L’heure de gloire des chanteurs de jodel
Le jodel sera roi de vendredi à dimanche à la Fête fédérale de Fribourg. Au-delà des clichés, pour mettre en valeur une part du patrimoine suisse.
Derrière cette tradition se profile l’Union Fédérale des chanteurs de tyrolienne, fondée en 1910. Elle a permis l’émergence de toutes sortes d’associations.
Bien sûr, les clichés ne manquent pas autour du jodel. D’aucuns pensent à de solides gaillards en cercle chantant une chanson aux accents patriotiques.
D’autres pensent à un porte-étendard, déployant dans le ciel la croix helvétique. Certains à un joueur de cor des Alpes, qui salue sur fond de montagnes alpines le coucher flamboyant du soleil sur sa patrie helvète bénie des Dieux, baignée dans l’éternelle béatitude.
Une vive controverse
En revanche, beaucoup se souviennent des débats animés du début des années 90, lorsque l’agressive «Chanteuse de tyrolienne techno», Christine Lauterburg, et le président de l’Union des chanteurs de tyrolienne de l’époque, Hermann Noser, se sont affrontés à propos de la modernisation de l’Union.
Les médias ont fait écho à cette controverse. D’un côté, la chanteuse sympa qui voulait apporter du changement, de l’autre, Hemannn Noser, le conservateur et son Union. Aucun des deux portraits dressé dans la presse n’est fidèle à l’original.
Christine Lauterburg, comme on a pu le constater par la suite, aurait été bien plus intéressée par la vente de son CD que par de nouvelles formes de chant tyrolien.
Quant à l’Union, elle n’est pas irrévocablement fermée à toute nouveauté et a tiré les leçons de «l’affaire Lauterburg».
La Fête est une compétition
«Il est faux de dire que nous sommes hermétiques à tout changement et que nous ne nous adaptons pas à notre époque», déclare Paul Rudin, Secrétaire Général de l’Union des chanteurs de tyrolienne à swissinfo.
Mais, dit-il, on ne change pas sans arrêt les règles des échecs ou du football non plus.
Car, il s’agit bien ici de règles à respecter. La Fête Fédérale du chant tyrolien est en réalité une compétition. Tous les participants, qu’il s’agisse d’un membre d’un club de jodlers, d’une chanteuse de tyrolienne indépendante ou d’un porte-étendard, se soumettent à un jury strict. La prestation est notée. Ainsi, lors d’une Fête du chant tyrolien, il s’agit pour le chanteur d’être sérieux et sobre.
Que des voix formées
«Voilà pourquoi il faut des règles et des critères, qui doivent être respectés», explique Paul Rudin.
«Autrement, comment voulez-vous attribuer des notes? Un club de jodlers, ce n’est pas que des hommes et femmes qui aiment bien entonner quelques notes. Le plaisir de chanter, le goût de la musique, font aussi partie du chant tyrolien», affirme Paul Rudin.
Mais cela ne suffit pas pour être admis à une Fête fédérale de chant tyrolien.
Ainsi, pour participer aux festivités de 2002, il faut avoir obtenu au moins une fois la note «bien» (aujourd’hui catégorie 2) en 2000 et 2001 lors d’une fête de sous-association.
La catégorie 1 – à laquelle aspirent toutes les associations (note «très bien») demeure un niveau très difficile à atteindre.
Quiconque veut pouvoir chanter dans un club de jodlers réputé doit avoir au minimum suivi une bonne formation en chant tyrolien. Toutes les voix ne sont pas adaptées au chant tyrolien.
La «youtze» – ce dont il s’agit quand on parle de chant tyrolien – ne peut de toute façon être produit que par des chanteurs aux voix particulières. Et, bien souvent, remarquablement doués.
«Un bon chanteur ou une bonne chanteuse de chant tyrolien est un as», affirme Rudin.
«Il est souvent célèbre en Suisse alémanique. S’il existait un commerce du transfert dans ce domaine, les meilleurs chanteurs seraient payés au prix fort.»
Quatre critères
Comme l’explique Paul Rudin, la performance de chant tyrolien est notée sur quatre critères : «le ton et la diction, la rythmique et la dynamique, la pureté harmonique et finalement l’impression d’ensemble».
Chaque association a le droit de présenter une chanson. La performance doit être absolument irréprochable pour obtenir la note «très bien», catégorie 1.
En 1978 encore, on n’admettait que 14 chanteuses et chanteurs par association de chant tyrolien. Ce nombre a été porté aujourd’hui à 22. «Voilà par exemple une innovation», déclare le Secrétaire général Rudin. Permettre à des femmes d’être des porte-étendard, qui doivent porter un pantalon, c’est une autre histoire.
A l’avenir, il faudrait diminuer la taille de l’Union et alléger les structures. Les chorales d’enfants devraient avoir la permission de participer aux compétitions fédérales, de manière à promouvoir la relève.
Il faudrait cependant que le marché accepte ces nouveautés. On répète souvent que l’Union du chant tyrolien est conservatrice. Il semblerait que le public le soit souvent d’avantage.
«J’aime les chants en mode mineur, mais le public n’en veut pas», affirme Paul Rudin.
On y parle de l’AVS
Il ne compte plus sur la tradition des affreux textes des chants tyroliens, des textes qui parlent de sang et de sujets très terre-à-terre.
«Dr Puureschtand isch nids verachte» (je ne haie point Dr Puureschtand) et «Dr Liebgott wacht übers Schwizerländli» (Dr Liebgott veille sur la Suisse) seraient donc démodés.
«Les textes qui dominent aujourd’hui expriment des sentiments et des humeurs du moment», affirme Paul Rudin qui cite les textes d’un certain Adolf Stähli, qui comptent parmi les favoris du pays.
On y parle déjà de l’AVS (assurance vieillesse suisse) et des questions sur l’origine et le sens de la vie.
Nombreux sont les chanteuses et chanteurs de chant tyrolien qui connaissent d’autres styles de musique.
«Nous ne sommes finalement pas si « uncool' ». L’erreur commise avec Christine Lauterburg (qui quitta l’Union par la suite) ou avec un groupe italien de porte-étendard, qui avait été décommandé à la dernière minute en 1996 à la Fête du chant tyrolien à Thun, ne se reproduira certainement pas », lance en guise de conclusion Paul Rudin.
swissinfo/Urs Maurer
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