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Henri Cartier-Bresson, un regard décisif

La ville d'Aquila dans la région des Abruzzes, Italie, 1951. swissinfo.ch

Plus de 50 ans après une première exposition dédiée au photographe, le Museum für Gestaltung à Zurich présente une large rétrospective de l’œuvre d’Henri-Cartier Bresson. Balade au fil des travaux de l’homme au Leica, un des photographes les plus marquants du 20ème siècle.

En Espagne, à Séville, en 1933, un groupe d’enfants qui batifole derrière un gosse avec des béquilles de bois, figés en plein mouvement. Leurs rires, suspendus pour l’éternité, semblent pourtant résonner dans la large salle du Museum für Gestaltung. Une illustration parfaite de la photographie d’Henri Cartier-Bresson et de l’«instant décisif». Un concept développé dans son célèbre premier livre Images à la sauvette (1952). Mais qui marque dès le début l’œuvre de l’artiste.

«J’ai soudain compris que la photographie peut fixer l’éternité dans l’instant», écrit-il en 1977 à Joan Munkácsi à propos d’une image de son père, Martin Munkácsi. Un cliché de trois jeunes noirs immobilisés dans leur course en direction du lac Tanganyika, en 1930.

Un pionnier

Conquis par la photographie, l’artiste français traquera alors l’image. Chasseur, il se fond dans le paysage, il attend, puis lorsque le moment est saisissant, la composition parfaite, il «shoote» avec son maniable Leica.

«Je n’ai aucun message à délivrer, rien à prouver. Voir et sentir, et c’est l’œil surpris qui décide», écrit le photographe, dont le regard unique a laissé son empreinte sur le 20ème siècle. Pionnier du photojournalisme et excellent portraitiste, Henri Cartier-Bresson s’impose surtout comme un compositeur hors pair, avec des images esthétiques et techniques, mais aussi des clichés qui racontent des histoires, des bribes de vie.

L’exposition zurichoise rend parfaitement compte du photographe sous toutes ses facettes. Ceci en présentant environ 300 images puisées dans l’ensemble de l’œuvre de l’artiste, accompagnées de ses reportages dans les magazines Du (magazine culturel suisse-alémanique) et LIFE ou encore de films.

La où il faut quand il faut

Mexique, Espagne, Etats-Unis, Indonésie, Inde, Chine, Russie, Europe, le parcours se divise au gré des contrées explorées par l’artiste bourlingueur. Il se déroule comme le fil de sa vie. Des clichés du début, dans les années 30, qui saisissent la misère d’un bas quartier de Mexico, à un reportage sur la Suisse (publié dans le magazine Du) qui prend notamment le pouls de Zurich dans les années 60, en passant par des clichés qui montrent la crue réalité d’une Amérique morcelée ou la tension liée à la chute du Kuomintang.

Avec un flair aiguisé, Henri Cartier-Bresson se trouve toujours là où il faut, au bon moment, que cela soit pour la fin d’un régime, la mort d’une sommité, le reflet d’un passant ou l’accroche d’un regard. L’intuition peut-être. Comme celle du Mahatma Ghandi lorsqu’il rencontre le photographe, une heure avant son assassinat. Et s’arrête sur un cliché de Paul Claudel qui croise un corbillard, puis récite trois fois «la mort, la mort, la mort».

Une façon de vivre

«Photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire, la tête, l’œil et le cœur. C’est une façon de vivre», dira Henri Cartier-Bresson. L’artiste cadre le quotidien pour en tirer des condensés d’histoire. Pour ce faire, il s’essaiera même au cinéma. D’ailleurs, ses deux films de propagande républicaine, réalisés durant la guerre civile espagnole, Victoire de la vie (1937) et L’Espagne vivra (1938), sont aussi présents à Zurich. Tout comme Le Retour (1945), son film majeur, un reportage sur le retour des déportés de la Seconde Guerre mondiale.

Une guerre qui s’incarne aussi par la présentation d’un fac-similé du célèbre Scrapbook, un carnet d’esquisses où le photographe arrange les photos qu’il présentera à New York en 1947. En effet, le Musée d’Art Moderne de New York (MoMA), croyant Henri Cartier-Bresson mort durant la guerre, décide de lui consacrer une exposition posthume. Une aubaine pour le photographe, prisonnier évadé du camp des Allemands, mais vivant.

Une histoire en une fraction de seconde

D’ailleurs, c’est dans la foulée de l’exposition qu’il crée la réputée agence Magnum Photos, avec Robert Capa, David Seymour, George Rodger et William Vandivert. Les grands photographes se partagent le monde, Henri Cartier-Bresson part à la découverte de l’Asie.

Il photographie la mort de Ghandi, le théâtre balinais ou le peuple chinois sous la pression d’un régime politique qui s’écroule. Un regard qui en capte des centaines. Et qui se faufilera même en 1954, en URSS, derrière le Rideau de fer. Il rendra compte de la vie quotidienne des travailleurs et de l’ombre de dirigeants communistes tout puissants. A Léningrad, en 1973, il saisit un homme et son enfant, surplombés par l’énorme effigie de Lénine, d’une hauteur étouffante.

En une image, Henri Cartier-Bresson livre une époque. Comme il parvient dans ses portraits à percevoir ses sujets. «Faire un portrait est pour moi la chose la plus difficile. C’est très difficile. C’est un point d’interrogation posé sur quelqu’un», affirme-t-il. Truman Capote, Alberto Giacommetti, Henri Matisse, Pablo Picasso, l’œil affuté a pourtant réussi à rendre subtilement des caractères alambiqués. Personnalités ou anonymes, le cadrage est toujours millimétré, la mise en scène idéale et le «tir» magistral.

«Je suis toujours un prisonnier évadé», affirme le photographe dans le documentaire d’Heinz Butler qui lui est consacré Henri Cartier-Bresson, Biographie d’un regard (2003). C’est peut-être pour cette raison qu’il a toute sa vie si bien maîtrisé la traque de l’instant décisif.

Henri Cartier-Bresson (HCB) naît le 22 août 1908 à Chanteloup, en Seine-et-Marne. Il fait ses études secondaires au lycée Condorcet à Paris, mais n’obtient pas de diplôme. Il étudie ensuite la peinture pour laquelle il se passionne très vite. «Je peignais les jeudis et les dimanches, le reste du temps je rêvais», affirme-t-il dans le documentaire d’Heinz Butler, Henri Cartier-Bresson, Biographie d’un regard (2003).

1931, il prend ses premières photographies en Côte d’Ivoire. Puis retourne en Europe et se consacre à cet art. Plus tard, aux Etats-Unis, il s’initiera aussi au cinéma avec Paul Strand. En 1936, il sera le second assistant de Jean Renoir sur le film de propagande communiste Une partie de Campagne.

1940, il est fait prisonnier en France par les Allemands. Il réussit à s’évader en 1943, après deux tentatives qui ont échoué. Il récupère alors son Leica, qu’il avait enterré dans les Vosges. Et en 1946,  Il part aux Etats-Unis pour compléter l’exposition «posthume» que le Musée d’Art Moderne de New York avait prévu de lui consacrer, le croyant mort à la guerre.

1947, Il fonde l’agence coopérative Magnum Photos avec Robert Capa, David Seymour, William Vandivert et George Rodger. Il passe ensuite trois ans en Orient. En 1954, il est le premier photographe occidental admis en URSS.

1955, il réalise une première exposition en France. En 1956, il est exposé au Musée des arts appliqués de Zurich (actuel Museum für Gestaltung).

1974, il laisse de côté son appareil photo pour se consacrer au dessin.

2003, la Fondation Henri Cartier-Bresson ouvre ses portes. Elle a été créée par le photographe, sa femme, Martine Franck et leur fille, Mélanie.

2004, le 3 août HCB meurt à Monjustin, en Provence.

Lieu et conception. 

La rétrospective est à voir à Zurich au Museum für Gestaltung, dans la Halle, du 8 avril au 24 juillet 2011. Elle a été élaborée par les commissaires d’exposition Christian Brändle, directeur du Museum für Gestaltung à Zurich et Robert Delpire, éditeur et directeur artistique à Paris. Elle réunit environ 300 images du photographe.

 

Concerts. En parallèle à la rétrospective, le musée propose également des concerts en lien avec les goûts musicaux d’Henri Cartier-Bresson, notamment des concerts de piano avec les compositions de Johann Sebastian Bach ou Maurice Ravel.

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