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L’Antiquité au cinéma sous la loupe d’Hervé Dumont

De quoi réjouir cinéphiles et historiens... Nouveau Monde Ed.

Du cinéma muet à Kaamelott en passant par Ben-Hur... Hervé Dumont, ancien directeur de la cinémathèque suisse, signe une vaste encyclopédie critique intitulée «L'Antiquité au cinéma. Vérités, légendes et manipulations». Vertigineuse et passionnante.

Deux mille deux cents films ou téléfilms recensés, qui s’échelonnent de 1896 à 2008. Un ouvrage… herculéen.

Par où empoigner le monstre? Il compte 688 pages et 810 photos…Puisqu’on parle de cinéma, commençons par les images, simplement.

Les maquillages outrageux de l’époque du muet. Les tuniques proprettes des péplums de la première moitié du 20e siècle, des tuniques qui se déglinguent et se salissent au fil des décennies pour aboutir à l’apparence du réalisme façon «Gladiator» ou «Rome», fantastique saga télévisuelle.

On entrevoit le sourcil sombre d’Orson Welles jouant Saül dans «David e Golia». Les yeux charbonnés d’Elisabeth Taylor en «Cléopâtre». Le torse luisant de sueur de Charlton Heston dans «Ben-Hur». Mais aussi les yeux crevés d’Œdipe (Franco Citti) mis en scène par Pasolini en 1967. Ou Monica Belluci en Marie-Madeleine maculée dans le complaisant et sanguinolent «The Passion of the Christ» de Mel Gibson.

Et des centaines d’autres, que l’histoire du cinéma a moins retenus…

Le cinéphile et l’historien

Rassasié d’images, c’est sur la structure de l’ouvrage qu’on se penche. Une structure qui étonne, puisque ce n’est pas le cinéma qui en est la colonne vertébrale, mais l’Histoire: on attaque l’ouvrage par la Préhistoire, puis on passe aux Hébreux, à l’Egypte, à la Mésopotamie, à la Grèce, à Rome, puis à l’Antiquité tardive. Et, en guise de conclusion, aux royaumes mythiques imaginaires, «Seigneur des Anneaux» inclus.

C’est à l’intérieur de ces catégories thématiques et chronologiques qu’apparaissent les films, classés eux aussi chronologiquement. Une approche qui peut faire dire à l’historien et cinéphile français Jean Tulard, dans sa préface: «Voici, de la préhistoire à la fin de l’Empire romain d’Occident, un panorama de l’histoire de l’humanité vu par le cinéma. Chacun y fera son miel, le cinéphile comme l’historien».

Et l’un comme l’autre s’amuseront à découvrir le sens de l’exhaustivité de Hervé Dumont, qui, à côté des grands classiques du genre, répertorie également les franches comédies (Astérix, les Pierrafeu) comme les parodies érotiques («Homo Erectus», «Gladiator Eroticvs: The Lesbian Warriors»).

Miroir du présent

Avec cet ouvrage, Hervé Dumont fait œuvre d’encyclopédiste, bien sûr, livrant moult détails sur chaque film – distribution, résumé de l’intrigue, informations concernant la production. Il fait œuvre de critique également, son point de vue éclairé s’ajoutant aux éléments factuels.

Et il fait œuvre d’essayiste, analysant toutes les déclinaisons de la phrase qui sous-tend l’ensemble de son travail: «La mise en scène du passé est forcément aussi un miroir du présent».

Un miroir multiple et déformant, puisque les facteurs qui déterminent le type de réfraction sont innombrables: «Au fil des ans, j’ai découvert combien notre rapport au passé est conditionné, et que les messages fabriqués du cinéma et des médias actuels ne sont souvent que l’aboutissement de siècles d’occultation par les mémorialistes, de déformations par la littérature et des partis pris transmis par les manuels scolaires», dit Hervé Dumont dans Ciné-Bulletin, l’organe des professionnels suisses de la branche.

Et de démontrer que derrière une production souvent perçue comme uniquement distractive, c’est bel et bien à des métaphore politiques, morales ou philosophiques, volontaires ou involontaires, qu’on assiste dans moult films. Et parfois à une forme de manipulation, d’autant plus habile que le genre, souvent méprisé par l’intelligentsia (pensez à l’ironie qui accompagne en général le mot «péplum»), est destiné à un grand public pas toujours enclin à lire entre les lignes.

Collisions historiques

L’histoire antique enjambe donc les siècles pour se cogner à l’histoire contemporaine.

«Scipione l’Africano» (Carmine Gallone, 1937) est un hymne fasciste visant à justifier l’intervention de Mussolini en Ethiopie.

Les Spartiates? «A partir de la seconde moitié du XXe siècle, les cinéastes américains font des Thermopyles le symbole de la résistance du monde civilisé prêt à mourir pour ses lois et son ordre face à l’envahisseur sauvage», quitte à faire mentir l’histoire, constate Dumont.

«Alexandre» d’Oliver Stone, en 2004? «Stone accentue la dimension prométhéenne d’un Alexandre (…) parfois brutal, souvent imprévisible, acharné à ‘libérer les peuples oppressés par les Perses’». Mais «les spectaculaires victoires des phalanges macédoniennes ne peuvent effacer un sentiment de malaise», écrit Dumont. Le même malaise que nous éprouvons face aux images qui nous parvenaient, cette année-là, du Moyen-Orient?

Et que dire de la figure de Jésus, qui passe de l’aryen blond doucereux, tendance saint-sulpicienne, au brun méditerranéen, homme du peuple et défenseur des miséreux, déclinant toute la gamme des projections et des récupérations possibles, avec une constante néanmoins, les couinements de l’Eglise lorsque l’intention diverge quelque peu de la théorie officielle.

«Il y a le Jésus protestant (DeMille, Stevens), le Jésus catholique (Anamoro, Duvivier, Gibson), le Jésus israélite (Zeffirelli), le Jésus consensuel (Ray), le Jésus pour les non-croyants (Zeffirelli), le Jésus dérangeant (Pasolini) ou le Jésus dérangé (Scorsese), enfin le Jésus de la contre-culture ou le Jésus multi-ethnique». Jolie énumération signée Dumont, qui synthétise ainsi les 320 incarnations environ de ce super-héros du grand et du petit écran.

A noter qu’après cette somme consacrée à l’Antiquité, Hervé Dumont poursuit sa quête du film en costumes avec trois ouvrages: l’un consacré au Moyen-âge et à la Renaissance, le deuxième à l’Absolutisme et un autre au XIXème Siècle. Hervé Dumont, le Sisyphe du cinéma historique?

Bernard Léchot, swissinfo.ch

«L’Antiquité au cinéma. Vérités, légendes et manipulations», Nouveau Monde Editions.

Un livre d’Hervé Dumont, avec la collaboration de Jacqueline Dumont, préfacé par Jean Tulard.

688 pages au format A4, avec 810 photos et reproductions d’affiches rares.

Une documentation sur 2200 films, dramatiques et téléfilms internationaux réalisés entre 1896 et 2008.

1943. Hervé Dumont est né en 1943.

Lettres. Docteur ès Lettres, il travaille dans l’édition, puis enseigne dans un lycée lausannois.

Cinémathèque. En 1996, il succède à Freddy Buache à la tête de la Cinémathèque suisse, qu’il quitte en 2006.

Auteur. Hervé Dumont est l’auteur de plusieurs publications sur l’histoire du cinéma, dont «l’Histoire du cinéma suisse» en trois volumes et «Napoléon et le cinéma – un siècle d’images».

20 octobre à 20h: soirée spéciale à la salle Paderewski pour la sortie du livre d’Hervé Dumont, avec la projection de «Faraon», introduit par Hervé Dumont.

23 octobre à 20h30: au Cinématographe, Hervé Dumont présente «The Fall of the Roman Empire».

Peplon. «Peplum» est un mot latin emprunté au mot grec ancien «peplon» signifiant «tunique».

Fifties. C’est à partir du milieu des années 50 qu’il commence à désigner un genre cinématographique, la reconstitution de l’Antiquité – Rome, Grèce, Egypte, récits bibliques.

La Tunique. Le terme «Péplum» est vraisemblablement une référence au film «La Tunique» d’Henry Koster (1953), adapté du roman éponyme de Lloyd C. Douglas (paru en 1942): l’histoire du tribun militaire romain Marcellus, qui dirigeait l’unité romaine chargé de crucifixion de Jésus.

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