«J’ai des affinités avec les auteurs américains»
Genevoise de naissance, Parisienne d'adoption, Pascale Kramer, qui passe beaucoup de temps en Amérique, a de multiples facettes. Publiciste, elle est aussi romancière et publie, chez Mercure de France, son dixième roman «L'Implacable brutalité du réveil». Entretien.
Pour faire sauter la serrure d’une prison dorée, Pascale Kramer s’introduit à pas feutrés chez un jeune couple qui vit dans la volupté d’un appartement américain, en Californie.
Il y a là Richard, sa femme Alissa et Una, leur bébé de cinq semaines. Tout semble rose dans cet univers presque parfait, sauf qu’Alissa perd petit à petit ses repères après la naissance de son enfant.
Eclatement de la cellule familiale, quête de sens, impasses métaphysiques, impuissance devant le temps qui passe : autant de sujets qui reviennent régulièrement dans l’écriture de Pascale Kramer et qui hantent aussi son dixième roman « l’Implacable brutalité du réveil » paru, en janvier, aux éditions Mercure de France.
Entretien avec une femme qui sait allier les exigences de deux métiers aussi divergents que complémentaires.
swissinfo : Les derniers romans que vous avez publiés, comme «Les Vivants», «Fracas», ou «L’Adieu au Nord», portent sur la psychose domestique, une thématique chère à certains écrivains américains d’aujourd’hui, tel Jonathan Franzen. Est-ce une coïncidence?
Pascale Kramer: Il faut dire que je passe trois ou quatre mois par an à Los Angeles où je représente des auteurs français pour des adaptations cinématographiques. Hollywood est un monde qui me fascine, il n’est donc pas impossible que mon travail d’écriture s’en ressente. D’ailleurs quand j’ai commencé à lire les auteurs américains, longtemps après mes débuts de romancière, j’ai vite senti plus d’affinité avec eux qu’avec la littérature française, peut-être parce que les Américains sont davantage ancrés dans le quotidien. La psychologie n’est pas vraiment mon univers, mais cette «névrose» dont vous parlez est surtout liée à ma propre perception des choses. Je suis une personne très angoissée, et la cohabitation est pour moi asphyxiante, je la trouve chargée de tension, douloureuse. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si je vis seule depuis longtemps. J’adore les gens, mais en même temps j’ai besoin de me tenir à distance.
swissinfo: Pour vous, «l’enfer c’est les autres», comme dirait Sartre?
P.K.: Il est vrai que je suis beaucoup plus en paix avec moi-même qu’avec les autres. Et il n’est pas impossible que mes romans soient un moyen d’évacuer cette appréhension que j’ai de la vie de couple. Ceci dit, je considère que même en se montrant attentif et généreux envers son prochain, on reste dans l’anxiété. C’est éprouvant.
swissinfo: Dans «L’Implacable brutalité du réveil» vous parlez très bien du «baby blues», cette déprime profonde qui saisit souvent les jeunes mamans juste après leur accouchement. Est-il facile d’aborder ce sujet lorsqu’on n’est pas soi-même mère?
P.K.: Faire des enfants représente pour moi une responsabilité énorme. Je ne suis sans doute jamais devenue complètement adulte, parce que je ne me suis jamais sentie capable de prendre cette responsabilité-là. L’idée de mon dernier livre m’est justement venue à Los Angeles, un jour où j’allais visiter une amie qui venait d’avoir un bébé.
En l’observant, j’ai pensé : «Mais qu’est-ce qu’on fait si tout d’un coup on réalise que mettre au monde est un choix irréversible et qu’on a peut-être fait une erreur?». J’avais l’impression de vivre à la fois mon amour des enfants et la crainte de ne pas être à la hauteur d’un devoir maternel.
swissinfo: A vos débuts, vous étiez plutôt théâtrale dans vos livres, surtout si l’on pense à « Variations sur une même scène », écrit en 1982. Depuis, quelle évolution voyez-vous dans votre écriture ?
P.K.: Au fil du temps, je me suis débarrassée d’une certaine violence qui habitait mes livres. Avec « Manu » par exemple, publié en 1995, je réglais des comptes. Aujourd’hui je me sens plus en équilibre avec ma vie. D’où peut-être ce désir de ne plus parler de moi et de me pencher plutôt sur les problèmes que peut avoir l’être humain en général.
swissinfo: Vous êtes également publiciste. Comment marie-t-on ce métier et le travail d’écrivain?
P.K.: Je ne suis plus dans le monde des agences qui d’ailleurs ne m’a jamais vraiment convenu. Mon travail actuel consiste à rédiger des plaquettes publicitaires, ce qui me plaît car il y a là une légèreté dont j’ai besoin. Je connais certains auteurs qui essaient de vivre de leur plume. Ce n’est pas mon cas. Je ne peux pas écrire tout le temps, il me faudrait alors un réservoir d’idées colossal.
Pour moi, il est donc nécessaire de garder un contact avec la vie réelle, de continuer à fréquenter d’autres milieux qui échappent au monde littéraire, souvent impitoyable. J’ajouterai que la rédaction de plaquettes, qui exige un jonglage avec différents genres stylistiques, m’a aidé à mieux maîtriser la langue.
swissinfo: Vous vivez à Paris depuis une vingtaine d’années. Si on vous demandait de rentrer en Suisse aujourd’hui, le feriez-vous volontiers ?
P.K.: Je ne ferai certainement pas la fine bouche. Et je choisirai Genève parce que c’est une ville très cosmopolite avec une belle qualité de vie. Mais bon… ça ne me gênerai pas non plus de vivre à Los Angeles. Je me rends compte que dès qu’on commence à s’expatrier le lieu ne pose plus un problème. Ce qui est important, c’est d’avoir des amis là où on se trouve.
swissinfo, Ghania Adamo
«L’implacable brutalité du réveil» de Pascale Kramer, éditions Mercure de France.
Pascale Kramer sera l’invitée de la Maison de la Littérature de Genève (MLG) qui l’accueille au Parnasse le 16 février, à 20h.
Lausanne. Née à Genève en 1961, elle fait ses études scolaires et universitaires à Lausanne.
Séguéla. Elle s’essaye d’abord au journalisme, puis se lance dans la publicité et s’installe à Zurich où elle passe 6 ans dans l’équipe de Jacques Séguéla.
Paris. De passage à Paris pour son travail, elle décide d’y rester.
Depuis 1987, elle exerce, parallèlement à son travail de romancière, le métier de conceptrice en publicité.
Livres. Ses premiers romans ont été publiés en Suisse, aux éditions de L’Aire notamment.
Prix. Elle est lauréate du Prix Dentan 1996, pour son roman «Manu». Elle a également reçu, en 2001, le Prix Lipp pour «Les Vivants»
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