Des ciseaux pour rapprocher la Chine et la Suisse
Les deux demi-cantons d'Appenzell présentent une grande exposition d'œuvres de papier découpé à Pékin. Il s'agit d'un des nombreux échanges culturels marquant l'anniversaire de l'établissement de relations diplomatiques entre la Suisse et la république populaire de Chine, il y a 60 ans.
Les Chinois aiment la Suisse pour la beauté de ses paysages, la pureté de son air et la qualité de ses produits.
En leur présentant à domicile l’exposition «The Art of Paper-cutting: East meets West», les deux demi-cantons d’Appenzell leur offrent tout cela.
Pas étonnant dès lors que le ministre chinois de la culture Cai Wu évoque dans le catalogue de l’exposition un événement qui est «incontestablement la plus beau cadeau pour ce jubilé» des 60 ans de l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et la Suisse.
La Fondation Ernst Hohl et la Haus Appenzell présentent les œuvres de huit artistes suisses et cinq chinois qui sont allés chercher l’inspiration dans les montagnes d’Appenzell. En tout, 140 œuvres de papier découpé, exposées au musée de la célèbre université de Tsinghua, à Pékin, puis dans la ville de Hangzhou, près de Shanghai.
L’événement s’inscrit dans le cadre du vaste programme d’échanges culturels «Swiss Chinese Explorations», lancé l’an dernier par Pro Helvetia. Une quinzaine de représentants d’Appenzell ont fait le déplacement en Chine pour l’occasion, dont des musiciens, des artistes, des politiciens …
Eviter le cliché
Il y avait foule et beaucoup d’ambiance, l’autre jour au vernissage pékinois. Un verre de vin blanc suisse à la main, les invités chinois s’offraient une plongée folklorique en Appenzell, fort impressionnés par les prouesses d’un quartet de musique champêtre dont l’un des artistes jonglait avec des cuillères en bois… et une grande dextérité.
Les Suisses aussi étaient sous le charme, sensibles peut-être à l’appel des montagnes, et plus encore à l’excellence et au doigté des organisateurs appenzellois. Car il était grand, le risque de sombrer dans le cliché ringard, en ne misant que sur le folklore et la tradition. Mais les deux Appenzell ont su éviter cet écueil.
L’exposition va bien au-delà des habituelles images de vaches, montées à l’alpage ou fromagers. «Pour être franc, je ne savais même pas que les artistes suisses sont tellement progressifs, innovants, c’était surprenant pour moi aussi», déclare le sénateur Altherr, d’Appenzell Rhodes extérieur, qui était du voyage.
Quant à Doris Leuthard, présidente de la Confédération, elle évoque en préface du catalogue «une combinaison unique, exclusive et inédite d’art et de culture… Notre culture apparaît sous un jour complètement neuf. Grâce au regard étranger et différent, nous redécouvrons ce qui nous est propre.»
Esprit de clocher
Les œuvres suisses exposées surprennent effectivement par leur audace, le goût de l’expérimentation, leur qualité. Certains artistes font dans l’abstrait, l’orientalisme, la caricature ou la bande dessinée. «Si on ne reste pas figé sur la tradition, si on s’ouvre pour étendre son champ, on regarde aussi ce qui se fait ailleurs», explique Ernst Oppliger devant l’une de ses œuvres à l’exposition de Pékin.
Ce Bernois passe pour le plus réputé des découpeurs suisses, et il s’est joint à la délégation suisse pour venir donner un atelier et échanger son art avec celui des Chinois. Il rappelle que «la tradition du papier découpé est 5 à 10 fois plus vieille ici qu’en Suisse».
La tradition suisse a beau paraître jeune comparée à la chinoise, c’est bien sur elle qu’Ernst Hohl a misé. Président de la Haus Appenzell et de la Fondation Ernst Hohl, cet entrepreneur passe depuis trois décennies un mois par an en Chine.
C’est donc assez naturellement qu’il a choisi l’Empire du milieu pour exposer les œuvres, après les avoir montrées une première fois à Zurich l’automne dernier. «En Suisse, nous sommes régis par l’esprit de clocher. Le canton d’Appenzell, ça s’arrête lorsqu’on arrive à Winterthour». Demandez-lui s’il est plus simple de monter une exposition sur Appenzell à Pékin qu’en Suisse romande, et Ernst Hohl vous répondra: «Je crois bien que oui!», tout en reconnaissant que le Musée de l’art brut de Lausanne est une notable exception.
Quoi qu’il en soit, à Pékin, les deux demi-cantons de Suisse orientale entendent attirer les touristes chinois. «Nous sommes tout petits, explique Ernst Hohl, nous n’avons pas grand chose à offrir, à part le calme, le paysage, l’harmonie. Si grâce à cette exposition, des Chinois prennent conscience de l’existence d’Appenzell, ça peut nous apporter des touristes, et ça fera tourner le moteur. Car sans moteur, nous n’existons pas.»
Alain Arnaud, Pékin, swissinfo.ch
Han. Le papier est une invention chinoise qui remonte à la dynastie Han de l’ouest (207 avant – 9 après JC).
Retour. Vieux de 1500 ans, l’art du papier découpé en Chine connaît une renaissance depuis les années 80. Issu de la culture populaire, il évolue désormais en direction d’une discipline artistique à part entière.
17e. En Suisse, la première œuvre de papier découpé conservée date de 1696, elle est exposée au musée historique de Berne. La pratique de cet art populaire est probablement arrivée en Europe depuis l’Orient autour de 1600.
Tradition. Au 19ème siècle, dans les bonnes familles allemandes, les jeunes filles apprenaient à découper le papier. En Suisse, la discipline s’est développée dans les familles paysannes de l’Oberland bernois et du Pays-d’Enhaut.
Cinq maîtres chinois du papier découpé sont allés puiser l’an dernier l’inspiration dans les montagnes d’Appenzell.
Leurs œuvres illustrent des traditions typiques telles que les cortèges de carnaval, la fête du nouvel an, la Landsgemeinde, la toussaint, les montées à l’alpage…
Les artistes suisses ne se sont pas rendus en Chine, ils présentent leurs œuvres du moment et paraissent du coup moins traditionnels et moins «suisses» que les créateurs chinois.
D’autres projets du programme Swiss Chinese Explorations exploitent plus fidèlement le concept d’échange culturel.
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