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Etienne Delessert en dessinateur engagé

Connu pour ses dessins pour enfants, père de Yok-Yok, le Vaudois, qui vit aux Etats-Unis depuis plus de vingt ans, pratique également le dessin éditorial. swissinfo.ch accueillera une fois par semaine son regard sur l'actualité internationale et suisse.

«Un artiste ne doit pas être coupé de la vie sociale et politique, au contraire. Dans la mesure où il a une certaine audience, il est important qu’il puisse renseigner, pas tellement sur les faits, mais sur l’humeur du moment dans un pays.»

C’est le but que se propose le dessinateur vaudois d’origine Etienne Delessert – qui vit dans le Connecticut, à quelques heures de New York, depuis 1985 – via sa collaboration avec swissinfo.ch. Dès début septembre, il publiera en effet sur le site un dessin hebdomadaire lié à l’actualité suisse dans le monde.

Ses personnages aux yeux ronds comme des billes, ses animaux tout droit sortis de l’imaginaire d’un enfant anxieux, son trait à la fois précis et aérien et la subtilité de ses couleurs transcriront, «parfois de manière acerbe, parfois de manière amicale», son point de vue sur des thèmes politiques, économiques ou sociaux.

Du Monde à Siné Hebdo

Connu en Suisse et en Europe surtout pour ses dessins de livres pour enfants, pour ses affiches ou pour avoir illustré des livres de Jean Piaget ou d’Eugène Ionesco, Etienne Delessert pratique en fait le dessin de presse depuis de nombreuses années.

Grand lecteur de la presse quotidienne, il dessine notamment pour Le Monde, le New York Times ou le magazine américain Atlantic. Dans un registre moins policé, il collabore également avec le journal satirique français Siné Hebdo.

«Je connais Siné personnellement depuis longtemps. S’il avait pu s’exprimer ici au moment où la guerre d’Irak a commencé, il y aurait été si violemment opposé qu’il aurait peut-être pu influencer l’opinion publique. C’est quelqu’un qui manque aux Etats-Unis. Ici, personne n’est aussi violent que lui, et il l’est avec talent.»

C’est que l’artiste vaudois est de la génération qui a pensé pouvoir changer le monde. «Le problème qui se pose à beaucoup de gens, pas nécessairement engagés dans MSF ou la diplomatie, est qu’on a l’impression que le monde ne va pas toujours bien, mais qu’on est impuissants face à la pauvreté, la cruauté, les catastrophes naturelles», poursuit-t-il.

UBS: loups et oiseaux de proie

Et d’avouer que sa femme, la graphiste américaine Rita Marshall, a un peu raison lorsqu’elle dit que le dessin de presse remplace pour lui une visite chez le psychiatre. Les loups et les oiseaux de proie se multiplieront-ils sous son crayon pour parler de la crise financière et des problèmes d’UBS aux Etats-Unis?

«J’utilise souvent les animaux comme métaphores, notamment pour des portraits qui peuvent être féroces», explique-t-il. En digne élève de 68, c’est donc avec consternation qu’Etienne Delessert observe les agissements des «voyous du grand capital» et la disparition de l’esprit syndical.

Dans l’affaire UBS toutefois, il déplore une «nouvelle attaque contre le système bancaire suisse, même si quelques individus ont sûrement favorisé des transferts d’argent pas toujours légaux.» A ses yeux, la comparaison avec la crise des fonds en déshérence s’impose.

«La technique américaine, c’est de frapper très fort. Quand on joue au tennis en Suisse, on joue pour jouer ou pour gagner, mais pas pour anéantir l’autre. La férocité des attaques a sans doute surpris la diplomatie helvétique, aujourd’hui comme lors de la crise des fonds en déshérence. Il ne faut pas croire que s’est terminé parce qu’on a signé un accord. Les Américains ont dans leur manière de penser le désir de gagner à tout prix et, à la limite, de détruire l’autre. On ne s’en rend pas toujours compte en Suisse», analyse-t-il.

Double national américain et suisse, Etienne Delessert entend consulter régulièrement le baromètre de l’humeur nationale dans les deux pays. A ce titre, il se veut rassurant quant à l’image de la Suisse auprès des Américains.

«Ici, les gens sont infiniment plus en colère contre les banques américaines que contre UBS», note-t-il. Ceci même si la presse en rajoute. «On a l’impression que la presse, et même les grands journaux comme le New York Times, suivent des directives d’en haut. L’utilisation des médias par le Département de la justice et les impôts pour que les gens se dénoncent d’eux-mêmes est extrêmement habile.»

La distance de l’expatrié

A travers ses dessins sur swissinfo.ch, Etienne Delessert se réjouit de pouvoir «communiquer des idées» aux 700’000 Suisses qui, comme lui, vivent à l’étranger. «Je n’irai peut-être pas jusqu’au détail de l’élection du prochain conseiller fédéral, mais je parlerai de ce que je peux ressentir du pays à ce moment-là», explique-t-il.

En tant qu’expatrié, il s’efforcera aussi de faire découvrir à ses compatriotes la manière dont la Suisse apparaît dans l’actualité américaine. «Récemment, l’un des chroniqueurs les plus respectés du New York Times, Paul Krugman, Prix Nobel d’économie, a écrit que l’administration Obama devrait s’inspirer du modèle helvétique pour la réforme du système de santé américain. Cela aurait fait un bon thème de dessin.»

Grâce au sentiment d’être «européen aux Etats-Unis et américain en Suisse», le Vaudois espère en tout cas trouver la juste distance dans ses dessins. Quant à leur côté enfantin, ne vous y trompez pas: ne dit-on pas justement que la vérité sort de la bouche des enfants?

Carole Wälti, swissinfo.ch

Né à Lausanne en 1941, Etienne Delessert est tout à la fois dessinateur et créateur de dessins animés, illustrateur, graphiste, peintre, auteur et éditeur.

Après avoir travaillé dans un atelier de graphisme à Lausanne, il part à Paris à 21 ans et y devient directeur artistique de deux revues.

En 1965, il fait ses bagages pour New York. Dessinant notamment pour Time Magazine, il y vit jusqu’en 1972, puis il revient en Suisse.

A Lausanne, il ouvre alors l’atelier Carabosse, qui occupe une quarantaine de graphistes. Il fonde également une maison d’édition, où il crée les aventures du fameux petit personnage au bonnet rouge Yok-Yok (1979-1980).

Engagé dans la production du premier long métrage d’animation suisse, Supersaxo, il cesse les activités de Carabosse en 1985, après la faillite de l’atelier.

Il quitte la Suisse pour s’établir dans le Connecticut, où il vit encore aujourd’hui.

Un dessinateur ou un peintre que vous admirez ?
Bosch, Brueghel, Daumier.

Un mot que vous évitez de prononcer ?
«Give up». J’ai horreur d’abandonner.

Un animal que vous aimez dessiner ?
J’ai souvent dessiné des chats, mais en fait, je préfère les oiseaux. Chaque oiseau est une sculpture parfaite.

Le lieu où vous vous ressourcez ?
Paris.

La première chose que vous appréciez à votre retour en Suisse ?
La campagne de Peney-le-Jorat, au-dessus de Lausanne.

Avez-vous le film suisse d’animation Max & Co ?
Non.

Un mot pour résumer le monde ?
Chaotique.

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