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«L’image est autant aliénante qu’instructive»

Pout Tom Tirabosco, l'essence du conflit n'est pas montrée. Keystone

L'illustrateur Tom Tirabosco n'a pas la télévision chez lui. Mais il éprouve quand même le besoin de voir des images de la guerre.

Pourtant, à chaque fois, il se sent floué par ce qu’on lui montre.

D’entrée de jeu, Tom Tirabosco avertit que s’il n’a pas la télévision c’est un choix éthique. Il préfère s’informer par la presse écrite et surtout par la radio.

Il estime en effet que la télévision n’apporte rien de plus à la compréhension du monde, à part peut-être cette sorte de communion nécessaire pour qui vit en société autour d’événements dramatiques et exceptionnels.

A ses yeux, ce média a plutôt tendance à figer et à restreindre l’analyse de l’actualité. Et, surtout, il manque de distance critique face à l’information.

swissinfo: Quelle est votre perception de la couverture médiatique du conflit en Irak?

Tom Tirabosco: Je trouve les journalistes beaucoup plus prudents qu’en 1991. Surtout dans les dépêches radios où l’on prend bien soin de citer les sources.

Il me semble que c’est la leçon qu’ont tiré les médias de la première Guerre du Golfe.

Mais, paradoxalement, bien qu’on ait l’impression d’être plus proches du conflit, on a le sentiment qu’on ne nous montre pas ce qu’est la réalité de cette guerre.

swissinfo: Pourtant, vous éprouvez quand même le besoin de voir des images de cette guerre. Pourquoi?

T. T.: Il m’arrive effectivement de faire le voyage vers la télévision. Mais j’entretiens un rapport paradoxal avec ce média. Je veux absolument conserver une distance critique face à ces images et surtout, ne pas m’y habituer.

Mais j’ai quand même besoin de voir. On dit toujours qu’il faut le voir pour le croire. Toutefois, à chaque fois, j’éprouve une déception, car je me dis qu’on nous cache l’essentiel.

Et c’est d’ailleurs ce qui fait que la population accepte cette guerre. Il y comme un endormissement sous des images prétextes.

Dans ce besoin de voir malgré tout, il y donc un mélange de voyeurisme et de besoin de comprendre. C’est comme pour les attentats du 11 septembre, c’était important de se faire une idée par les images.

Il n’empêche que, après chaque journal télévisé, j’obtiens la confirmation que la télévision ne m’apporte absolument rien de plus que la presse écrite dans la compréhension des événements.

swissinfo: Pourquoi cette défiance face aux images télévisées?

T. T.: Cette forme d’image est autant aliénante qu’elle est instructive. Elle donne de l’information. Mais, par son pouvoir hypnotique, elle empêche d’appréhender l’information dans toute sa richesse.

Je me méfie aussi parce que j’ai l’impression qu’on ne nous montre pas tout. Que la guerre est ailleurs. J’aurais souhaité voir de plus près la vie des gens. Et être en contact avec le quotidien de la guerre.

Mais du peu que j’ai vu, je n’ai vu que des images d’armées en campagne, des débarquements de troupes ou de matériel. Ou encore des chars qui avancent dans une tempête de sable dans le désert.

Des journalistes ont massivement été dépêchés sur place. Mais ce qui en sort est tronqué, censuré. Il y a une énorme hypocrisie là dedans.

Si on décide de couvrir une guerre, il faut avoir le courage d’aller jusqu’au bout. Je suis convaincu de la nécessité de tout montrer, de sensibiliser les gens à ce que représente réellement un conflit.

Certaines images, dans toute leur horreur, ont pu faire basculer des guerres. Ce fut le cas au Vietnam.

Les images des corps calcinés après les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki sont aussi resté fixées dans les mémoires. Elles ont inscrit la peur de la guerre nucléaire à jamais.

swissinfo: Mais peut-on vraiment tout montrer d’une guerre? N’y a-t-il pas le risque qu’une avalanche d’images ne les vide de leur sens?

T. T.: C’est clair que le risque est grand de tomber dans une sorte de voyeurisme attisé par le sensationnalisme de certaines images. Ou de banaliser la violence.

Mais, s’agissant d’événements aussi importants, il faut une couverture médiatique maximale pour sensibiliser les gens.

On assiste, là aussi, à l’absurdité de notre époque qui sur-médiatise les événements tout en étant incapable de montrer dans sa globalité un conflit tel que celui-ci. On est dans l’image immédiate, le commentaire sans distance critique.

Mais c’est aussi vrai que plus les images sont violentes ou choquantes plus le risque de manipulation est grand. Je pense là, par exemple, aux fameux charniers de Timisoara en Roumanie.

C’est pour ça qu’il faut faire voir, mais en prenant des précautions. En sachant jusqu’où va l’intégrité du journaliste et quelle est sa marge de manœuvre réelle.

interview swissinfo: Anne Rubin

– Né à Rome et Genevois depuis ses 4 ans, Tom Tirabosco a oeuvré pour différents fanzines, ainsi que pour les «Inrockuptibles».

– Parmi les ouvrages qu’il a publiés figurent plusieurs livres pour enfants et des bandes dessinées, notamment «Cabinet de curiosités» (Atrabile), «Le Colporteur» (Delcourt) ou «Week-end avec préméditation», sur un scénario de Wazem (Humanoïdes Associés).

– Ce printemps, il publie «L’œil de la forêt» aux Editions Casterman.

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