Gérard Depardieu dépouillé de tout ego
Dans «Je n’ai rien oublié», la star incarne un gardien de maison atteint de la maladie d’Alzheimer. Le film, signé Bruno Chiche, est une adaptation de «Small world», roman de l'auteur zurichois Martin Suter. L’œuvre touche par son sujet mais pas par le jeu de l’acteur.
Une vie usurpée. Gérard Depardieu a connu cela. Pas lui bien sûr, mais son personnage Jean de Florette, qu’il incarna dans le film éponyme de Claude Berri, sorti en 1986. La star jouait alors le rôle d’un bossu revenu dans sa Provence natale pour se refaire une vie au milieu d’une nature qu’il espérait souriante.
Rebelote dans «Small world», film du cinéaste français Bruno Chiche dans lequel Depardieu joue Conrad Lang, un homme lui aussi cabossé par le vol d’une existence promise à un bel avenir.
«Small world» est une adaptation cinématographique du roman éponyme de l’écrivain zurichois Martin Suter, paru en 1998. Bruno Chiche l’a rebaptisé «Je n’ai rien oublié», gardant entre parenthèses «Small world», le titre original. Dommage, car l’original file très bien la métaphore de la petitesse, celle d’une bourgeoisie privée de morale et d’une tête privée de raison.
La tête appartient à Conrad, 60 ans, atteint de la maladie d’Alzheimer. Quant à la bourgeoisie, elle est celle que représentent les Senn, depuis longtemps riches, toujours âpres au gain, prédateurs et cyniques. C’est au sein de cette famille qu’a donc vécu Conrad, fils d’une employée de maison, ami d’enfance de Thomas Senn (Niels Arestrup), héritier, lui, d’un empire industriel.
Brûler le présent
Adulte, Thomas n’a pas abandonné Conrad. Il l’a même tenu de main ferme en lui confiant la garde de l’imposante maison de vacances des Senn à Biarritz. Mais comme le vieux Conrad n’a plus vraiment sa tête, un soir il met involontairement le feu à la maison.
Le film commence par l’incendie qui laisse brûler le présent et fait surgir le passé. Affolé par les flammes, Conrad lâche tout et débarque en trombe dans cette autre propriété de Thomas Senn, lequel donne un bal à l’occasion du mariage de son fils Philippe (Yannick Renier) avec la très belle Simone (Alexandra Maria Lara).
Parmi les invités, une certaine Elisabeth (Nathalie Baye, touchante), ex-épouse de Thomas et mère de Philippe, fraîchement arrivée d’Amérique où elle vit depuis longtemps. A ce bal alourdi par une atmosphère vériste, elle apporte une évanescence mélancolique. Autrefois, elle a très bien connu Conrad, et cela n’échappe pas à Simone.
Sensible, la jeune mariée soupçonne un secret de famille gardé farouchement par Elvira (Françoise Fabian), matriarche qui règne tyranniquement sur les Senn.
S’appuyant sur la mémoire bancale de Conrad-Depardieu, qui défaille aussi bien dans sa tête que dans son jeu, Simone va donc tenter de percer ce secret. Elle remonte petit à petit le fil du temps se heurtant aux fourberies d’un milieu social que le cinéaste observe de manière lisse. Lisse et plutôt douce.
Douceur vs fiel
Pourtant, Martin Suter, l’auteur de ce «Small world», est loin d’être un gentil. On peut lui reprocher de se montrer souvent factuel dans ses romans, mais dans les faits qu’il narre avec «un grand talent de conteur» (selon la formule de Bruno Chiche), il y a toujours une part de fiel. C’est cette part là qui donne une épaisseur à son écriture. Et c’est cette part qui manque au film.
Bruno Chiche s’en défend. Il confie: «Je ne fais pas une transposition exacte du roman. Ce qui m’intéresse, c’est l’Alzheimer de Conrad, cet effritement de la mémoire qui est tragique mais en même temps salvateur car il vous allège la vie et vous libère… en quelque sorte. Je trouve que sur ce plan-là Martin Suter a fait un excellent travail. Il me rappelle de grands auteurs comme Thomas Mann et Thomas Bernhard. L’un et l’autre ont su donner, respectivement dans La Montagne magique et Le neveu de Wittgenstein, une saveur romanesque à une vie hors du temps, à un isolement provoqué par la maladie».
«Je suis moi-même très sensible à cette expérience de l’extrême que j’ai vécue assez longtemps dans un hôpital à la suite d’un accident, poursuit le cinéaste. J’ai donc relu à cette occasion Small world; c’est de là que m’est venue l’envie de le porter à l’écran».
Confier Conrad à Depardieu n’était pas anodin. Bruno Chiche avoue: «J’ai choisi Gérard en raison de ce qu’il représente psychologiquement pour le rôle. Il est un peu cousin du héros, dans ce sens qu’il vit aujourd’hui dépouillé de toute forme d’ego. Pendant le tournage, il parlait beaucoup de la mort de son fils et de celle de quelques proches. Comme son personnage, Depardieu donnait l’impression de flotter entre deux mondes, le présent et le passé»
Multiple. Né à Zurich en 1948, il vit aujourd’hui entre Zurich, Ibiza et le Guatemala.
Scénarios. Après avoir travaillé dans le domaine de la publicité, il réalise des reportages pour Géo et écrit des scénarios pour le cinéaste suisse Daniel Schmid.
Romans. Depuis 1991, il se consacre à l’écriture de romans (La face cachée de la lune, Un ami parfait, Le diable de Milan, Le dernier des Weynfeldt, Le Cuisinier).
Best sellers. Certains de ses livres sont devenus des best-sellers comme Small world pour lequel il a reçu, en 1997, le Prix du canton de Zurich.
Chroniques. De 1992 à 2004, il collabore avec l’hebdomadaire alémanique Die Weltwoche pour lequel il signe une chronique intitulée Business Class. Regroupées sous ce même titre, ces chroniques ont paru en français chez Christian Bourgois. Elles ont fait l’objet d’une adaptation théâtrale.
Traductions. Traduit dans plusieurs langues, il est aujourd’hui un auteur internationalement connu.
France. Réalisateur, producteur et acteur français, né en 1966.
Trois longs métrages. Comme cinéaste il a tourné quatre court-métrages et trois longs métrages: Small World (Je n’ai rien oublié), Hell, Barnie et ses petites contrariétés.
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