L’homme qui a changé le temps
Abraham-Louis Breguet (1747-1823) fut un des horlogers les plus brillants de son temps. Napoléon et George IV figuraient parmi ses clients. Mais le Neuchâtelois fut aussi un homme d’affaires avisé. Une exposition lui rend hommage à Zurich.
Sens du marketing et de l’élégance: à bien des égards, Abraham-Louis Breguet était en avance sur son temps. Ses montres, elles, n’étaient ni en avance ni en retard et fonctionnaient si bien qu’elles firent sa renommée. Le Musée national suisse à Zurich consacre sa nouvelle exposition, «L’horlogerie à la conquête du monde», à la vie et à l’œuvre du Neuchâtelois.
Né à Neuchâtel en 1747, l’horloger émigre à Paris en 1762 pour y faire son apprentissage. Il fonde son atelier après son mariage, en 1775, avec une riche Parisienne, Cécile L’huillier. Très doué en affaires, il convainc une vaste clientèle et s’étend en Russie et en Turquie.
«On peut dire qu’il y a, dans l’histoire de l’horlogerie, un ‘avant’ et un ‘après’ Breguet, explique Christine Keller, commissaire d’exposition. Il a opéré une véritable révolution dans la fabrication des montres. Il n’a cessé d’inventer de nouveaux mécanismes.»
Une de ses inventions majeures est le régulateur à tourbillon, breveté en 1801. Ce mécanisme extrêmement complexe compensait la force de la gravité, ce qui faisait que les montres pouvaient être, pour la première fois, précises.
Breguet inventa aussi la montre-bracelet. Le premier modèle, qui appartenait à la sœur de Napoléon, a malheureusement disparu. Le Musée national peut néanmoins montrer la commande originale.
Elégance intemporelle
«Breguet a aussi amené une nouvelle sorte d’esthétique avec lui, dont l’élégance est intemporelle», ajoute Christine Keller. Il a ainsi remplacé les montres de poche rondes comme un ventre et richement décorées par des montres plates, des chiffres plus lisibles et des aiguilles fines et toutes droites.
Le succès fut instantané parmi les élites. Napoléon Bonaparte acheta une montre de voyage, que l’on peut voir dans l’exposition, et qu’il emporta avec lui lors de la campagne d’Egypte.
Le Musée national montre aussi une horloge qui se trouve, en temps normal, dans la chambre à coucher du Duc d’Edinburgh. Elle fonctionne toujours et est remontée chaque semaine par les employés de Buckingham Palace.
Mais la pièce la plus célèbre de la marque – qui appartient aujourd’hui au groupe Swatch – est la montre dite Marie-Antoinette, montre perpétuelle à répétition de minutes, qui contient toutes les innovations de l’époque. Le drame de l’histoire – la reine ne la vit jamais car c’est le fils de Breguet qui l’a terminée, en 1827 – colore encore le destin de cette oeuvre.
Et ce n’est pas tout: en 1983, la montre a été volée à Jérusalem, avec une collection entière de montres, mais elle a été retrouvée! «L’original est à Jérusalem, précise Christine Keller. Nous présentons une réplique.»
Hayek et Breguet
C’est Nicolas Hayek, le créateur de la marque Swatch qui avait racheté les Montres Breguet en 1999 pour un faire un fleuron de son groupe, qui a décidé de faire réaliser cette réplique, contenant une grande quantité de complications, entre 2005 et 2008.
Breguet a son siège à L’Abbaye, dans la Vallée de Joux, et est aujourd’hui dirigé par le petit-fils de Nicolas Hayek, Marc A. Hayek. Celui-ci tire des parallèles entre son grand-père et Breguet: «Breguet n’était pas seulement un excellent horloger, il était aussi un visionnaire, un scientifique et probablement l’un des premiers à comprendre l’importance du marketing, en brevetant ses inventions et en donnant des noms à ses pièces», explique Marc A. Hayek.
«Or ce sont des qualités que l’on peut aussi attribuer à mon grand-père, qui a changé le visage de l’industrie après la crise horlogère des années 1970 et 1980, influençant non seulement sa marque, mais toute la branche, comme Breguet l’avait fait en son temps.»
Nicolas Hayek avait lui-même supervisé la première exposition Breguet, au Louvre, en 2009. Il a aussi acheté, pour 2,3 millions de francs, l’esquisse de Breguet pour un traité sur l’art de l’horlogerie, qui est considéré comme un document très important. L’exposition présente certaines parties du manuscrit.
Vraiment suisse?
Mais à quel point Breguet est-il vraiment suisse? L’horloger a passé 60 de ses 77 années à Paris, acquérant la nationalité française et, selon le catalogue de l’exposition, «marquant d’une empreinte indélébile la vie intellectuelle, scientifique et culturelle en France.»
Courte parenthèse dans cette vie française, Breguet est revenu en Suisse en 1793-95, pendant les années de la Révolution française, et y perfectionna certaines de ses inventions. Dans le catalogue, Emmanuel Breguet, descendant de l’horloger et commissaire du Musée Breguet à Paris, écrit que bien que son ancêtre ait eu des qualités typiquement suisses – persévérance, sens de l’organisation et perfectionnisme – il est impossible de le réduire à une seule étiquette.
De son temps, Breguet a vendu des montres en Grande-Bretagne, en Turquie et en Russie. Il y a exporté des produits originaux et y a développé des réseaux qui sont, d’une certaine manière, «les pionniers de la globalisation du luxe d’aujourd’hui», écrit Emmanuel Breguet.
«Il combinait harmonieusement des qualités suisses et françaises et il a trouvé – et là réside peut-être son secret – un langage qui n’est pas national, mais international, dans le métier qu’il avait choisi, la mesure du temps», déclare Emmanuel Breguet.
1775-1795: Breguet termine sa formation d’horloger en France et y crée son entreprise. Il se fait un nom à la Cour française. Durant la Révolution, il préfère retourner en Suisse pendant deux ans, car il a de nombreuses connaissances à la Cour. Il invente la montre perpétuelle. Premiers clients: Louis XVI et Marie-Antoinette.
1795-1801: A son retour en France, il doit réorganiser ses affaires. Il présente la montre à souscription et le régulateur à tourbillon.
1801-1814: Années prospères, grâce à l’expansion napoléonienne. Breguet prend pied en Turquie, malgré les troubles politiques de la fin de l’Empire napoléonien.
1814-1823:
après avoir visité le tsar Alexandre Ier, Breguet prend pied en Russie, qui devient un marché important. En 1816, il est reçu à l’Académie française des sciences, ce qui représentait l’accomplissement de son rêve. La société reste dans le giron familial durant deux générations
L’exposition «L’horlogerie à la conquête du monde» est à voir au Musée national suisse à Zurich jusqu’au 8 janvier 2012.
Elle présente plus de 120 montres de poche, pendules, brevets, portraits et documents datant de l’époque de Breguet et de ses successeurs.
L’exposition est le fruit d’une collaboration entre le Musée national suisse, les montres Breguet et le Musée du Louvre à Paris. Elle a d’abord été présentée au Louvre en 2009, puis au Château de Prangins près de Nyon en 2011.
L’exposition est centrée sur les montres Breguet mais d’autres objets viennent de France, de Grande-Bretagne, de Russie et de Suisse, y compris du Musée national suisse lui-même.
(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)
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