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Deux livres dissèquent l’affaire «Borer/Ringier»

Au terme de "l'affaire Borer", l'éditeur du SonntagsBlick s'était excusé dans une lettre ouverte. Keystone Archive

Le Conseil de la presse est revenu sur l'«affaire Borer» lors de sa conférence de presse annuelle, vendredi à Zurich.

Le scandale a révélé des entorses graves aux principes journalistiques. C’est aussi ce que montre un récent livre-enquête.

«Le nombre de plaintes concernant le non-respect de la sphère privée ne cesse d’augmenter et forme environ un quart de nos dossiers» : Peter Studer, le président du Conseil suisse de la presse, a décrit ainsi, vendredi matin à Zurich, l’évolution de son travail.

Alors qu’il n’y avait qu’une poignée de plaintes il y a dix ans, leur nombre a été de 66 l’an dernier. Un autre quart environ des procédures concerne le droit, non respecté selon les plaignants, à être entendu par les journalistes lorsque ceux-ci les mettent en cause dans un article.

Ces deux principes de base n’ont pas été respectés dans l’affaire «Borer/Ringier», qui a cristallisé l’an dernier les principaux conflits entre médias et public.

L’étrange destin des photos

Le Conseil suisse de la presse a aussi rappelé vendredi que ce scandale l’avait incité à développer de nouvelles lignes directrices à propos des photos digitales. Ce travail est en cours.

Les photos publiées il y a presque un an jour pour jour, le 31 mars 2002 dans le SonntagsBlick, sont précisément un des aspects traités par les deux journalistes Philippe Pfister et Oliver Zihlmann, rattachés à la SonntagsZeitung.

Dans un livre-enquête intitulé «L’affaire Borer, faits et raisons cachées d’un scandale médiatique» (WerdVerlag), les deux journalistes reviennent – entre autres – sur l’étrange destin de ces photos.

Les expertises sur leur véracité, commandées par Ringier, sont couvertes par le pacte de silence signé entre les différentes parties en juillet 2002.

Mais divers commentaires récoltés par les deux journalistes tendent à montrer qu’elles étaient véridiques. Ce que plus personne n’a pris la peine de relever, après coup.

Des affirmations inventées

C’est l’une des surprises de ce livre, qui se lit comme un roman policier. Mais cette compilation minutieuse des événements est surtout nécessaire pour comprendre comment un fait divers non avéré a conduit, en moins de deux semaines, à l’intervention d’un ministre et au renvoi d’un ambassadeur.

Les auteurs montrent comment le scandale s’est bâti sur deux affirmations construites de toutes pièces. Le rédacteur en chef du SonntagsBlick et son adjoint, Mathias Nolte et Ralph Grosse-Bley ont retravaillé l’article d’Alexandra Würzbach, par ailleurs épouse du deuxième.

Première manipulation: ils ont fait des caméras de la Chancellerie allemande, située à côté de l’ambassade de Suisse, des témoins privilégiés de l’affaire. La journaliste n’avait fait que les citer, dans la description générale, sans leur donner d’importance.

Mis au pied du mur

Si les caméras ont tout enregistré, les faits prennent une autre tonalité: l’ambassadeur reçoit des visites nocturnes et ces mouvements sont enregistrés par la Chancellerie allemande.

Cette affirmation, et la question liée «quels sont les risques pour l’image de la Suisse?» conduira le porte-parole du DFAE à demander, dans le journal, à Thomas Borer de prendre clairement position. Avant même d’être informé, l’ambassadeur est ainsi mis au pied du mur.

La deuxième allusion construite de toutes pièces concerne l’ex-ami de la visagiste Djamile Rowe. Le SonntagsBlick affirme qu’il a déjà été condamné plusieurs fois pour escroquerie, notamment en Pologne.

Thomas Borer devenait ainsi «une victime potentielle de chantage de la part d’un criminel d’Europe de l’Est», analyse le livre. Or l’homme n’a jamais été condamné, il a fait l’objet d’enquêtes.

Aucune vérification

Rien de tout cela n’avait été vérifié avant publication. Thomas Borer lui-même saura en un coup de fil que les caméras de la Chancellerie ne peuvent rien voir de l’ambassade de Suisse.

Selon Philippe Pfister et Oliver Zihlmann, les ajouts de la rédaction en chef montrent bien que celle-ci était tout à fait consciente de la maigreur des «preuves» envoyées par ses correspondants berlinois.

Elle savait également pertinemment qu’un adultère ne justifiait pas une telle publicité.

Une pluie de coups bas

Mais le mécanisme était enclenché et rien ne pouvait l’arrêter: fuite en avant de la maison Ringier, contre-attaques personnelles lancées par le couple Borer-Fielding, renvoi de l’ambassadeur, revirement de la visagiste (qui a fait, au total, cinq versions différentes de la soirée du 20 mars) et, enfin, le 13 juillet, signature de l’accord avec un dédommagement financier à la clé (1,68 million de francs).

Aucun camp ne peut se targuer d’avoir évité les coups bas. Le ministère suisse des Affaires étrangères a demandé à Ringier de lui transmettre ses «preuves», Thomas Borer a développé une stratégie de vengeance quasi guerrière intitulée «cross return».

Un collaborateur de l’avocat des Borer a en outre, durant l’été, décidé de prendre en charge lui-même la visagiste et l’a hébergée à ses frais, avant de lancer des poursuites contre l’ex-ambasadeur… Le drame s’est parfois transformé en vaudeville.

Le livre d’Oliver Zihlmann et Philippe Pfister a été accueilli assez tièdement en Suisse alémanique, plusieurs commentateurs lui reprochant son «manque de nouveautés». Il est clair que cette enquête n’est pas celle du Watergate.

Mais les recherches sont solides et le livre est bien écrit. Reprocher le manque de nouveautés, c’est peut-être céder au même besoin de «révélations» que celui qui a amené l’affaire à exploser.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich

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