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Ethique, design et qualité suisse: coll.part frappe

Nina Raeber recycle des couvertures militaires au coeur des Alpes valaisannes. swissinfo.ch

Après les sacs de riz cambodgiens, Nina Raeber recycle des couvertures militaires dans une nouvelle collection de sacs produits dans les Alpes valaisannes. Fidèle aux principes de sa société coll.part, récupération, durabilité et fabrication éthique, la designer ajoute le savoir-faire helvétique.

«Par un jour glacial, je grelottais sur un banc, à attendre un bus qui ne venait pas, les doigts gelés et la goutte au nez, j’ai rêvé d’un sac… un sac qui me tiendrait les mains au chaud. Et voilà!» C’est ainsi que, à partir d’un besoin propre, a jailli l’idée de la troisième collection de la marque éthique coll.part: des sacs confectionnés avec de vieilles couvertures de l’armée suisse,

Deux ans et demi plus tard, voilà que sort Lausanne-Törbel, la troisième collection de Nina Raeber, designer et fondatrice de coll.part.: cinq modèles de sacs à bandoulière pensés à Lausanne et manufacturés dans un atelier artisanal, à Törbel, à 1502 mètres, au cœur des Alpes valaisannes.

L’atout suisse contre la carte exotique

Une gamme présente sur le côté deux sortes de manchons «pour se réchauffer les mains», l’autre une sérigraphie de couleur vive (avec une encre sans solvants) qui tranche sur l’austérité du feutre militaire. Le tout garni de cuir tanné en Suisse et soigneusement doublé d’un tissage de coton bio et de chanvre recyclé.

Ce projet suisse laisse de côté la carte exotique aux couleurs éclatantes des collections précédentes confectionnées avec des sacs de nourriture pour poissons (Cambodge), de riz et de ciment (Burkina Faso) en polypropylène (plastique recyclable). Et qui font un tabac, avec 25’000 exemplaires vendus dans 200 boutiques et 16 pays. (Voir article en lien).

 

Lausanne-Törbel joue l’atout du savoir-faire et de la qualité suisses. «Comme tous mes projets, celui-ci part d’un matériau existant pour le transformer sur le lieu de récupération, explique Nina Raeber. Donc quand j’ai eu l’idée de faire quelque chose avec ces couvertures militaires que je récupère en Suisse, j’ai tout naturellement cherché un producteur en Suisse. Ce serait absurde de les envoyer au Cambodge pour les rapatrier en Suisse.»

Rigueur et cohérence

La designer, qui se définit d’abord comme une «artisane», suit une démarche aussi rigoureuse que cohérente. «Pour moi, c’est important de travailler aussi en Suisse, de conserver des savoir-faire qui menacent de disparaître, après tout, tout le monde se plaint de la délocalisation de la production. Ce n’est pas du tout la mise en valeur patriotique des produits suisses qui m’intéresse, mais bien plutôt la qualité, le souci des finitions et le goût de la belle facture.»

 

Evidemment, les prix de production ne sont pas les mêmes qu’en Asie ou en Afrique, et Nina Raeber a élaboré un produit qui entre dans une gamme moyenne de prix de vente. Le miracle a été rendu possible par la rencontre avec Hans-Jörg Karlen à Törbel.

«Sa petite entreprise du Haut-Valais est déjà très connue pour ses propres sacs en couverture militaire avec la croix suisse, poursuit Nina Raeber. Il connaissait donc bien ce matériau, et il était suffisamment curieux et inventif pour accepter de tester mon projet et il a aussitôt été emballé, donc c’est aussi une belle rencontre avec ce grand professionnel.»

Volet social

Dans un monde où la manière de consommer est de plus en plus remise en question, face à l’énorme gaspillage actuel, la voie est libre aux créateurs et aux artisans qui sauront mettre un matériau en valeur et lui redonner une nouvelle identité propre.

Comme toujours, coll.part compte donc un volet social: les sacs «suisses» sont fabriqués dans l’atelier des Karlen qui emploie une dizaine de femmes de Törben même, ce qui leur évite d’avoir à descendre travailler en plaine. C’est même le plus gros employeur de ce village de 600 âmes! On ne parlera plus ici de commerce équitable mais, précise la designer, d’une «éthique qui veut favoriser l’artisanat local».

«Recycling» et «upcycling»

Dans sa démarche, Nina Raeber se réfère au «recycling». «Le recyclage implique une (re) transformation d’un matériau, mais je fais du «upcycling» (le mot n’existe pas en français), dans le sens où j’utilise un matériau donné et, sans le transformer, lui donne une nouvelle valeur et une nouvelle fonction.»

«Cette démarche de création est très intéressante. L’upcycling a vraiment une connotation de ‘upgrade’ comme on dit dans le business ou dans l’informatique. Cette nouvelle approche, très contemporaine, qui revisite le ‘swiss made’, donne un regain d’intérêt au recyclage, qui s’essoufflait un peu», commente Chantal Prodhom, directrice du Musée de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne (Mudac).

Pour cette spécialiste, le côté ethno-militaro des produits à croix suisse est abandonné pour brouiller les pistes. La couverture militaire est robuste et tient chaud, mais elle gratte désagréablement, ce qui rend intéressant le contraste entre la rusticité de la matière et la qualité de la finition.

Une démarche engagée

«Nina Raeber va plus loin que le recyclage de matériel de l’armée puisqu’elle essaie de faire perdurer le ‘savoir-faire suisse’. C’est une démarche engagée avec une forte dimension sociale, avec une sorte de parallèle entre l’économie du tiers-monde et de nos régions de montagne.»

 

Quant à notre styliste, elle attend avec impatience la réaction du public lors de la présentation de sa nouvelle collection au Salon Ornaris en août à Berne: «On verra si c’est parti, ou si je resterai à me réchauffer les mains toute seule! Mais je suis confiante car je suis fière de ce concept et de ce produit.»

Prochain rêve en route: un «cadeau» sous forme d’une montgolfière de 40 m sur 15 m de diamètre, soit 10’500 m2 de tissu, largement de quoi fabriquer tous les sacs de la terre… à condition de trouver à nouveau le producteur-miracle, sinon en Suisse, alors ailleurs en Europe.

Lausanne. Marque créée à Lausanne par Nina Raeber, 40 ans, diplômée de l’Ecole d’arts appliqués de Genève et créatrice de bijoux au départ.

Recyclage. L’idée de cette «collection particulière» a germé en 2003 lors d’un séjour d’un an à Phnom Penh (Cambodge): recycler des sacs industriels en polypropylène tissé ayant contenu de la nourriture pour poissons.

Cambodge. La collection Lausanne-Phnom Penh propose des accessoires de mode et de maison fabriqués au Cambodge dans un atelier acteur du commerce équitable.

Burkina Fasso. En 2010, naissance de la collection Lausanne-Ouagadougou (Burkina Faso), avec des sacs ayant contenu du riz ou du ciment.

Production. La production atteint 25’000 pièces (40 modèles) par an, vendues par 200 boutiques dans 16 pays, Japon compris, ainsi que dans la boutique en ligne de coll.part.

Törbel. En 2011, lancement de la collection Lausanne-Törbel au Salon Ornaris de Berne, du 14 au 17 août.

 

1951: Titus Karlen ouvre une cordonnerie-sellerie dans le village de Törbel (Valais), à 1500 mètres d’altitude, et confectionne chaussures, sacs, ceintures, sellerie et divers articles militaires.

1998: Hans-Jörg Karlen reprend la palette de produits folkloriques de la société MAGO et prend un nouveau départ avec 4 employé(e)s, aujourd’hui au nombre de 12. Il produit aussi des accessoires de mode.

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