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Hugo Pratt et Corto font escale à Paris

Quand Corto Maltese toise la Madeleine... swissinfo.ch

Pour la première fois depuis 1986, Paris accueille une grande rétrospective consacrée à Hugo Pratt, le créateur de Corto Maltese. A (re)découvrir jusqu’au 21 août à la Pinacothèque, le dessinateur et l’auteur bien sûr, mais aussi, le maître de l’aquarelle.

Dans un environnement marron aux reflets lie-de-vin, Corto Maltese vous observe.

Qu’importe si le décor était originellement prévu pour une exposition consacrée aux «Masques de Jade Maya» du Mexique, dont les tensions diplomatiques entre Mexico et Paris ont eu raison. La couleur de la terre – de la Terre – convient aussi à Corto Maltese le bourlingueur.

Corto Maltese est maltais. C’est-à-dire méditerranéen et britannique. Une façon pour Hugo Pratt, l’homme aux multiples origines, de projeter plus aisément une partie de lui-même dans sa créature.

«C’est bien d’être un bâtard. Vous pouvez puiser à plusieurs cultures, à plusieurs traditions», dit Hugo Pratt dans le film que présente la Pinacothèque. Dans le sang de Pratt se mêlaient des globules italiens, français, anglais, espagnols, turcs. Et, dès 1984,  de l’oxygène suisse, puisque c’est à Grandvaux, au-dessus du Lac Léman, qu’il a passé l’essentiel des onze dernières années de sa vie.

Voyages

L’exposition parisienne, «Le voyage imaginaire d’Hugo Pratt», propose 150 aquarelles. Il y a l’ocre des déserts et le bleu de la mer. Le blanc des mouettes et la peau noire des femmes. Le beige des uniformes coloniaux. Les camaïeux orangés des couchers de soleil en Amérique ou en Asie…

En six sections thématiques – Désert, Iles et océans, Militaires, Villes, Femmes, Indiens – l’exposition fait le tour de la planète Terre selon le prisme d’Hugo Pratt, ce Vénitien qui fait «confiance à l’eau».

«Les Indiens, par exemple, c’est un thème qu’il a dessiné depuis tout petit jusqu’à ses dernières aquarelles. Les femmes, on les retrouve dans toutes ses histoires. La mer est un thème essentiel de Corto, mais aussi de ‘L’homme des Caraïbes’. Bref, on a effectivement pensé que ces six thèmes permettaient d’inclure la quasi totalité de son œuvre», explique  Patrizia Zanotti, co-commissaire de l’exposition avec Patrick Amsellem, jointe par téléphone à New York.

La Pinacothèque n’est pas vraiment un endroit voué a la bande dessinée… Cela a-t-il suscité une approche particulière? Il faut toujours tenir compte du lieu dans lequel on fait une exposition. Là, on a mis plus de poids sur les aquarelles de Pratt, parce que cela va un peu plus dans le sens d’un musée, mais surtout d’un public qui fréquente un musée», répond Patrizia Zanotti, par ailleurs directrice de la société Cong SA à Lausanne, qui gère l’œuvre de Pratt.

Art mineur?

Mais le dessin est également bien présent dans l’exposition. Depuis «Ann de la jungle», où Pratt emprunte encore beaucoup aux Comix américains de son enfance, à la saga Corto Maltese qu’il n’est plus besoin de présenter.

A noter en particulier une salle entière consacrée à l’intégralité des planches originales de La ballade de la mer salée, œuvre de 1967 où apparaît pour la première fois le héros à la boucle d’oreille. Cent soixante-trois planches juxtaposées. Spectaculaire.

Exposer les dessins d’Hugo Pratt à la Pinacothèque, Patrizia Zanotti y tenait. «Pratt s’est toujours opposé à cette notion d’art mineur ou d’art majeur. Le fait d’arriver là prouve qu’on peut considérer la bande dessinée comme un art complet», dit-elle.

Histoire de couper court à la critique, le directeur des lieux, Marc Restellini, le dit haut et fort en l’affichant: «Il s’agit (…) de montrer que c’est la qualité de l’individu qui lui donne son statut d’artiste et non l’art dans lequel il exerce». On s’en réjouit. Mais il écrit néanmoins juste ensuite que son musée n’a pas vocation à accueillir des expositions sur la bande dessinée. «Seulement Hugo Pratt et uniquement lui», dit-il. Preuve que les préjugés demeurent.

«Souvent, on demandait à Hugo Pratt s’il était davantage peintre, ou dessinateur, ou auteur de BD… Parfois, on lui demandait même pourquoi ‘il n’écrivait pas’. Alors il se fâchait un peu, en disant qu’il écrivait, à sa manière, avec le dessin», se souvient Patrizia Zanotti.

 

«Pour moi, le dessin est aussi une calligraphie, c’est une autre sorte d’écriture, une écriture avec d’autres moyens», peut-on lire sur un mur.

Réalité et imaginaire

D’un côté, le dessin noir et blanc d’Hugo Pratt. De l’autre, ses aquarelles, alternant couleurs luxuriantes ou motifs jouant d’infimes nuances. Il peut paraître paradoxal qu’Hugo Pratt, l’homme au dessin graphique, stylisé, épuré, soit aussi un incroyable aquarelliste.

 

«Dans le dessin, Pratt avait cette aptitude à jouer du noir de façon très ‘expansionniste’. Et cela on le trouve aussi dans les aquarelles: dans l’aquarelle, il faut aller très vite, parce que l’eau sèche vite. Il y a effectivement une grande opposition visuelle – le noir très fort contre l’aquarelle toute en nuances – mais dans le geste et dans l’immédiateté, il y a quelque chose de commun», analyse Patrizia Zanotti.

«J’aime l’aquarelle dans ce qu’elle a d’immédiat. Dans une aquarelle, il faut être spontané, et réussir tout de suite. On ne peut rien corriger», disait Hugo Pratt, en voyant de surcroît dans l’aquarelle une dimension qui lui était existentielle: «L’eau, c’est important pour moi. C’est pour ça que je suis aquarelliste».

Corto le maltais, Hugo le Vénitien, militaires d’Abyssinie, Indiens de Virginie, Rimbaud, Saint-Exupéry, Marina Seminova en Sibérie, Esther dans le Trastevere… Dans l’œuvre et la vie d’Hugo Pratt, réalité et imaginaire se mêlent en permanence. En sortant de la Pinacothèque, la tête vous tourne un peu. Et vous revient alors cette phrase du Vénitien de Grandvaux: «Je raconte toujours la vérité comme si c’était une chose fausse».

Paris.Le voyage imaginaire d’Hugo Pratt est à voir jusqu’au 21 août à la Pinacothèque de Paris, 28 Place de la Madeleine.

Lugano. Une autre exposition, Il mondo di Hugo Pratt nei viaggi di Corto Maltese, sera présentée du 7 juillet au 2 octobre 2011 au Museo d’Arte de Lugano. Elle permettra de partir sur les traces de Corto grâce aux photos de Marco D’Anna.

Italie. Hugo Pratt est né le 15 Juin 1927 près de Rimini. Il passe son enfance à Venise.

Abyssinie. A 14 ans, il est enrôlé par son père dans la police coloniale italienne en Abyssinie. Il en revient en 1944.

Comics. Après la guerre, il crée avec quelques compagnons le Groupe de Venise, dans le but de produire des «comics» à l’américaine.


Argentine. En 1949, le groupe part s’installer en Argentine à l’initiative d’un éditeur argentin. Pratt y créera un grand nombre de séries et y enseignera.

Corto. De retour en Italie en 1962, c’est en 1967 qu’il publie les premières planches de La ballade de la mer salée dans une revue italienne. Corto Maltese est né. Il vivra dans 29 albums dont le dernier, , paraît en 1988.

Illustrateur. Pratt a illustré de de nombreux textes – poésies de Kipling, sonnets érotiques de Giorgio Baffo ou les Lettres d’Afrique de Rimbaud.

Grandvaux. En 1984, Hugo Pratt s’installe à Grandvaux, village du Lavaux.

  

Helvétiques. En 1987 paraît Les Helvétiques,  28e aventure de Corto Maltese, dont l’action se déroule principalement au Tessin.

Cimetière. Décédé en août 1995, Hugo Pratt est enterré dans le cimetière de Grandvaux.

 

Place Hugo Pratt. Aujourd’hui, le village salue sa mémoire à travers une place à son nom ornée d’une statue de Corto Maltese, et d’un Caveau Corto.

 

Cong SA. L’œuvre d’Hugo Pratt est gérée par la société Cong S.A., basée à Lausanne, créée par Hugo Pratt lui-même et sa coloriste et assistante Patrizia Zanotti. Rue Mauborjet, la société jouxte le Cinéma Cine Qua Non et son Bar Corto.

 

Raspoutine. A noter à Lausanne également l’existence d’une de la Librairie Raspoutine. Pratt avait accordé à son patron, Lorenzo Pioletti, le droit d’utiliser l’image de ce personnage.

 

Wazem. En 2005, le Genevois Pierre Wazem a publié une suite à la série de Pratt Les scorpions du désert, un épisode intitulé Le chemin de fièvre.

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