L’enfer selon Jean-Claude Wicky
Après Yves Leresche et avant Zalmaï, gros-plan sur Jean-Claude Wicky et «Mineros», une plongée dans l'enfer des mines boliviennes.
Ceci en marge de la triple exposition que propose jusqu’au 26 janvier le Musée de l’Elysée à Lausanne.
Jean-Claude Wicky était employé de commerce à Moutier. Et footballeur. Et puis un jour, la passion du voyage l’a saisi. Il rêve de photographier ce qu’il voit, mais n’a pas tout de suite les moyens de s’acheter le matériel nécessaire.
C’est au Japon qu’il va s’acheter les deux appareils de photo dont il rêve. Et en Amérique latine qu’il va avoir le choc qui conditionnera plusieurs années de sa vie: les mines d’argent de Potosi, en Bolivie.
«J’ai commencé par visiter la seule mine qu’on faisait à l’époque visiter aux touristes. Et je n’y ai vu qu’un seul mineur. Intrigué, le lendemain, je suis monté plus haut dans la montagne et j’ai passé la journée dans une une coopérative minière».
Jean-Claude Wicky en ressort «bouleversé», avec la ferme intention de consacrer un jour un travail photographique aux mineurs de Bolivie. Il attendra plusieurs années pour s’y mettre. Mais quand il s’y mettra, ce sera profondément, intensément: entre 1984 et 2001, plus d’une quinzaine de voyages à Potosi.
«Le métier le plus dur du monde»
Pourquoi un tel choc? «Mineur en Bolivie, c’est certainement le métier le plus dur du monde. C’est aussi un des prolétariats les plus ignorés du monde. La Bolivie est un cas typique d’un de ces pays du Tiers-Monde qui n’intéresse personne, sinon pour ses ressources naturelles», répond le Prévôtois.
Et de citer les mineurs, conscients de l’exploitation dont ils sont l’objet: «Notre richesse a toujours engendré notre pauvreté».
Alors, avec une lampe halogène qu’il filtre selon les cas, Jean-Claude Wicky va se plonger dans l’obscurité, la chaleur, la sueur, «l’odeur âcre du minerai qui imprègne votre corps».
Il va vivre avec les mineurs, tenter de partager leur quotidien, «leurs joies, leurs souffrances, leurs espoirs, leurs révoltes, jusqu’à leurs terribles alcools». Sans viser pour autant à la totale identification: «Ils ont des brins, des perforatrices, de la dynamite. Moi j’ai deux appareils photo, objets dérisoires dans ce labyrinthe dantesque qu’est la mine bolivienne.»
De l’enfer au cauchemar
«Deux tonnes à pousser», c’est le titre d’une des photos de Jean-Claude Wicky. L’anecdote est proportionnelle à la force de l’image: «C’est un mineur qui pousse un wagonnet chargé de minerai. Il faisait à peu près 50 degrés, l’humidité était presque palpable.»
«Quelques jours après avoir pris cette photographie, j’ai fait un cauchemar. J’ai rêvé que j’étais dans une galerie de mine. Il y faisait tellement chaud, je transpirais tellement que j’avais enlevé ma peau et je l’avais mise à sécher sur un fil. Je me suis réveillé en sursaut, car je ne savais plus comment la remettre».
Avant d’être montrées à l’Elysée, les photos de Jean-Claude Wicky ont fait le tour des grandes villes boliviennes. Plus de 100.000 visiteurs en neuf expositions. Et puis un livre est paru: «Mineros», aux Editions Actes Sud.
Pour Jean-Claude Wicky, l’aventure de Potosi est-elle ainsi terminée? «Mon travail dans les profondeurs de la terre est terminé. Mais j’aimerais faire parvenir ce livre dans des endroits tels que des écoles ou les bibliothèques de quartiers défavorisés en Bolivie. Il faut que je trouve un financement, que ce livre puisse arriver là où il doit arriver».
swissinfo/Bernard Léchot
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