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L’enfer de l’incommunicabilité

Yvette Théraulaz et Erica Denzler. SP

Au Théâtre de Carouge, près de Genève, le Suisse Denis Maillefer crée «La descente d'Orphée».

Et met la pièce de Tennessee Williams au contact d’une réalité commerciale où seule compte la consommation.

On cherchera vainement la figure d’Eurydice dans «La descente d’Orphée». Pièce de Tennessee Williams que le Suisse Denis Maillefer met en scène au Théâtre de Carouge, à la demande du directeur des lieux, François Rochaix.

Oui, vainement, parce que le spectacle que signe Maillefer est une avancée à contre courant du mythe d’Orphée qu’évoque le texte.

Orphée rebaptisé Val par l’auteur devient, sous la houlette du metteur en scène, le charmeur que les femmes chérissent sans jamais oser le regarder en face. Tout le spectacle est construit autour du regard qui fonde, en même temps qu’il le détourne, le mythe en question.

Il s’agit ici du regard féminin toujours empêché, comme détourné au dernier moment de sa trajectoire qui conduit à Val (joué par Jean-Quentin Châtelain).

Loin de Tennessee Williams

Astre solaire, ce dernier réchauffe et éblouit ces dames, les attire et les fait fuir du même coup. De ce paradoxe, la mise en scène se nourrit. Elle installe un climat d’incommodité où le regard empêché, et l’absence d’empathie qui s’ensuit, transforme les dialogues en monologues proférés face au public.

«La descente d’Orphée» livre ainsi son secret: elle est une descente aux enfers de l’incommunicabilité, maladie de la modernité. En la matière, l’Amérique sait se montrer exemplaire: brouiller l’entente, c’est son affaire.

Cette Amérique-là n’est pas celle de Tennessee Williams. Mais celle que Maillefer réinvente au fil d’un spectacle où la solitude des personnages perce sous leurs discours hallucinés et leurs corps soumis à l’hégémonique violence du marché.

Punkettes, vamps ou malabars en treillis, les acteurs vivent des lambeaux de vie. Les êtres qu’ils incarnent ont perdu leur permanence. Et leurs rêves se banalisent au contact d’une réalité commerciale où seule compte la consommation.

Nike’s world

Le scénographe Massimo Furlan l’a bien vu, qui donne à l’espace les dimensions d’un grand magasin Nike où le géant américain occupe toute la scène. Des cartons de chaussures frappés de son logo s’entassent sur les rayonnages.

C’est dans cet immense espace que l’amour se consomme et se consume au rythme des mouvements exécutés au ralenti. Comme dans un songe où le temps qui se distend perd ses repères.

D’où le très juste sentiment de malaise dans cette pièce que Maillefer a soignée (pertinente vision du flou des identités) et saignée. Il y a opéré des coupes.

Exit donc le naturalisme de Tennessee Williams. Et place au mélodrame. Celui qui donne, à la manière d’un Tarentino ou d’un Soderbergh, toute son ampleur au trouble identitaire.

swissinfo/Ghania Adamo

«La descente d’Orphée». Théâtre de Carouge (GE). Jusqu’au 9 février. Tel: 022/343 43 43

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