiés protestants, qu’elle joue un rôle dans notre économie, mais que ce rôle n’est pas le plus important, comparé à celui que représente, par exemple, l’exportation des machines.
Je pense ici aux machines d’imprimerie, aux moteurs de bateaux, à l’électrométallurgie… autant d’outils ou de produits suisses dont on parle peu. En tout cas bien moins qu’on ne parle du chocolat auquel je consacre trois lignes pour préciser que ce ne sont pas les Suisses qui l’ont inventé, mais les Espagnols et les Italiens, au XVIe siècle. Quant aux grands producteurs de chocolat, ce sont avant tout les Français et les Anglais. Si les Suisses se sont taillé une jolie part de marché, c’est parce qu’ils ont introduit dans la confiserie le chocolat au lait.
swissinfo.ch: Dans les deux premiers chapitres, la Suisse est abordée sous l’angle historique. Dans le troisième, elle apparaît comme une figure humaine aux traits paradoxaux: prospérité économique vs frilosité politique, ouverture vs méfiance…Cette ambivalence est-elle une fatalité?
F.W. : Si j’insiste sur cette dualité c’est parce que la majorité des Suisses pensent que leur pays s’est construit tout seul. C’est grâce à notre mérite, entend-on dire, que nous avons échappé aux deux Guerres mondiales, que notre niveau de vie est élevé, que nous vivons une relative paix sociale…
Or, on a tendance à oublier que ce pays a toujours eu besoin des autres, qu’il a toujours été intégré dans l’histoire européenne et mondiale. Sa puissance économique, il la doit, d’une part, à l’esprit d’ouverture de certains Suisses qui ont su nouer à l’extérieur des réseaux fondamentaux pour l’essor des banques et de l’industrie. Et d’autre part à la main-d’œuvre étrangère arrivée chez nous à la fin du XIXe siècle. Sans parler des réfugiés qui, au XVIe et XVIIe siècle, ont apporté ici leur savoir faire dans les domaines du textile et de l’horlogerie. Là aussi j’ai voulu mettre en cause un cliché indécrottable reposant sur notre célèbre adage «il n’y en a point comme nous».
swissinfo.ch: La Suisse c’est aussi une culture. Pourquoi avoir relégué dans les annexes, à la fin de votre livre, les témoignages des hommes de lettres comme Rousseau, Ramuz, Hugo Loetscher, Fritz Zorn…?
F.W. : Intégrer la culture au corps de mon texte n’était pas chose facile. Je suis historien avant tout. C’est donc en tant que tel que j’ai essayé d’utiliser les références culturelles. Si j’évoque certains peintres paysagistes comme Ferdinand Hodler, c’est parce que leur art est profondément lié à la construction de l’identité helvétique indissociable d’une nature idyllique
Pour ce qui est des auteurs auxquels vous faites allusion, ils ne m’intéressaient que dans la mesure où ils apportaient à notre Histoire un regard critique, distancié.
swissinfo.ch: Le quotidien lausannois 24 Heures vous reproche de ne pas parler des hommes ou des femmes qui font la Suisse d’aujourd’hui, Oskar Freysinger et Roger Federer, entre autres. Votre réaction?
F.W. : 24 Heures ne parle pas de ce que je mets dans mon livre, mais de ce que je n’y mets pas. Ceci dit, je ne pense pas que la présence de Monsieur Freysinger ou de Monsieur Federer soit indispensable dans un ouvrage qui porte sur sept siècles d’Histoire helvétique.
La Suisse. Au-delà du paysage de François Walter. Editions Gallimard. Collection Découvertes. 127 pages.
Débuts. Né en 1950, François Walter a fait ses études à l’Université de Fribourg où il a obtenu un Doctorat ès lettres en 1981.
Parcours. Successivement chargé de cours à la Faculté des Sciences de l’Université de Fribourg puis maître-assistant à l’Institut de géographie de l’Université de Fribourg, il a été nommé professeur ordinaire à la Faculté des lettres de l’Université de Genève en 1986.
Enseignements. Il fut professeur invité à l’Université de Fribourg (1987-1992), à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (1992), aux universités de Catane et de Bari, à l’Université Laval à Québec (2006) ainsi qu’à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne en 2008.
Recherche. Directeur d’études invité à l’Ecole des Hautes Études en Sciences sociales à Paris (1991, 1999 et 2006), il a également séjourné comme chercheur invité au Max Planck Institut für Geschichte de Göttingen (2000, 2004 et 2006), et comme fellow au Collegium Budapest (2002).
Il est docteur honoris causa de l’Université Pierre Mendès-France de Grenoble.
Auteur de 12 livres et de plus de 160 articles scientifiques, éditeur de 8 livres collectifs, il poursuit des recherches sur les villes, l’histoire du paysage, l’histoire des risques et des catastrophes, entre autres.
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