Klimt, Schiele et les autres dans la Vienne de 1900
Klimt et Schiele sont les têtes d’affiche de la nouvelle exposition de la Fondation Beyeler, de Riehen, près de Bâle. Mais le propos va bien au-delà: grâce à d’autres artistes de la Sécession, c’est le bouillonnement de la modernité viennoise qui est mis en lumière.
Après Venise, en hiver 2008-2009, voilà une nouvelle «déclaration d’amour à une ville», comme l’a dit le directeur de la Fondation Beyeler, Sam Keller, lors de l’ouverture de la nouvelle exposition, Vienne au tournant du 20e siècle. «C’est une des époques les plus passionnantes de l’histoire de l’art», a-t-il poursuivi.
Mais ce qui fait la particularité – et tout l’intérêt – de la nouvelle exposition, c’est son analyse thématique du concept d’«œuvre d’art totale», fusion de plusieurs arts qui n’était pas nouvelle en soi, à la fin du 19e siècle, mais qui allait acquérir des traits particuliers à Vienne.
Les artistes ayant fait «sécession» avec l’académisme privilégièrent la scénographie privée et l’intervention de l’art dans le quotidien aux grandes œuvres totales qui couraient le risque de servir des propos politiques… A une époque où Freud bouleverse les esprits, le privé, le drame sentimental – et ils sont légions chez ces artistes – le mal de vivre sont la matière même des œuvres.
La plus difficile à organiser
Les Bâlois sont parvenus à réunir 320 tableaux, dessins, photos et objets invitant à un véritable voyage dans le passé. Le Leopold Museum de Vienne, qui abrite la plus grande collection Schiele du monde, a prêté 80 œuvres.
Si Ernst Beyeler, décédé en février dernier, n’a jamais placé de Klimt ou de Schiele dans sa collection, le collectionneur a «mis toute sa réputation et toutes ses relations en jeu» pour réaliser cette exposition, «la plus difficile que nous ayons eu à mettre sur pied», a révélé Sam Keller.
Outre les prix d’assurance, le fait que les œuvres soient aux mains d’un nombre relativement faible de musées et d’institutions et que de nombreuses villes cherchent actuellement à organiser des expositions sur Klimt et Schiele (Budapest, Melbourne, New York) a rendu le travail difficile.
Un «vrai» Café viennois
Pour que le dépaysement soit complet, la Fondation Beyeler a recréé un café viennois, avec pâtisseries ad hoc, au sous-sol. «Finalement, nous aurions pu faire cinq expositions avec ce que nous avons», a lâché la commissaire d’exposition Barbara Steffen.
Outre les deux «stars» Klimt et Schiele, l’exposition montre – entre autres – le reste de la «famille»: Oskar Kokoschka, Richard Gerstl, Arnold Schönberg, dont le pinceau expressionniste est moins connu, mais pas moins bouleversant, que la musique, vers laquelle il se tournera ensuite définitivement.
L’exposition s’ouvre sur une reproduction de la «Frise Beethoven» de Klimt, créée pour la bâtiment de la Sécession et la première exposition des membres du nouveau mouvement. Ce contexte est encore explicité dans une autre salle, avec la maquette du bâtiment, connu pour sa coupole de feuilles dorées.
Inachevés
Klimt a droit à trois salles, contenant une cinquantaine de toiles, de dessins et d’esquisses. Pour la première fois, les portraits de Ria Munk sont exposés côte à côte, dont l’un sur son lit de mort.
Le troisième de ces portraits n’est pas terminé: c’est Gustav Klimt qui est à son tour décédé, laissant de nombreux inachevés. Les traits brouillons de la robe, qui reste beige, contrastant fortement avec les éléments de décor colorés, peuvent être lus métaphysiquement comme le passage de la vie colorée à la poussière grise…
Vingt toiles et plus de cinquante dessins d’Egon Schiele, le «solitaire», selon Barbara Steffen, sont aussi exposés. La force expressionniste et dramatique des corps peints par le jeune homme fauché par la grippe espagnole à 28 ans reste, d’exposition en exposition, intacte.
Une toile vaut, à elle seule, le déplacement à Riehen: dans «Les Ermites» (1912), Schiele se présente avec Klimt, tous deux enlacés sous un seul manteau noir.
Elisabeth Leopold, veuve du collectionneur Rudolf Leopold, a résumé les relations entre les deux hommes: «Klimt a été bien plus populaire que Schiele. Il était beau, charmant, aimé par les femmes. Mais ce n’était pas l’Autriche: il manque dans ses œuvres la mélancolie et la mort qui sont si fortes chez Schiele.»
«Klimt et Schiele sont partis sur des chemins complètement opposés, même s’ils s’aimaient, a-t-elle poursuivi. Ce sont deux sensibilités différentes. Un marchand avait demandé à Schiele de modifier «Les Ermites», en lui disant qu’en l’état, il était invendable. Schiele a répondu: «Ce tableau est né de la profondeur de mon âme et je n’y changerai rien.»
On recense trois mouvements de «sécession» dès 1892 à Munich, Berlin et Vienne, lancés par des artistes dissidents opposés à l’académisme des associations d’artistes traditionnels.
A Vienne, Gustav Klimt fut le premier président de l’Association des artistes plasticiens d’Autriche, fondée en 1897.
Les buts de la Sécession étaient – notamment – d’encourager les échanges internationaux entre artistes, de lutter contre le nationalisme, de renouveler les arts appliqués et de créer des «œuvres d’art total», fusionnant plusieurs formes d’art.
L’exposition «Vienne 1900, Klimt, Schiele et leur temps», à voir jusqu’au 16 janvier 2011, est une vaste rétrospective du bouillonnement artistique de la capitale viennoise au tournant du 20e siècle.
Chronologiquement, les 320 œuvres présentées vont de la création de l’Association des artistes plasticiens d’Autrice en 1897 à la fin de la première guerre mondiale.
Outre des maquettes d’architecture, des éléments de décor et des objets d’arts décoratifs, l’exposition présente d’innombrables tableaux et dessins. Les dessins érotiques sont accrochés dans un «salon» quelque peu à l’écart.
Le coeur de l’exposition est consacré à Gustav Klimt (1862-1918).
Egon Schiele (1890-1918) a été le protégé de Klimt.
En 1912, Schiele sera condamné injustement à 3 jours de prison pour «détournement de mineure» et 21 jours pour «diffusion de dessins immoraux».
Schiele et sa femme, enceinte de 6 mois, mourront à 3 jours d’intervalle en 1918, de la grippe espagnole.
Autre protégé de Klimt, Oskar Kokoschka (1886-1980), peintre, graveur et écrivain expressionniste, est également présent chez Beyeler, avec notamment un «Autoportrait» de 1917.
Le compositeur Arnold Schönberg (1874-1951) a aussi peint avant de se consacrer exclusivement à la musique. La force du «Regard» (1910) n’a rien à envier à celle du «Cri» de Munch.
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