Gracieuses «Leçons particulières»
Le nouveau roman d'Alain Claude Sulzer dévoile le visage amoureux d'une Suisse intime. Traduit de l'allemand, ce huitième ouvrage de l'auteur bâlois est publié chez Actes Sud.
De roman en roman, Alain Claude Sulzer révèle de la Suisse une vérité profondément intime, loin, très loin fort heureusement des banques, du chocolat, de la propreté… Toutes images stéréotypées auxquelles les œuvres fictionnelles helvétiques ont souvent du mal à échapper.
Alain Claude Sulzer ouvre, au contraire, la Suisse à l’étrange et à l’étranger. Par petits coups, il enlève la peau de ce pays et y observe les cœurs qui battent au rythme des passions amoureuses soulevées par un vent venu d’ailleurs.
Première étape
Ce fut le cas dans «Un garçon parfait», le premier de ses romans traduit en français, publié aux éditions Jacqueline Chambon (Actes Sud) et honoré, en novembre 2008, du Prix Médicis étranger.
Sulzer y raconte, avec une douleur discrète, la rencontre, en 1935, entre Ernest, un Suisse d’origine alsacienne, et Jacob, un Allemand fraîchement débarqué à Giessbach, dans l’Oberland bernois, pour travailler comme serveur au Grand Hôtel. Jacob a quitté un monde menacé par le nazisme. En Suisse, il trouve donc la sérénité et l’amour que lui offre Ernest, «un garçon parfait». Il en profite, puis se montre ingrat.
«Un garçon parfait» lança donc le Bâlois Sulzer sur le marché littéraire francophone. Il faut dire que son traducteur Johannes Honigmann avait réalisé un excellent travail qui contribua vraisemblablement au succès du roman.
Suisse intérieure
Même traducteur et même éditeur pour «Leçons particulières», deuxième ouvrage d’Alain Claude Sulzer à paraître en français, mais dans une traduction qui laisse cette fois-ci à désirer. Ce qui n’empêche pas le lecteur de retrouver le même esprit, la même musique d’âme développée dans «Un garçon parfait».
Même Suisse intérieure, avec néanmoins un changement de décor. Nous sommes ici loin des palaces de Giessbach, mais toujours proches de ces cœurs que Sulzer aime visiblement disséquer.
Là aussi c’est l’histoire d’un homme qui veut se soustraire à une dictature. Non pas au nazisme cette fois, mais au communisme. Nous sommes dans les années 1960. Débarque donc en Suisse un jeune immigré, Leo, échappé d’un pays de l’Est que Sulzer ne nomme pas. Comme il ne nomme pas la petite ville alémanique où va vivre Leo, accueilli bénévolement par des «autochtones» de classe moyenne. C’est toute une Suisse qui va alors se réveiller, persuadée de la justesse de sa mission humanitaire.
Il y a d’abord les Giezendanner, famille d’accueil. Il y a ensuite les Dubach, Martha, son mari Walter et leurs deux enfants. Martha se propose de donner, là aussi gratuitement, des cours d’allemand à Leo. Il a une vingtaine d’années. Elle en a trente-sept et s’ennuie déjà dans son couple.
Tremplin
On vous laisse deviner l’amour qui va lier l’élève et sa maîtresse. Elle l’aidera à échapper à sa solitude d’immigré. Lui, la révèlera à elle-même. C’est peut-être le seul service qu’il lui aura rendu, involontairement certes. Car pour le reste, il saura se montrer, comme le Jacob d’«Un garçon parfait», suffisamment opportuniste. Suffisamment ingrat aussi. Seule compte ici l’ambition personnelle.
Mais au-delà de l’ingratitude, se profile dans ces «Leçons particulières» la silhouette d’une terre intérieure, la Suisse, représentée dans l’enchevêtrement des destins individuels, nationaux et étrangers. Un pays où s’ancrent volontiers, les élans, les passions, la lente mélancolie, l’espoir fragile, puis soudainement l’embellie et l’évasion.
Car chez Sulzer, l’immigré accueilli s’échappe – comme par enchantement. Il prend son envol pour un ailleurs qu’il souhaite plus brillant. La Suisse lui a donc servi de tremplin. Pourquoi pas finalement, n’étaient les vies cassées que gardent sur les bras ceux qui restent.
Ghania Adamo, swissinfo.ch
«Leçons particulières» d’Alain Claude Sulzer.
Traduit de l’allemand par Johannes Honigmann.
Editions Jacqueline Chambon (Actes Sud), 253 pages
Bâle. Né en 1953 à Riehen, près de Bâle où il vit.
Bilingue. Mère française, père suisse. Il grandit entre deux langues et deux cultures.
Le livre. Il fait ses études à l’Université de Bâle où il exerce par la suite le métier de bibliothécaire, avant de se consacrer à la critique littéraire et à la traduction. Il a traduit notamment «Ragotte» de Jules Renard et deux tomes du Journal de Julien Green.
Allemagne. En 1977, il part vivre en Allemagne où il restera une vingtaine d’années.
Huit romans. Il est l’auteur de huit romans, dont deux traduits en français: «Un garçon parfait», qui a reçu le Prix Médicis étranger (2008) et le Prix Schiller (Suisse, 2009), ainsi que «Leçons particulières». Les deux sont publiés chez Actes Sud.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.