Entrée libre dans l’atelier parisien de Giacometti
La Fondation Alberto et Annette Giacometti présente au Centre Pompidou et à la Bibliothèque nationale de France une rétrospective inédite de plus de 600 œuvres et de nombreux documents d'archives.
Diverses facettes du travail de l’artiste sont représentées parmi des fragments de l’atelier mythique du plus parisien des artistes suisses du 20e siècle.
«L’atelier était un endroit magique. Il était bien sûr impossible de le recréer mais j’ai voulu mettre l’artiste au centre, qu’on ait l’impression de le voir à l’œuvre.» Mission réussie pour Véronique Wiesiger, directrice de la Fondation Alberto et Annette Giacometti et commissaire de l’exposition.
Qui ne connaît ce beau visage un peu rude d’écorché vif peut le (re)découvrir sur les nombreuses photos du patrimoine Giacometti, présenté pour la première fois de manière aussi exhaustive, quatorze ans après la mort d’Annette Giacometti et une succession rocambolesque.
Un génie énigmatique
Pour célèbre qu’il soit, le monstre sacré reste énigmatique, «extrêmement contradictoire», selon Mme Wiesiger: «Ce génie nous présente des œuvres qui sont, comme il disait, des questions et aucune n’est une réponse».
Plus transparents sont les portraits d’Alberto bébé jusqu’à l’âge adulte, peints par ses bons génies, son père Giovanni et son parrain Cuno Amiet (Hodler était aussi un ami de la famille). Des toiles qu’il a gardé toute sa vie chez lui.
Après la jeunesse et les débuts parisiens, l’exposition se déroule sur un parcours libre: surréalisme, cubisme, têtes, l’homme et l’arbre, forêts et cages, paysages, etc. Peu de grandes sculptures mais beaucoup de projets, de ratés et d’esquisses. «Nous voulions refléter les explorations auxquelles s’est livré Giacometti de 1929 à sa mort, en 1966», explique la commissaire.
La mise en scène soigneuse, avec des jeux de lumière naturelle ou artificielle, donne une impression générale d’harmonie luxueuse. Qui fait ressortir encore le contraste entre l’élégance des formes et la matière inachevée, rugueuse, vaguement sale, des sculptures, plâtres peints, peintures ou dessins, défiant «l’idée du propre, du beau, de l’art», souligne Véronique Wiesiger.
L’atelier mythique
Le tout s’articule autour d’un grand moment d’émotion: la salle centrale recréant l’atelier avec ses meubles et des fragments de murs (récupérés aussi dans les ateliers grisons de Stampa et de Maloja) couverts de graffitis et d’esquisses, une accumulation d’oeuvres sur les murs, au sol, sur des sellettes ou des tables, recréant le fouillis du 46, rue Hippolyte-Maindron, fréquenté autrefois par les grands noms des arts et des lettres.
Après ses études à l’Académie de la Grande Chaumière Antoine Bourdelle, Alberto s’installe en 1926 dans cet atelier avec mezzanine de 25 m2, au toit percé, sans cuisine ni confort, auquel il resta attaché quarante ans, malgré la gloire et l’argent. Une installation définitive (entrecoupée de séjours en Suisse, notamment pendant la guerre), encouragée d’emblée par son père.
Chez lui c’était Paris
«Le fait que son père ait décidé de rester dans sa vallée et de renoncer à une carrière internationale a dû avoir beaucoup marqué son fils, explique Véronique Wiesiger. Leur correspondance montre que le père l’encourage beaucoup à faire ce qu’il aurait peut-être voulu faire lui-même.»
Sa qualité suisse? Véronique Wiesiger a du mal à la voir. «Il aimait ses montagnes et ce qu’il a gardé de son village natal, c’est la proximité de la frontière, car, dans sa vie, il a toujours été près d’une frontière ou d’une autre.»
Pourtant quand le Grison disait «chez moi», c’était Paris. «Mais, rappelle la commissaire, il parlait d’un Paris cosmopolite, capitale européenne des arts.»
Et c’est Paris qui lui permit de rejoindre la cour des grands, l’un des derniers maîtres à l’ancienne et l’un des premiers à soigner sa communication et son image.
Reconnaissance insuffisante
Résultat, Giacometti figure dans les plus grands musées et collections. Cet automne à New York, Christie’s a adjugé «Annette au manteau» (1964) pour 11,2 millions de dollars, un record pour une peinture de Giacometti, dont une sculpture a atteint 18,5 millions au printemps.
Pour Véronique Wiesiger, c’est encore trop peu. «Giacometti n’est pas aux prix qu’il devrait atteindre parmi les autres grands maîtres du 20e siècle, notamment sa peinture qui est pourtant de très haut niveau», regrette-t-elle.
Et d’ajouter: «Giacometti parle des choses importantes, de la fragilité des êtres, de la violence, de la mort, de la vie. Si on a la chance d’en posséder un, on a une parcelle de toute cette réflexion».
swissinfo, Isabelle Eichenberger à Paris
Le Centre Pompidou et la Bibliothèque nationale de France présentent des centaines d’oeuvres de la Fondation Alberto et Annette Giacometti, pour la première fois dix ans après la mort de cette dernière. A voir jusqu’au 11 février 2008.
Parallèlement, l’exposition «Alberto Giacometti, l’oeuvre gravée – Collections de la Fondation Alberto et Annette Giacometti et de la Bibliothèque de France» est présentée à la Bibliothèque de France jusqu’au 13 janvier 2008.
Né en 1901 à Stampa (Grisons), il meurt en 1966 à Coire.
Il étudie les beaux-arts et les arts appliqués à Genève et, dès 1992, à Paris, où il s’installe en 1926 au 44, rue Hippolyte-Maindron. Son frère Diego le suit en 1929 et travaillera toute sa vie à ses côtés.
1931-1935: membre du groupe surréaliste d’André Breton.
1932: première expo monographique à Paris et en 1934 à New York.
1941-1945: revient à Genève, où il rencontre Annette Arm, un de ses modèles préférés qu’il épouse en 1949.
Ensuite, il expose partout et les musées achètent.
1965: création de la Fondation Alberto-Giacometti à Zurich.
1993: mort d’Annette Giacometti.
La Fondation Alberto et Annette Giacometti est une institution privée créée en 2003, après une guerre de succession (pas finie) marquée par la rivalité entre Diego le frère et Annette la veuve (décédée en 1993), puis entre l’association créée en 1988 par celle-ci et l’Etat français.
La collection compte des centaines de sculptures et de peintures, des milliers de dessins et de gravures, d’innombrables documents et l’ensemble de l’atelier parisien.
Le 1er janvier 2008, son centre de recherche ouvrira ses archives aux chercheurs et au public.
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