L’art vidéo s’envole à Art Basel
Alors que s’ouvre la 45e édition d’Art Basel en Suisse, swissinfo.ch s’interroge sur la présence du film d’art dans la foire et son appropriation par une génération inspirée par les images en mouvement.
Si l’art vidéo émerge à la fin des années 1960 avec les pionniers Nam Juin Paik et Bruce Nauman utilisant l’image en mouvement dans leurs installations artistiques, c’est dans les années 1970 que l’artiste américain Bill Viola érige la vidéo au rang d’œuvre d’art autonome.
Une perspective renouvelée aujourd’hui par de jeunes artistes. Ils appartiennent à la génération biberonnée à la chaine musicale MTV, élevée dans un monde dominé par l’image et la culture numérique. Il se murmure d’ailleurs que l’art post-internet sera la prochaine étape.
Dès 1999, Art Basel a mis en place une section de film en reconnaissance du rôle de l’image en mouvement dans l’iconographie contemporaine. Ce choix tient également compte d’une génération montante de collectionneurs qui suivent ce que les spécialistes appelle «time-based media», soit la vidéo, l’audio, le cinéma et les technologies informatiques.
Nam Juin Paik, un artiste américano-coréen décédé en 2006, est considéré comme le fondateur de l’art vidéo. Il a fait ses débuts en dispersant des téléviseurs et en utilisant des aimants pour modifier ou fausser leurs images.
Doug Aitken utilise à grande échelle plusieurs écrans à l’intérieur, comme à l’extérieur pour ce qu’il appelle «l’architecture liquide». Son travail explore les racines de la créativité.
Dan Graham a commencé à utiliser la vidéo dès 1969 principalement pour des performances et l’exploration des relations entre institutions et langage.
Matthew Barney travaille avec des installations sculpturales combinées avec des performances et de la vidéo.
Bill Viola est une figure de proue de l’art vidéo qui se concentre de manière obsessionnelle sur les expériences fondamentales de la vie, y compris la perte de conscience. Avec Aitken, il est l’un des rares qui n’utilise que le film.
Bruce Nauman est un artiste américain contemporain dont la pratique s’étend sur une large gamme de supports. Ses vidéos toujours inquiétantes mettent souvent l’accent sur le corps humain.
Douglas Gordon est un artiste écossais qui a plongé dans la vidéo en utilisant des images répétitives, comme pour renverser le temps.
Pipilotti Rist est une artiste visuelle suisse qui affiche une exubérance contagieuse grâce à un langage très imagé qui parle essentiellement de la féminité.
Bâle, Miami, Hong Kong
La section film d’Art Basel – qui se concentre sur les projections sur un seul écran – figure dans chacune de ses éditions annuelles à Bâle, Miami et Hong Kong. Chacun des commissaires de ces foires avec leur sensibilité culturelle distincte donnent aux événements des saveurs très différentes.
Lors du Miami Art Basel en décembre dernier, David Gryn, directeur d’Artprojx à Londres, a créé des événements divertissants qui peuvent rivaliser avec le clinquant des célébrités de Miami qui s’y pressent. Les projections ont lieu à l’extérieur, alors qu’à Hong Kong et Bâle, elles sont généralement organisées dans des salles de cinéma, à l’écart de l’agitation.
Le conservateur de la foire de Hong Kong vit entre Zurich et Pékin. Li Zhenhua est aussi artiste, producteur et conservateur de l’art numérique.
«La plupart des artistes nés après les années 70 sont engagés dans les questions sociales et médiatiques. L’art numérique a été un moyen pour nous d’exprimer la façon dont nous percevions l’avenir. Un changement est apparu ces cinq dernières années: les artistes numériques veulent maintenant être considérés comme des artistes contemporains à part entière», raconte Li Zhenhua.
A Bâle, le conservateur depuis sept ans est le spécialiste berlinois du cinéma Marc Glöde. Il travaille avec le collectionneur This Brunner. Comme penseur des images en mouvement, Marc Glöde privilégie les films complexes.
Comme il l’explique à swissinfo.ch, l’un de ses critères de sélection de films d’artistes est le potentiel énervant de l’œuvre: «Quand je vivais aux États-Unis, l’idée d’irritation m’a de plus en plus intéressé. Alors que l’énervement est communément perçu comme négatif, pour moi, c’était une caractéristique qui me pousse à réfléchir. Ma capacité d’être surpris est intacte quand je ne peux pas me détendre.»
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Sortir du cadre
Le conservateur allemand reconnaît une nouvelle énergie dans son domaine d’expertise. «Les artistes ont toujours essayé de surmonter les restrictions de l’écran. Avec les vidéoprojecteurs, les images peuvent être projetées plus ou moins n’importe où. »
Marc Glöde souligne également que la jeune génération d’artistes qui a grandi avec une expérience quotidienne de l’image en mouvement est de plus en plus attirée par la production de films d’art.
C’est le cas de Ryan Trecartin, 33 ans. Salué comme une voix de son temps, il transforme avec sa complice Lizzie Fitch des scènes tournées avec ses amis dans une débauche kaléidoscopique aux couleurs pétantes. Des vidéos qu’il poste sur Vimeo, un site de partage pour créateurs vidéo. Ce faisant, il bouleverse le modèle d’affaires traditionnel des galeries d’art. Ce qui a provoqué une rupture avec sa propre galerie.
Maria Antwander, née en 1980, est un artiste autrichien qui enregistre ses performances éphémère in situ. Programmé à Art Basel, le 18 Juin.
Aida Ruilova, née en 1974, est une artiste américaine qui donne à ses films une atmosphère envoûtante. Programmé à Art Basel, le 20 Juin.
Aaron Young, né en 1972, est un artiste américain qui travaille aux limites de danger.
Mika Rottenberg, né en 1976, est un artiste d’origine argentine qui vit à New York. Ses vidéos racontent l’histoire de femmes ayant des caractéristiques physiques inhabituelles.
Ed Atkins, né en 1982, utilise un avatar inquiétant d’une grande beauté pour parler de processus corporels, en particulier la mort. Il a donné un spectacle cet été à la Galerie Serpentine à Londres.
Elizabeth Price, né en 1966, est une artiste britannique dont les montages élaborés tissent une nouvelle forme d’art. Programmé à Art Basel, le 19 Juin.
Laure Prouvost, né en 1978, est une artiste française vivant et travaillant à Londres qui utilise le film pour communiquer des expériences sensorielles.
Le rôle des galeries
L’art vidéo n’a jamais été facile à vendre. Pourtant il est de plus en plus populaire. Les foires d’art restent donc les meilleures opportunités pour les galeries de présenter leurs artistes. Bien que quelques galeries participent aux trois éditions d’Art Basel, elles n’y présentent jamais les mêmes artistes.
Hauser & Wirth, une galerie suisse pointue avec des filiales à Londres, à New York et bientôt Los Angeles, présente à Hong Kong les attachantes «action sculptures» de l’artiste suisse Roman Signer. Bâle, en revanche, montre Sterling Ruby et Rashid Johnson, des artistes qui utilisent le film de manière exploratrice pour l’un et quasi-spirituelle pour l’autre.
Selon Florian Berktold, directeur exécutif chez Hauser & Wirth, l’art vidéo est en fait présent depuis longtemps et il a toujours trouvé sa place dans le répertoire des ventes des galeries,
«Ce qui a beaucoup changé ces cinq dernières années, ce sont les possibilités techniques: l’amélioration des infrastructures en termes de qualité d’image, la taille des caméras, le montage sur un ordinateur portable, les prises et montages directs sur smartphone et autres techniques de pointe», souligne Florian Berktold.
Féminines sensations vidéo
Depuis plus de 50 ans, c’est principalement l’art conceptuel, la performance et l’installation qui recourent aux images en mouvement. Le révolutionnaire Schaulager à Bâle a présenté successivement quatre artistes renommés dans le monde entier qui mélangent les genres: Matthey Barney, Francis Alÿs, Steve McQueen et Paul Chan, tous des hommes.
Nonobstant la Suissesse Pipilotti Rist et l’Anglaise Gillian Wearing, très peu de femmes existent dans l’art vidéo. Mais les temps sont peut-être en train de changer. En 2012 et 2013, le prestigieux Turner Prize est allé à des femmes. La Britannique Elizabeth Price crée des œuvres qui plongent l’art vidéo dans une nouvelle dimension. Ses montages élaborés sont voluptueux dans la forme, le contenu et la signification.
La Française Laure Prouvost a remporté un prix en 2013 avec une installation intitulée Wantee. Le cœur de son travail est de transformer l’art en expérience, comme la sensation du soleil sur la peau, l’objet de l’une de ses dernières vidéos. Peut-être que l’art vidéo/numérique acquiert un statut sensorielle qu’il n’avait pas avant. Un développement dont les curateurs d’Art Basel devront tenir compte.
Art Basel est l’une des premières foires d’art internationales. Qualifiée de «Jeux olympiques du monde de l’art», elle a été fondée il y a 45 ans par trois galeristes, dont le fameux Ernst Beyeler. Année après année, elle attire les galeries de premier plan du monde entier et des cohortes de collectionneurs, conservateurs, artistes et célébrités.
À l’origine, la foire était dédiée à la vente d’art moderne. Par la suite, elle est devenue une vitrine pour l’art contemporain, avec les œuvres les plus pointues dans la section Statements/déclarations et une section monumentale (Art Unlimited).
En général, seul un tiers des galeries inscrites sont sélectionnées. À Bâle en 2014, il y aura 300 des plus importantes galeries d’Amérique du Nord, d’Amérique latine, d’Europe, d’Asie et d’Afrique.
Art Basel attire des dizaines de milliers de visiteurs chaque année.
L’édition de cette année inclura les installations 14 Rooms. Les curateurs Klaus Biesenbach, Hans Ulrich Obrist ont invité des artistes internationaux pour chacune des 14 espaces dont Marina Abramovic, Ed Atkins, Dominique Gonzalez-Foerster, Damien Hirst, Bruce Nauman, Roman Ondák, Yoko Ono, Tino Sehgal et Xu Zhen.
Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand
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