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«L’enfant sauveur est une figure très populaire dans la littérature»

Harry Potter est en quelque sorte l'Heidi moderne. Keystone

Alors que nous vivons une époque marquée par une grande incertitude politique et sociale en Europe, deux classiques de la littérature suisse pour enfants sont portés sur grand écran en l’espace de quelques mois: «Heidi» et «Une cloche pour Ursli». Simple coïncidence? La professeure Ingrid Tomkowiak analyse la popularité de ces films qui mettent en scène la Suisse d’antan.

«Une cloche pour Ursli»Lien externe, sorti au mois d’octobre, est déjà entré dans le cercle fermé des dix films suisses les plus vus sur grand écran. Le 10 décembre prochain, c’est une énième adaptation d’un autre classique de la littérature pour enfants, «Heidi»Lien externe, qui fera sa première au cinéma. Ces deux œuvres, qui mettent en scène de splendides paysages alpins et un enfant qui surmonte plusieurs difficultés pour arriver à une fin heureuse, présentent de nombreuses similitudes.  

Tournés en plein air et en dialecte, les deux films insistent sur les vertus réparatrices de la nature. Ils marquent également le retour des ‘Heimatfilms’, ces œuvres patriotiques et nostalgiques des années 1950 et 1960. Les explications d’Ingrid Tomkowiak, professeur à l’Institut des études de culture populaire de l’Université de Zurich.

swissinfo.ch: Comment peut-on expliquer ce quasi renouveau des films nostalgiques et patriotiques en Suisse?

Ingrid Tomkowiak: On observe ce phénomène à chaque crise, qu’elle soit économique, politique ou même sanitaire. Lorsque le monde apparaît comme incertain, que les gens ne savent pas si la paix perdurera ou s’ils pourront conserver leur emploi, le besoin de trouver un endroit où l’on se sent en sécurité augmente. 

Pour Ingrid Tomkowiak, la littérature est pleine de figures marquantes qui ne deviennent jamais surannées ou inintéressantes. UZH

On recherche un lieu de guérison dans le monde et celui-ci se trouve généralement près de chez soi, dans un environnement naturel qui soit le plus intact possible. Ce n’est donc pas un hasard si ces films mettent en scène une communauté villageoise ou un endroit isolé dans les Alpes, des lieux à l’écart de toutes les exigences de la vie quotidienne.

swissinfo.ch: L’immigration est un sujet largement débattu en Suisse et en Europe en ce moment. Pensez-vous que cela ait un impact sur la popularité de films qui se penchent sur une époque où la mixité était beaucoup moins forte?

I.T.: C’est peut-être un facteur. Les gens se sentant menacés par les migrants sont certainement à la recherche de ce paradis perdu. C’est d’ailleurs dans les régions comptant le moins d’étrangers que l’initiative contre l’immigration de masse a connu son plus grand succès le 9 février 2014.

Mais les films dont nous parlons ici, soit Heidi et une Cloche pour Ursli, ouvrent bien d’autres perspectives. Les classiques de la littérature pour enfants sont prisés des cinéastes. Pratiquement chaque génération a son propre Heidi. C’est devenu un classique du cinéma.  

swissinfo.ch: Existe-t-il des différences entre ces deux films et les ‘Heimatfilms’ des années 1950 et 1960?

I.T.: Absolument. Les films des années 1950 et 1960 ont été réalisés sous l’influence de la Seconde Guerre mondiale. Le public avait besoin d’opposer son ressenti de peur, de menace et de paysages délabrés à une nature et des personnages réparateurs. C’est pour cette raison que les ‘Heimatfilms’ de l’après-guerre mettaient fortement en évidence le conflit villes-campagnes. La famille nucléaire y était omniprésente: les femmes n’avaient pas de travail permanent, les enfants n’étaient jamais laissés sans autorité, etc.

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Les nouveaux ‘Heimatfilms’ se concentrent davantage sur les problèmes contemporains. Le modèle familial a évolué depuis cette période. Les gays et les lesbiennes sont ainsi présents dans ces nouveaux ‘Heimatfilms’, les entreprises y font faillite, les banques sont mises à l’index car elles font couler des exploitations agricoles.

Avec Heidi, les choses sont évidemment un peu différentes car c’est un film pour enfants et qu’il se base sur une œuvre littéraire. Toutefois, le fossé entre la ville et la campagne n’est plus autant souligné, du moins les villes ne sont plus diabolisées. Les protagonistes sont heureux lorsqu’ils peuvent quitter l’agitation des villes pour se rendre à la campagne, mais ce n’est pas la fin du monde lorsqu’ils y retournent!

La vie est par ailleurs toujours simpliste et idyllique et les choses désagréables passées sous silence, mais pas autant que dans les années 1950 et 1960.

swissinfo.ch: Heidi a été tournée près d’une douzaine de fois. Pourquoi la petite héroïne suisse reste-t-elle aussi populaire?

I.T.: Heidi traite un certain nombre de thématiques fortes: la relation entre la ville et la campagne, que l’on retrouve souvent dans la littérature, mais aussi les orphelins, le rôle réparateur de la nature. Il y a aussi ce grand-père traumatisé qui est en quelque sorte sauvé et réintégré dans la société par son petit-enfant.

Cette figure de l’enfant sauveur est très populaire dans la littérature. Il suffit de penser à ces bambins qui parviennent à éviter le divorce de leurs parents ou à réconcilier les membres de leur famille. Ou même dans la littérature fantastique à ces enfants qui sauvent le monde entier!

La littérature est pleine de figures marquantes qui ne deviennent jamais surannées ou inintéressantes. Dans le cas d’Heidi, s’ajoute le fait que les romans ont déjà connu un succès international considérable. Une fois que le sujet s’est établi de lui-même, il est facile de rebondir sur son succès. 

Les ‘Heimatfilms’ allemands

Les ‘Heimatfilms’, ces films nostalgiques et patriotiques, étaient très populaires dans les pays de langue allemande entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début des années 1970. Ils étaient toujours tournés en plein air, généralement dans les Alpes ou en Forêt noire.

Sentimentaux et moralement simplistes, ils mettaient l’accent sur l’amour, la famille, l’amitié et une vie rurale restée à l’écart des problèmes de la réalité, de la guerre et des destructions. Un bon et un méchant se battaient invariablement pour une fille, et le bon gagnait toujours. De nombreux films du cinéma indien se sont inspirés de ce modèle.

La Suisse, qui n’a pas été gravement affectée par la guerre, a produit sa part de films patriotiques au cours des années 1950 et 1960. Plus récemment, on y a développé un sous-genre baptisé ‘New Heimatfilm’, qui se concentre sur les différences de mode de vie entre les régions urbaines et rurales (souvent alpines) du pays et les défis que cela implique. On peut citer notamment dans cette catégorie de films Nur ein Sommer (2008), Sennentuntschi (2010), L’Enfance volée (2011), Clara et le secret des ours (2012) ou encore Les frères noirs (2013). 

(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)

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