Hans Erni s’est envolé
Hans Erni est mort samedi à Lucerne à l’âge de 106 ans. Artiste virtuose, écologiste et pacifiste, il laisse une œuvre foisonnante et décorative, inspirée par le sport et la Grèce antique. Ce qui lui a valu une notoriété mondiale.
Le Lucernois s’est endormi paisiblement dans la clinique Hirslanden St-Anna à Lucerne. Il venait de fêter son anniversaire en février. Plein de vigueur jusqu’à son dernier souffle, l’artiste dessinait tous les jours dans son atelier.
L’année passée, il a encore réalisé et offert une « Colombe de la jeunesse » érigée à quelques mètres de la vigne à Farinet, à Saillon dans le canton du Valais.
Sa production artistique mêle sculptures, gravures, affiches, lithographies, céramiques, décors d’opéra, tapisseries, motifs de médailles et même des timbres-poste. Illustrateur de plus de 200 livres, ce créateur s’est aussi épanoui dans la réalisation de peintures murales monumentales.
Sa fresque « panta rhei » l’illustre admirablement. Sur 30 mètres de long et 2,5 mètres de haut, l’œil découvre une synthèse culturelle où se côtoient 35 grands esprits dont Einstein, Freud, Galilée ou Confucius. L’œuvre a été dévoilée en 1979 au Musée des transports, à Lucerne.
L’artiste a séduit un large public par la force de son trait, sa virtuosité et ses allégories pleines de vitalité. Souvent superposé sur fond de dessin technique, son art figuratif est accessible à tous, centré sur l’être humain.
La mythologie grecque, le sport, les sciences ou la protection de l’environnement ont inspiré le Lucernois. Malgré une grande notoriété, son travail a souvent été mal reçu par les critiques, certains reprochant à Hans Erni de n’avoir pas su se renouveler. Lui-même estimait ce grief injuste.
Un sportif de l’art
Hans Erni a vu le jour le 21 février 1909. Il passe une enfance heureuse dans une famille pauvre. Il a sept frères et sœurs, son père est mécanicien sur les bateaux vapeurs du lac des Quatre-Cantons. Le sport occupe très tôt une large place dans la vie de Hans Erni qui s’est toujours considéré davantage comme un sportif que comme un artiste.
Ancien champion de Suisse centrale de saut à ski et de ski de fond, le Lucernois a en outre remporté deux fois le titre de champion national de hockey sur gazon. Il a même obtenu un brevet d’aviateur.
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« En votre âme et conscience », Hans Erni sur Radio Suisse Internationale, 23 juillet 1977
«Etre artiste, disait-il, est un privilège.» Par ses créations, il ambitionnait d’apporter de la joie, d’être utile, de contribuer à la dignité humaine.
La capitale des arts
Après une formation d’architecte et de géomètre, Hans Erni séjourne à Paris à la fin des années 1920. Il étudie ensuite à Berlin. Déjà passionné par la Grèce antique, il signe ses œuvres du pseudonyme « françois grèques ».
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Hans Erni a 100 ans
Artiste d’avant-garde, il participe à la création du groupe « abstraction-création » en 1932 à Paris. Il rencontre Picasso, Braque, Arp, Brancusi, Kandinsky, Moore ou Calder. Il appartient par la suite à « Allianz », mouvement fondé à Zurich en 1937 pour promouvoir l’art abstrait en Suisse.
Deux ans plus tard, spectaculaire revirement: il revient au figuratif avec une peinture murale longue de 100 mètres commandée pour l’Exposition nationale de Zurich. Intitulée « Die Schweiz, das Ferienland der Völker » (La Suisse, pays de vacances des peuples), cette œuvre marque le début de sa notoriété en Suisse.
Après la Deuxième Guerre mondiale, il devient marxiste. Le régime de terreur de Staline et le comportement dogmatique des communistes lui font cependant changer d’opinion. Cet engagement le prive durant vingt ans de commandes des pouvoirs publics. En 1961, on lui reproche encore sa « déroute politique et intellectuelle ».
Son propre musée
Il réussit toutefois – une rareté pour un artiste vivant – à ouvrir en 1979 son propre musée Lien externedans le Musée des transports de Lucerne. Quelque 300 œuvres y sont hébergées ainsi que les archives de l’ensemble de sa création graphique.
Père de famille, Hans Erni a été honoré à plusieurs reprises. Il a notamment reçu le Grand Prix Europe arts plastiques (1982), la Médaille de la Paix des Nations Unies (1983), le prix du meilleur timbre-poste mondial (1988) et une médaille d’or pour l’ensemble de son œuvre remise par le Comité international olympique en 1992.
Il est devenu en 2004 citoyen d’honneur de la ville de Lucerne. En 2005, il reçoit à Saint-Paul-de-Vence en France, où il possède une résidence secondaire, une médaille d’honneur pour l’ensemble de son œuvre. La même année, il est récompensé par un « LifetimeAward » dans le cadre des SwissAward.
Hommages
Alain Berset, conseiller fédéral (ministre) en charge de la Culture: «Hans Erni mettait son immense force créative au service de ses convictions politiques. Quand je l’ai rencontré, nous avions notamment échangé autour de la force du mouvement, dans son art, puis dans la politique et dans la vie en général. C’est parce que tout se transforme, c’est parce que tout change qu’il n’y a de stabilité que dans le mouvement.»
Léonard Gianadda, président de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny, qui exposait régulièrement Erni: «C’était un formidable artiste, qui a gardé sa fraîcheur jusqu’au bout. Il était devenu un ami intime, dont j’appréciais l’humanisme et la droiture. C’était un philosophe exceptionnel».
Pierre Keller, ancien directeur de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne: «J’ai toujours apprécié sa gentillesse et son intérêt à suivre ce qui se faisait chez les jeunes artistes. C’était un dessinateur exceptionnel et il a apporté énormément au graphisme. Ce qu’il faisait avait l’air si facile et élégant qu’il n’a pas toujours été pris au sérieux».
Franco et Fredy Knie junior, directeurs du Cirque national suisse: «Il était fasciné par le monde du cirque. Le manège des chevaux a fortement inspiré ses créations. Entre 1996 et 2009, il a conçu des affiches pour le cirque. Il a fait partie de la famille».
Moritz Leuenberger, ancien conseiller fédéral: «C’était une personne exceptionnelle par son engagement humaniste, et donc politique, en tant que citoyen. Il représente comme personne d’autre les 100 dernières années de la Suisse».
(sources: ATS, Le Matin, Aargauer Zeitung)
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