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Gianni Motti, ou l’artiste du sens

«The Victims of Guantanamo Bay» grave sur l'acier les noms de 759 prisonniers. (Photo La Salle de bains)

Gianni Motti expose à La Salle de bains de Lyon une œuvre en forme de monument commémoratif des 759 prisonniers de la base américains de Guantanamo Bay, à Cuba.

Ce travail impressionnant est l’un des 160 événements organisés par Pro Helvetia dans le cadre de l’opération La belle voisine, présentation d’artistes suisses en France limitrophe.

«The Victims of Guantanamo Bay (Memorial)» se présente sous forme de plaques en acier, dont les contours rappellent le mémorial des victimes des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Mais là, les noms gravés par ordre alphabétique sont ceux des 759 personnes qui ont été ou sont encore détenues dans la base américaine.

Deux des cinq ex-détenus français, Mourad Benchellali et Nizar Sassi étaient invités au vernissage. «Leur présence n’avait rien d’une mise en scène d’hommes en cage. Elle donnait quelque chose de très authentique à ce travail magnifique et très subversif», s’enthousiasme Barbara Polla, politicienne libérale et galeriste de Genève.

Un silence presque insupportable

L’exposition attire du monde, selon Olivier Vadrot, directeur de La Salle de bain: «Ce travail permet une prise de conscience». Confirmation d’un visiteur lyonnais à swissinfo: «De Guantanamo, on ne connaît que des silhouettes oranges, sans visage et sans nom. Cette liste leur rend leur humanité».

Gianni Motti lui-même s’est laissé prendre: «C’était très émouvant, car ils ont reconnu sur la liste des noms de camarades qui y sont encore. Au début du vernissage, le silence était presque insupportable.»

L’idée a germé chez l’artiste italien de Genève lorsque, en mai 2006, le Département américain de la défense a été forcé de publier cette liste, au nom de la loi sur la liberté de l’information.

Louer l’île et chasser les Etats-Unis

En 2004, il y avait déjà eu «Guantanamo Initiative» au Centre culturel suisse à Paris et à la 51e Biennale de Venise. Un projet conçu avec l’artiste bâlois Christoph Büchel qui proposait aux Cubains de reprendre la location de l’île pour en faire un centre culturel.

«Quand j’ai su que les Etats-Unis payaient 4080 dollars par an (non encaissés par Cuba en signe de protestation contre cette occupation depuis 1903), je me suis dit que l’on pouvait, nous aussi, louer l’île et les faire chasser par la justice internationale», explique Gianni Motti.

Des contacts ont été établis, des ministres cubains ont même fait le voyage de Genève. Mais, depuis que Fidel Castro est malade, le projet reste en suspens.

Blogs et réactions agressives

Comme les précédentes provocations, «la dernière» de Motti a suscité des réactions parfois violentes (voir le blog indiqué dans les liens). «Oui, on me reproche de transformer des assassins en héros. Tout ce que je dis, c’est que ce sont des victimes de l’état d’exception instauré par Bush et qui vise monsieur tout le monde, sans aucun motif.»

Et de citer en riant un éditorialiste américain: «Si on continuer d’exporter la démocratie, on peut se demander combien il nous en restera!»

En 2001, il avait aussi exposé des photos de guerre en ex-Yougoslavie rachetées à une agence. «Dommages collatéraux», rappelait qu’un conflit fait encore plus de ravages quand il est oublié car, «là où il n’y a pas d’image, il n’y a pas de représentation», précise Gianni Motti.

Terroriste, manipulateur, pirate, artiste démiurge, etc. Les qualificatifs ne manquent pas. Certaines expositions ont même été fermées. «Je ne fais pas de morale, explique-t-il. Je présente simplement les faits tels qu’ils sont. Je donne des clés aux gens pour trouver la réalité.»

Comme à Abu Graïb

Dans la même veine, «Roland Garros» a fait sensation en 2004 aux Internationaux de tennis à Paris. Pour protester contre la venue du président George W. Bush en France le 5 juin, l’artiste s’est assis à la tribune VIP, la tête enfermée dans un sac, à l’image des détenus d’Abu Graïb, la prison du scandale en Irak.

Autant d’infiltrations dans l’actualité, autant de coups de projecteur impitoyables sur la condition (in-)humaine. Avec compassion, mais toujours avec humour, l’artiste travaille à la fois l’image et la représentation pour nous rappeler la fragilité de notre système de valeurs et de notre vie.

A la mauvaise place au bon moment

Les traces de ce travail dans l’espace et le temps s’exposent et se vendent sous forme de vidéos, de récits documentés par des photos, des sculptures ou des dessins et, surtout, par leurs répercussions dans les médias et les esprits.

«Ma seule limite est de ne pas faire de l’argent sur moi-même. Je ne cherche pas à faire de l’art ‘artistique’, je veux créer de l’art en oubliant l’art, je veux faire un travail qui parle par lui-même et qui ait du sens.»

Bref, Motti aime se «trouver à la mauvaise place au bon moment». Il dérange peut-être certains, mais il faut croire qu’il a sa place puisqu’il expose dans les lieux les plus en vue de l’art contemporain.

swissinfo, Isabelle Eichenberger de retour de Lyon

«The Victims of Guantanamo Bay (Memorial)», La Salle de bains, Lyon, du 12 janvier au 11 mars 2007.

Né en 1958 à Sondrio (Italie), il vit et travaille à Genève.

Autodidacte (il a passé trois mois aux Beaux-Arts de Florence), il travaille depuis 1985 un peu partout dans le monde.

En 2005, il a reçu le Prix Meret Oppenheim de l’Office fédéral suisse de la culture.

Gianni Motti a organisé son propre enterrement, s’est fait passer pour un footballeur au milieu d’un match, a parlé au nom du peuple indonésien lors d’une convention des droits de l’homme de l’ONU à Genève.

En 2005, il a exposé à Art Basel un savon, «Mani Pulite», fabriqué avec de la graisse extraite par liposuccion de Silvio Berlusconi.

«Higgs à la recherche de l’anti-Motti»: en 2005 il se fait filmer parcourant les 27 km de l’anneau de l’accélérateur de particules du CERN à Genève (un proton le fait 11’000 fois en une seconde).

«The Messenger»: en 1999, il a invité un groupe de raëliens à une exposition dans une galerie parisienne. En 2003, le gourou de la secte a participé à une performance avec l’artiste.

«Revendications»: En 1986, la navette Challenger explose en Floride. Gianni Motti revendique l’explosion auprès des médias. En 1992, il avise l’agence Keystone qu’il revendique le séisme qui a provoqué une faille de 74 km en Californie.

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