Jeff Koons entre art et populisme
Jeff Koons fait partie des artistes contemporains les plus connus. Certains le considèrent comme une icône du néo-pop, d’autres comme un artiste kitch et ordinaire. La Fondation Beyeler lui consacre une grande rétrospective dans un esprit à la fois ludique et révérencieux.
«Jeff Koons rend l’art accessible au grand public. Il est extrêmement inventif en termes d’idées et important en tant qu’artiste», explique Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler.
Le musée bâlois – l’un des plus visités de Suisse – présente cinquante œuvres de Jeff Koons. Un joli succès, si l’on pense que bon nombre d’entre elles ont été prêtées par des collections privées et pèsent plusieurs tonnes. Le résultat est un mélange étonnant entre l’art exubérant de Jeff Koons et l’élégance discrète des locaux dessinés par l’architecte Renzo Piano.
Cette rétrospective retrace trois périodes artistiques de Jeff Koons, de nombreuses variations sur le thème du «ready-made» qui s’inspire des œuvres de l’artiste français Marcel Duchamp. L’idée de Duchamp selon laquelle l’art est dans les yeux de celui qui regarde est centrale chez Jeff Koons. Pour l’Américain, les objets réclament notre présence pour «exister en tant qu’art» et sont là pour nous aider à «élargir nos possibilités».
New
Dans la première période, dénommée The New (1980-1987), on trouve des aspirateurs et d’autres appareils électroménagers couchés ou posés verticalement sur des tubes néon et enfermés dans des vitrines cubiques en plexiglas. Leur lueur fluorescente jette une lumière froide sur le portrait couleur sépia d’un Koons enfant ainsi que sur la fausse publicité qui tapisse un mur de la salle. L’artiste met le public au défi d’observer ces objets d’une manière plus fraîche.
«Jeff Koons les appelle appareils respiratoires», explique Theodora Vischer, qui a supervisé l’exposition avec Sam Keller. La curatrice parle de la qualité androgène des objets exposés, qui repose sur l’image de la sexualité qui poursuit Koons depuis la publication de Made in Heaven, une série d’images explicites de l’artiste avec son ex-femme Ilona Staller (la Cicciolina).
Banality
La deuxième série, Banality (1988), voit défiler des compositions en bois et porcelaine qui ont valu à Jeff Koons le titre de «roi du kitch», car réalisés par des maîtres artisans en Italie et en Allemagne dans un style digne d’une église baroque du 17e siècle. Y sont représentés des personnages fameux du cinéma, de la chanson, des dessins animés et jusqu’à des jouets et des symboles de la société de consommation.
Il ne pouvait manquer dans cette série l’imposante sculpture en porcelaine Michael Jackson and Bubbies (le roi de la pop et son singe) ou celle de la star du cinéma muet Buster Keaton sur un cheval de bois. Ours en peluche, chérubins, panthères et sirènes viennent compléter la scène.
«La première chose que je veux faire comprendre au spectateur, c’est que ces objets sont parfaits», explique Jeff Koons à swissinfo.ch. Mais en même temps, ceux-ci sont vides et peuvent donc faire office de conduit, de transpondeur. «Chaque chose ici est une métaphore de notre culpabilité et de notre honte culturelles, poursuit l’artiste. Il s’agit de dépasser les jugements pour créer son propre moment parfait.»
La série Banality a propulsé l’artiste américain sur la scène internationale, avec des expositions simultanées dans des galeries connues de Chicago, New York et Cologne. Les critiques étaient déconcertés et, d’ailleurs, beaucoup regardent aujourd’hui encore avec scepticisme les œuvres de Jeff Koons.
Sam Keller rejette pourtant ces jugements négatifs. «Jeff Koons n’est pas un artiste kitsch, dit-il. Sa grande qualité est de briser la frontière entre culture élisite et culture populaire». Et le directeur de la Fondation Beyeler de lancer un appel: «Je vous demande d’observer attentivement son travail, d’essayer de rapporter des faits et des opinions, pas des commérages.»
Celebration
L’exposition bâloise se termine avec la série intitulée Celebration, commencée il y a vingt ans et que Jeff Koons poursuit encore aujourd’hui. Cette période débute après sa rupture avec la Cicciollina, partie en Italie avec leur fils Ludwig. Elle est le symbole d’une distance difficile à accepter et d’un retour à l’enfance.
C’est ainsi que l’on retrouve les objets typiques de cette phase de la vie: cœurs, ballons en forme de chien, gâteaux d’anniversaire, chapeaux de fête ou encore œufs de Pâques qui sont célébrés au travers de sculptures et de peintures surdimensionnées.
Les sculptures créent une illusion de légèreté, mais en réalité elles sont faites dans un acier chromé inoxydable et pèsent plusieurs tonnes. Chacune fait partie d’une série de cinq versions uniques réalisées dans une couleur différente. Quant aux peintures à l’huile, si grandes que la plupart ne passeraient même pas la porte d’un garage, elles sont hyperréalistes, à un degré presque insupportable.
Il y a une candeur charmante dans le parc à jouets de Jeff Koons, même si la perfection des objets peut sembler écrasante. «La première chose que ces objets veulent transmettre est l’affirmation de votre existence, commente l’artiste. Voilà pourquoi j’utilise des surfaces réfléchissantes. L’intérieur devient l’extérieur: nous sommes ready-made.»
Présence magnétique
Agé de 57 ans, de taille moyenne et de silhouette fine, Jeff Koons a un sourire engageant regard de constant émerveillement. Au vernissage de l’exposition, il est accompagné de son épouse Jasmine et de leurs cinq enfants, tous âgés de moins de dix ans.
A pas tranquilles, vêtu élégamment, il traverse les salles les unes après les autres et se fait immortaliser par les photographes dans des poses élaborées et bien calculées. Ses œuvres pâlissent devant sa présence magnétique, donnant l’impression que la chose la plus impressionnante dans son art, c’est peut-être lui-même.
Né en 1955 en Pennsylvanie, Jeff Koons vit et travaille à New York comme sculpteur, peintre et artiste.
Beaucoup le considèrent comme une icône du néo-pop, un témoin ironique du style de vie américain. Son style, souvent qualifié de kitch, puise ses racines dans le ready-made de Duchamp, le dadaïsme et le pop’art.
Beaucoup de critiques considèrent cependant son art cynique et à bas coût.
Jeff Koons a été traduit à plusieurs reprises en justice pour violation du droit d’auteur, par trois photographes et par les propriétaires de la série Garfield. Il a été jugé coupable trois fois.
L’artiste a été reconnu publiquement. Quelques-unes de ses œuvres principales sont installées dans le Palais des papes d’Avignon, au Musée Guggenheim de Bilbao et au Rockefeller Center de New York. Il s’est aussi vu décerner la croix de Chevalier de la légion d’honneur en 2007 et a été nommé membre honoraire de la Royal Academy de Londres trois ans plus tard.
La rétrospective organisée par la
Fondation Beyeler de Bâle présente cinquante de ses œuvres. Elle a lieu du 13 mai au 2 septembre 2012.
«J’ai fait ce qu’auraient fait les Beatles s’ils avaient fait de la sculpture. Personne n’a jamais dit que la musique des Beatles n’était pas de haut niveau, et pourtant, elle a séduit un public de masse. Voilà ce que je veux faire.» (1990)
«J’utilise le baroque pour montrer au public que nous nous trouvons dans le domaine du spirituel, de l’éternel. L’Église se sert du baroque pour manipuler et pour séduire, mais en contrepartie, elle offre au public une expérience spirituelle.» (1990)
«Pour moi, préserver l’intégrité d’un objet, c’est ne pas intervenir dessus. Quand je travaille avec un objet, je veille toujours soigneusement à ne pas l’altérer, ni physiquement ni psychiquement. Je cherche à mettre en évidence un certain aspect de sa ‘personnalité’.» (1986)
«Au début des années 80, j’ai été de plus en plus sensible à ma responsabilité à l’égard de l’objet, mais au milieu des années 80, j’ai pris conscience que mon vrai centre d’intérêt est le spectateur, l’individu.» (2005)
«Quand je réalise une œuvre d’art, je cherche à transmettre au spectateur un sentiment de confiance à travers sa qualité artisanale. Je ne veux en aucun cas qu’en regardant une image ou une sculpture, on perde en quelque sorte confiance dans l’œuvre.» (2000)
Source: Fondation Beyeler
(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)
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