Genève accueille un «Immigré» de bronze
Scellée dans le paysage genevois, la statue réalisée par le sculpteur sénégalais Ousmane Sow a été inaugurée fin mai. Installée face à la gare Cornavin, elle cadre bien avec une ville internationale, depuis longtemps terre d'asile.
Assis sur un tabouret, dos à UBS et regard posé sur un journal qu’il tient entre les mains, il est désormais citoyen de Genève, emblème d’une ville riche, ouverte au monde et à ses événements.
C’est en tout cas l’image qu’il laisse au passant, cet homme baptisé l’«Immigré», coulé dans du bronze, né des mains du sculpteur sénégalais Ousmane Sow. Lequel a installé son «Immigré» dans un lieu très animé de Genève, la rue du Mont Blanc, juste devant l’entrée de la gare Cornavin.
Rencontre arlésienne
Artiste sollicité par de nombreux pays, Ousmane Sow sculpte ses statues comme d’autres réclament la justice sociale. C’est à Arles, à l’occasion d’une exposition l’été dernier, que Patrice Mugny (Magistrat en charge de la culture à la Ville de Genève) a connu le sculpteur.
«Je venais de commencer mon année de mairie à Genève, confie Mugny, et je voulais, pour la clore en mai 2008, une ‘pièce’ représentative des sans-papiers. Mais je souhaitais un sans-papier digne. C’est la seule condition que j’ai posée à Sow lorsque je lui ai commandé la statue».
Inauguré donc fin mai, l’«Immigré» prolonge à sa manière le travail entrepris par Mugny, durant son mandat de Maire, en faveur des clandestins. «Ces citoyens de l’ombre», comme il dit, qu’il a voulus placer sous un rayon de soleil. De rencontre en rencontre, le magistrat avait suivi les requêtes d’hommes, et de femmes surtout, venus d’Amérique latine, d’Asie et même des pays de l’Est.
«Genève compte 10.000 sans-papiers, indique Mugny. Ce qui est exceptionnel au regard d’autres villes européennes de la même dimension, et même d’autres villes suisses. Je ne sais pas si, par exemple, l »Immigré’ aurait eu sa place en Valais. A Bâle, en revanche, oui, car c’est également une cité frontière ouverte aux vents étrangers».
L’autre Suisse
Le «droit de cité» pour les sans-papiers n’est pas forcément contesté à Genève. Ces derniers peuvent être évidemment interpelés par la police, mais ils ne sont pas pour autant traqués avec acharnement. «Ils ont accès aux écoles et aux soins médicaux, précise encore Patrice Mugny. De toute manière, hormis quelques extrémistes de droite, il y a ici dans la classe politique un consensus sur la présence des clandestins chez nous. C’est une vieille histoire».
Une histoire qui sidère justement Ousmane Sow. Joint par téléphone à Dakar où il vit, le sculpteur se dit très étonné de certaines facilités accordées, à Genève, aux immigrés non déclarés. «Je croyais, confie-t-il, que la Suisse servait uniquement de coffre-fort à nos brigands de dirigeants. Et voilà que je découvre sa facette humanitaire. Lors de réunions avec des communautés de sans-papiers, ces derniers parlaient avec beaucoup de liberté en présence des représentants de l’Etat».
Ousmane Sow les a écoutés lui aussi, avec sa liberté d’artiste. Son «Immigré», il l’a fait naître sans le carcan de la servitude. «Je voulais sortir de la tête des gens l’image du travailleur qui tire un balai. Mon lecteur de journal est un homme plutôt instruit; il se frotte aux médias et s’intéresse aux événements qui se déroulent dans son pays d’accueil».
Debout devant la statue, on essaie de déchiffrer ce qui lit l’Immigré. Un mot apparaît à la Une de son journal: «Saint-Valentin» Un mot d’amour.
swissinfo, Ghania Adamo
Né à Dakar en 1935.
Il exerce d’abord le métier de kinésithérapeute. C’est seulement à l’âge de 50 ans qu’il décide de se consacrer entièrement à la sculpture. Un art qu’il pratique depuis l’enfance.
S’attachant à représenter l’homme, il travaille par séries et s’intéresse aux ethnies d’Afrique puis d’Amérique.
Son inspiration, il la puise aussi bien dans la photographie que dans le cinéma ou l’Histoire. Son travail a un souffle épique.
Parmi ses oeuvres on signalera «Le coureur sur la ligne de départ», installée au Musée des Jeux Olypiques de Lausanne.
En 2002, il crée, à la demande des Médecins du Monde, une sculpture de Victor Hugo pour la «Journée du refus de l’exclusion et de la misère».
Il travaille actuellement à la réalisation de petites sculptures Nouba et à celle de sculptures monumentales, en hommage aux hommes qui ont marqué sa vie.
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