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Dix créateurs repensent l’urne funéraire

Matteo Gonet devant «Bouquet noir», urne funéraire en verre soufflé signée Elisabeth Garouste.

Présentée au Musée des arts appliqués et du design contemporains (mudac) de Lausanne, avec son titre explicite, l'exposition «Post Mortem» d'urnes en verre soufflé nous renvoie à notre propre fragilité.

Une salle très blanche et lumineuse pour une exposition petite, mais forte, qui réunit les œuvres de dix designers et artistes suisses et étrangers autour de l’idée du verrier suisse Matteo Gonet, qui a exécuté les projets.

Urne(s) pour deux (Pierre Charpin et Hubert Crevoisier), accompagnée d’une plus petite contenant les souvenirs du défunt sur une clé USB (Marie Garnier), urne-vase (Alexis Georgacopoulos) ou garnie de petits récipients en forme de larme pour recueillir le chagrin de ceux qui restent (Jean-Michel Othoniel).

Avec «Pas bouger», la Française Marie Ducaté propose même un prototype en pâte de verre destiné à recueillir les cendres d’un animal favori.

Un nimbe pudique

Sablé, coloré, poli, taillé, soufflé, moulé transparent, miroitant, mat, quelle que soit l’option des créateurs, la matière se plie aux exigences les plus diverses. Aucun des prototypes ne dévoile directement son contenu, le verre, fort et fragile à la fois, l’enveloppant dans un nimbe pudique. L’ensemble diffuse une légèreté élégante et lumineuse qui contraste avec la solennité du thème.

A 30 ans, Matteo Gonet travaille à l’instinct. «J’ai du mal à dire pourquoi le verre me fascine tant. Je suis un peu tombé dedans à 15 ans, j’ai fait ce qui s’apparente à un compagnonnage en voyageant pendant dix ans un peu partout.»

Une vision de la mort

Pour «Post Mortem», le souffleur de verre ancre sa démarche dans l’histoire: «Il y a 2000 ans, les Romains ont inventé le verre soufflé et ils ont eu une production quasi industrielle d’urnes funéraires. Des objets très beaux que je connaissais des musées.»

Ce qui lui a donné envie de demander à des créateurs contemporains d’exprimer leur vision de la mort. «C’est le rituel qui m’intéresse. Pourquoi quelqu’un qui n’a pas de contact avec l’Eglise doit-il forcément se retrouver dans un contexte religieux à sa mort? Je voulais essayer d’offrir une alternative à ce moment de deuil, une manière différente de se recueillir.»

Conservatrice du mudac, Bettina Tschumi a été enthousiaste dès le départ: «La mort est omniprésente tout en étant tenue à distance. Mais il me semble qu’il y a un regain d’intérêt, comme dans l’exposition «Six feet under» de 2006 au Kunstmuseum de Berne. ‘Post Mortem’, c’est plutôt une évocation de l’au-delà, de retour au sacré d’une manière proche de la nature avec, souvent, la dispersion des cendres».

La pratique religieuse a changé

Mme Tschumi ajoute que la crémation est très pratiquée dans de petits pays, comme la Suisse ou les Pays-Bas, pour des facteurs pratiques, par exemple l’exiguïté du territoire et la rareté des places dans les cimetières. Et, de plus en plus, chacun se forge sa vérité.

Edmond Pittet, directeur depuis trente ans d’une entreprise de pompes funèbres à Lausanne, confirme la tendance. «Aujourd’hui, 80% des défunts sont incinérés. On observe un changement dans la pratique religieuse. Les services laïcs (sans prêtre et sans pasteur) avoisinent les 30% des cérémonies.»

«Les familles conservent les cendres ou les dispersent, parfois dans un ou plusieurs endroits ou pays différents. En fait, le chemin du deuil change et les gens n’adhèrent plus aux idées de résurrection biblique. Il y a ceux pour qui les consolations bibliques sont irremplaçables. Pour d’autres moins ou pas du tout», ajoute Edmond Pittet.

L’avènement de l’individualisme

Pourquoi cette mutation? «Je vous dirais que la chute du Mur de Berlin a changé fondamentalement les mentalités. L’avènement du néo-libéralisme pur et dur et de l’individualisme a accéléré les transformations culturelles depuis le début des années 90», répond le praticien.

Ainsi, le cimetière n’a plus la même signification qu’autrefois: «Pour 50% des familles, la tombe individuelle n’est pas nécessaire et elles déposent leurs cendres au jardin du souvenir. Savoir que leur défunt repose dans l’anonymat ou l’oubli – car au Jardin du souvenir il n’y a pas de nom – ne les contrarie pas.»

Ce qui expliquerait pourquoi les urnes proposées par les pompes funèbres sont si pauvres, esthétiquement. «La demande est faible: puisqu’elles servent plutôt à transporter, les urnes ne servent plus à inhumer. C’est un objet qui n’a donc pas de finitude et souvent, nous ne faisons que le prêter aux familles.» Ainsi, on pourrait rebaptiser l’expo «Port Mortem», de porter.

Pour Bettina Tschumi, «les urnes sont à la fois une trace et une présence qui dit adieu au défunt, mais témoigne aussi qu’il reste dans la mémoire».

Chacun son chemin

Edmond Pittet abonde dans le même sens et estime que les diverses fonctions symboliques exprimées par les prototypes de «Post Mortem» proposent à chacun son chemin.

«L’urne qui récolte les larmes exprimera le poids de la perte, le vase indiquera que la personne veut rebondir, etc. Chacune a sa manière de réagir à un décès, qui est un moment de vérité extraordinaire», conclut le thanatologue.

Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch

«Post Mortem. Dix créateurs repensent l’urne funéraire», exposition au Musée de design et d’arts appliqués contemporains (mudac), Lausanne, jusqu’au 31 décembre 2009.

Selon Edmond Pittet, praticien et auteur de La mort oubliée: Traditions et rites funéraires (Cabédita), le nombre de crémations a augmenté en Suisse de 40% à 80% en trente ans, chez les protestants et les catholiques (qui les tolèrent depuis 1967).

En France, les chiffres ont passé de 4% à au moins 45%.

Des cantons catholiques comme Fribourg et le Valais enregistrent 70% de crémations.

En pierre, en bronze, en marbre, en albâtre, en céramique ou en verre les urnes existent depuis l’Age du bronze. Elles peuvent être rangées dans une alvéole murale (columbarium) ou conservées par les proches.

A Lausanne 50% des cendres sont transportées dans une urne provisoire et mêlées dans le «Jardin du souvenir».

Né en 1979 à Lugano (Tessin), il entreprend une sorte de compagnonnage à travers l’Europe et le monde. Il devient souffleur de verre et travaille avec des designers et des artistes de toutes provenances.

2005: retour en Suisse et collaboration avec l’Ecole cantonale d’art de Lausanne.

2009: il s’installe à Münchenstein (Bâle).

François Bauchet
Pierre Charpin
Hubert Crevoisier
Marie Ducaté
Marie Garnier
Elisabeth Garrouste
Alexis Georgacopoulos
Mathieu Lehanneur
Jean-Michel Othoniel
Jean-Baptiste Sibertin-Blanc

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