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L’Amérique entre tignasses et tendresse

Devandra Banhart. MJF

Avec Bonnie Prince Billy et Cie, folk et routes de campagne ont investi lundi un Montreux Jazz Festival d’ordinaire plus porté sur les autoroutes musicales.

Une soirée en forme de gros plan sur le songwriting d’une autre Amérique.

Le Montreux jazz festival est plus un propulseur de carrière, une mèche aux fesses, qu’un découvreur de talents. Mais cette année peut-être plus que d’autres, à travers une manière de festival dans le festival, il souligne au stabilo l’émergence de pointures musicales.

Avec la programmation déclinée au Miles Davis Hall (deuxième scène en importance), on passe des autoroutes du show business musical aux chemins moins carrossables.

On l’a vu en matière de Hip Hop (Will Calhoun’s AZA, The Roots), de musiques brésiliennes (Seu Jorge), on le verra ces prochains jours avec Jamie Lidell par exemple (electronica).

Histoire de barbus

Lundi, ces voies non conventionnelles passaient par l’Amérique profonde. Des voies/voix qui doivent sans doute beaucoup à l’éthno-musicologue Alan Lomax – inspirateur du renouveau folk dans les années soixante et qui, jeune, trimbalait des kilos de matériel sous le bras pour documenter l’âme musicale de cette Amérique profonde justement.

Une soirée donc toute entière consacrée aux nouveaux « Kings of Folk » version début du 21e siècle, cette famille toujours plus étendue qui trouve en Will Oldham (campagnard barbu et asocial) une figure tutélaire et Devendra Banhart (autre barbu, christique celui-là) le grand frère exemplaire.

Premier constat: la tendresse version US, ça existe bel et bien encore. Les festivaliers – qui n’avaient pourtant pas tous le cheveux long et la larme à l’oeil lundi – peuvent en attester.

Des comptines au chant d’opéra

Comme mise en bouche, les festivaliers avaient droit à un sucre d’orge. Seule en scène, derrière sa harpe géante, Joanna Newsom donne l’impression d’avoir dix ans tout juste, jupe et débardeur en macramé, le cou lourd de dizaine de pendentifs au moins.

Quand elle chante et joue, elle se mue en une sorte de Bjork qui n’hésite pas à forcer sa voix pour conquérir le public avec ses comptines malines et ses oiseaux de mer. « A funny little thing », comme dit sa chanson, qui ne demande qu’à grandir encore.

Voix nasillardes et chant d’opéra, les soeurs Casady incarnent une version mutante et post-moderne de la précédente. Entêtantes, déclinées en version bruitiste et luxuriante (sampler omniprésent), les ritournelles des CocoRosie ont quelque chose d’hypnotique.

Crescendo

Hypnotique, ou plutôt charismatique, tel apparaît Devandra Banhart, sorte de Che Guevara sautillant – vibrato léché, « gratte » aimable, compositions minimales.

Avec ses frères de fortune à la tignasse XXL 100% seventies tout comme lui, le jeune Américain passé par les contrées latina n’évite pas toujours le cliché folkeux-psychédélique, avec posture d’inspiré rigoureusement toc.

Mais son charisme justement et l’énergie crescendo de son concert évitent au spectateur non averti de croire le tout débarqué du musée.

De musée, il n’en est pas question avec Will Oldham, alias Bonnie Prince Billy, qui vient poser sa voix de velours sur un tapis de guitares distordues (la sienne et celle du très inspiré Matt Sweeny). Il est minuit bien sonné et le roi de la folk (mâtinée de bluegrass) est couronné.

Un concert qui voit passer l’amour, la mort et les étoiles. Le trop rare Will Oldham vibre de plaisir, hurle avec les loups. Sa musique est habitée, tellurique, entre tensions et ruptures. Un seul mot résume cette part d’Amérique: beauté. Cela faisait longtemps.

swissinfo, Pierre-François Besson à Montreux

Le 39e Montreux Jazz Festival a lieu jusqu’au 16 juillet.
Il se décline en une multitude de lieux: le coeur de la manifestation, le Centre des congrès (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), mais aussi le Casino Barrière pour les concerts plus spécifiquement jazz.
La fête se prolonge en général au ‘Montreux Jazz Café’ ou au ‘Montreux Jazz Club’.
Et c’est sur plusieurs scènes le long des quais que se tient le festival off, gratuit, rebaptisé depuis peu ‘Montreux Jazz Under The Sky’.
Parallèlement aux concerts proprement dits, des concours instrumentaux et des workshops ont lieu chaque année.

– Will Oldham, alias Bonnie Prince Billy et autres noms d’oiseaux, est un artiste complet (musicien, acteur, auteur). En quinze ans de carrière, ce gars du Kentucky né en 1969 est devenu la référence des amoureux du néo-folk. Sans doute l’un des musiciens-chanteurs les plus passionnants de la scène US actuelle.

– Né au Texas, à 23 ans, Devandra Banhart a cinq disques à son actif. Voix grave et musique dépouillée, il est « vendu » comme le chef de file d’une nouvelle folk musique psychédélique et surréaliste, qui tourne la dos au show business: la weird folk.

– CocoRosie, duo venu de Brooklyn, propose une musique bidouillée, entre folk, blues, hip-hop, etc. Particularité: les sœurs Sierra et Bianca Casady ont enregistré un premier album dans leur appartement parisien l’an dernier.

– 23 ans également, Joanna Newsom est une magicienne de la harpe à la voix aiguë, directement inspirée par le folk des années soixante et le bluegrass des campagnes US. Trois disques en magasins.

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