Jenny Holzer franchit un cap chez Beyeler
L'artiste conceptualiste américaine Jenny Holzer, toujours très politique, est à l'honneur de la Fondation Beyeler de Riehen (aux portes de Bâle). Une première pour une artiste femme, et très féministe.
Elle est vivante, elle est de sexe féminin et à l’honneur à la Fondation Beyeler de Riehen: l’Américaine Jenny Holzer, 59 ans, cumule les exceptions.
Depuis l’ouverture du musée en octobre 1997, elle n’est que la cinquième artiste contemporaine à être exposée dans le cadre d’une rétrospective dans les murs dessinés par Renzo Piano, – et la première femme dans ce cas.
Mais cette native de l’Ohio vivant à New York, lauréate du Lion d’Or de la Biennale de Venise en 1990, connue à Paris et ailleurs pour avoir «décoré» Le Louvre pour les vingt ans de la Pyramide, s’inscrit parfaitement dans l’histoire de l’art des dernières décennies, qu’elle a marquée par son inventivité technique et la force de son message.
Elle s’y inscrit même si bien que l’entrée dans l’exposition se fait par un choix d’œuvres de la collection Beyeler. Jenny Holzer a notamment choisi «L’enlèvement des Sabines» de Picasso (1962), qui l’inspire manifestement dans sa réflexion sur les victimes de guerre.
«Explicite mais pas didactique»
A l’école d’art, elle était, raconte-t-elle, «incapable de peindre assez bien», et le langage, déjà expérimenté précédemment, «est revenu comme une manière de continuer à travailler.»
«Je veux beaucoup de choses en même temps: laisser l’art à l’extérieur pour le public, être explicite mais pas didactique, […] être drôle et ne jamais mentir», explique-t-elle dans un entretien avec Benjamin Buchloch publié dans le catalogue de l’exposition. «Je me suis concentrée sur ce que l’art traditionnel ne peut faire dans les espaces publics.»
Depuis la fin des années 70, elle n’a pratiquement pas dévié de cette profession de foi, réinventant sans cesse le moyen trouvé pour la mettre en œuvre: d’abord, des posters et des slogans sur des t-shirts, mais surtout, dès 1982, les lampes «LED» (light-emitting diodes).
Sa première œuvre, projetée sur écran géant à Times Square à New York, proclamait, entre autres, «Abuse of power comes as no surprise» («L’abus de pouvoir ne vient pas par surprise»). Jenny Holzer ne laisse jamais indifférent.
Dans le quartier de Wall Street, un slogan affirmait «It’s not good to live on credit» («Il n’est pas bon de vivre à crédit») – «Ce n’était qu’un texte sur cent, mais les réactions ont été très fortes», a évoqué, en souriant, Jenny Holzer lors de la conférence de presse à Riehen.
La rétrospective de Beyeler, la première organisée en Suisse, permet de voir comme son art s’est transformé de projections en deux dimensions en objets très plastiques, et même «incarnés».
Pour ses installations «d’intérieur» (elle projette aussi des textes monumentaux à l’extérieur), Jenny Holzer ne se contente pas d’un texte unique défilant ou non sur un plan unique.
Elle superpose, varie les supports, nuance les vitesses de défilement, change les couleurs. Le texte devient sculpture.
Promenade avec du texte…
L’œuvre la plus «parlante» est vraisemblablement le «For Chicago» (2007) réalisé pour le Museum of Contemporary Art de la ville du Michigan, qui recouvre le sol. Les textes montent ou descendent (selon la place du spectateur) sur des bandes lumineuses posées par terre.
Le visiteur qui marchera au rythme du texte aura l’impression d’avoir un compagnon de promenade – les lettres deviennent «corps».
Ailleurs, («Red Yellow Looming», 2004), les vitesses différentes de plusieurs lignes créent des vagues. Dans «Purple», le texte suit un support courbe entre la paroi et le sol.
Quels textes? Jenny Holzer, qui n’écrit plus elle-même, se base sur des rapports gouvernementaux pour dénoncer, ici la torture, là le négoce du pétrole ou d’armes.
La violence contre les femmes fait l’objet de plusieurs réquisitoires, le plus marquant étant – exceptionnellement – non électronique: dans «Lustmord», l’artiste a disposé des os humains, portant des textes gravés sur de l’argent, pour évoquer les femmes victimes de viols et de meurtre pendant la guerre en ex-Yougoslavie.
Parfois, dans les œuvres électroniques, il est pratiquement impossible de lire. Le texte est stressant, inquiétant, peut-être menaçant, comme les mots qu’il véhicule.
Jenny Holzer s’est aussi mise à la peinture, avec des sérigraphies – là encore – très politiques: elle a agrandi des copies de documents déclassifiés du gouvernement américain, qui portent des marques de censure lorsqu’il s’agit de noms.
Agrandis, ces censures deviennent monstrueuses, mais aussi presque abstraites, comme les mains de «Hand», 24 peintures inspirées de clichés de soldats américains accusés de crimes au Proche-Orient.
Les textes géants qui seront projetés à Bâle, Zurich et Binningen (Bâle Campagne) devraient être plus poétiques: depuis quelques années, Jenny Holzer travaille avec des poètes, comme l’Américain Henri Cole, ou des écrivains, comme l’Autrichienne Elfriede Jelinek. L’artiste lance par ailleurs aussi une œuvre d’art par SMS.
L’ancienne cavalière émérite de l’Ohio, même lorsqu’elle affirme que l’électronique est un «cauchemar personnel», a de toute évidence trouvé de quoi surmonter tout ce qui pourrait faire obstacle à son expressivité.
Ariane Gigon, Riehen, swissinfo.ch
Née en 1950 à Gallipolis, Ohio, Jenny Holzer a notamment étudié à la Rhode Island School of Design. Elle vit et travaille à New York.
Dès son arrivée à New York à la fin des années 70, elle travaille avec de nombreux collectifs d’artistes, dont le groupe Colab.
Investissant l’espace public avec des slogans projetés en toutes lettres, elle utilise la technique LED depuis 1982.
Lauréate du Lion d’or à la Biennale de Venise en 1990, elle a aussi réalisé une œuvre pour le Campus Novartis de Bâle.
Des installations permanentes sont à voir, entre autres, au Bundestag de Berlin, ou au Musée Guggenheim de Bilbao.
Depuis 1996, Jenny Holzer réalise aussi des projections lumineuses en plein air.
Conçue avec le Museum of Contemporary Art de Chicago, l’exposition y a été présentée en automne 2008, puis, au printemps 2009, au Whitney Museum of American Art de New York.
Après Riehen (jusqu’au 24 janvier), elle sera montée au printemps 2010 au Baltic Museum de Newcastle en Angleterre.
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