Dürrenmatt, Picasso et Botta réunis à Genève
Ces trois noms sont réunis par la Fondation Bodmer autour du mythe du Minotaure, avec la bénédiction de «la Pythie» Charlotte Kerr Dürrenmatt.
Au carrefour des trois cultures, cette exposition montre les dessins et manuscrits des sept dernières années de l’écrivain, complétés par des gravures de Picasso.
«Le monde auquel je suis livré, je le représente comme un labyrinthe et j’essaie, dans le même mouvement, de me distancer de lui (…), je le confronte avec un contre-monde, tel que je le pense.» Friedrich Dürrenmatt, «La Mise en œuvre».
Le labyrinthe, c’est le mythe du Minotaure, revisité par l’écrivain à la fois comme une parabole universelle et une réflexion sur le destin personnel. C’est ce que veut montrer la mise en scène de l’exposition, signée Mario Botta. «Les dessins sont suspendus comme des feuilles libres dans l’automne et qui volent sur la terre», explique l’architecte à swissinfo.
«Les mythes de Dürrenmatt (Minotaure, Pythie, Midas, Achterloo)», l’expositon tourne autour de la mythologie, que Dürrenmatt a revisitée dans toute son oeuvre. Murs noirs, moquette noire, les dessins à l’encre de Chine noire sont suspendus à des hauteurs différentes, protégés par du plexiglas. Du noir pour rappeler la tragédie de l’humain.
«C’est ainsi que Botta a créé une sorte de chaos pour que le public se perde dans le labyrinthe, se heurte à cette œuvre parfois inquiétante mais aussi souvent très sarcastique», ajoute Charles Méla, directeur de la Fondation Martin Bodmer.
Botta en terrain connu
«Dürrenmatt m’a nourri dans ma jeunesse.» Voilà pourquoi Mario Botta a accepté l’offre de la Fondation Martin Bodmer de mettre en scène les dessins des sept dernières années de la vie de l’écrivain, qui retrouva sa fécondité après sa rencontre avec Charlotte Kerr.
L’architecte était en terrain connu puisqu’il avait adjoint, en 2003, un musée moderne à la vénérable Fondation de Cologny, faubourg chic de Genève qui surplombe le Léman, face au Jura.
Auparavant, en 2000, il avait déjà édifié le Centre Dürrenmatt à Neuchâtel, à côté de la maison où l’écrivain a vécu de 1952 à sa mort, en 1990.
Donner sa vraie place à Dürrenmatt
Avec cette exposition, la fondation voulait inscrire Dürrenmatt parmi les auteurs universels de la «Weltlitteratur» collectionnés par Martin Bodmer de son vivant, puis par sa fondation.
Ses manuscrits étant aux Archives littéraires de la Bibliothèque nationale, ses peintures au Centre de Neuchâtel, restaient les dessins. C’est ainsi que l’idée a surgi de relier textes et dessins.
«Lors d’une visite chez Madame Dürrenmatt, nous avons découvert une extraordinaire série de lavis à l’encre de Chine sur le Minotaure et la Pythie», explique Charles Méla, directeur de la Fondation Bodmer.
«Dürrenmatt s’est toujours adonné aux deux activités, approfondissant ses projets littéraires par le dessin, notamment sur la mythologie. Son père l’avait initié au monde grec qu’il a repensé et réécrit pour en faire quelque chose de nouveau», poursuit Charles Méla pour swissinfo.
Ces dessins de labyrinthes, de cavernes, d’asiles de fous, traduisent un sombre monde d’enfermement, d’isolement. Il y a le Minotaure, cet homme-taureau qui réunit à la fois l’intelligence et la puissance primaire, mais aussi Thésée, Tirésias et Midas, revus par le Bernois de Konolfingen.
Il y a aussi la Pythie, l’oracle qui traça le destin d’Œdipe et qui, dans sa destinée amoureuse, finit par prendre les traits de Charlotte Kerr.
Réaliser l’unité linguistique
Il s’agissait aussi, pour la Fondation Bodmer, de «réaliser l’unité linguistique avec Botta et Dürrenmatt en pays romand». Qui plus est, dans la fondation créée par un riche Zurichois à l’origine d’une extraordinaire collection de manuscrits de tous pays et de tous temps.
«Pour nos expositions temporaires, nous cherchons aussi des thèmes attractifs parmi les moments importants de la littérature universelle», poursuit Charles Méla. Pas facile, en effet, d’attirer les foules hors de ville avec des manuscrits, si rares et précieux soient-ils.
En contrepoint, l’exposition présente aussi deux gravures et quatre dessins de Picasso qui s’était également passionné pour le monstre humain qu’est le Minotaure ou pour Antigone et Tirésias.
Juste retour des choses, le catalogue est publié par la maison Skira, la même qui avait édité la revue surréaliste «Le Minotaure» de 1933 à 1939.
swissinfo, Isabelle Eichenberger
«Les mythes de Dürrenmatt (Minotaure, Pythie, Midas, Achterloo)» à la Fondation Martin Bodmer à Cologny (Genève), du 19 novembre 2005 au 12 mars 2006.
L’exposition en forme de labyrinthe a été mise en scène par Mario Botta, architecte du nouveau musée de la Fondation Martin Bodmer, à Cologny et du Centre Dürrenmatt à Neuchâtel.
Dessins et manuscrits datent des sept dernières années de Dürrenmatt, de 1983-1990, prêtés par sa veuve Charlotte Kerr.
Le film «Portrait d’une planète» réalisé par celle-ci, est projeté pendant l’exposition.
Figurent 2 gravures et 4 dessins de Picasso sur le thème du Minotaure.
Le catalogue, «Les Mythes de Dürrenmatt», a été publié par Skira.
– Ecrivain, dramaturge et philosophe, mais aussi peintre, Friedrich Dürrenmatt est né en 1921 à Konolfingen (Berne). Il a vécu à Neuchâtel de 1952 à sa mort, en 1990.
– Martin Bodmer est né en 1899 à Zurich et sa fortune lui permit de collectionner des manuscrits jusqu’à sa mort à Genève, en 1971. Il fonda le Prix Gottfried Keller en 1922 et vint à Genève en 1939 au service du CICR.
– Né au Tessin en 1943, Mario Botta a réalisé de nombreux bâtiments dans le monde, dont le Musée Jean Tinguely à Bâle, le Centre Dürrenmatt à Neuchâtel et le Musée de la Fondation Martin Bodmer à Genève.
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