La beauté de la Suisse, selon Ursula Meier
Ursula Meier, cinéaste franco-helvétique, a reçu en février dernier, à Berlin, un Ours d’Argent pour son film «l’Enfant d’en haut». Bouleversant, ce long métrage de fiction sort dans les salles romandes le 4 avril. Entretien avec la réalisatrice.
«L’Enfant d’en haut» raconte l’histoire d’un gamin de 12 ans, Simon (Kacey Mottet Klein), livré à lui-même dans une Suisse d’en bas, une plaine moche avec des habitations moches. Simon monte régulièrement dans les stations de ski très chics pour voler les riches. Son butin (équipements de ski), qu’il revend, lui permet de survivre et de faire vivre sa sœur aînée, Louise (Léa Seydoux) qui, elle, n’a pas de job.
Cette Suisse inattendue a valu à Ursula Meier un Ours d’Argent (accompagné de la mention Prix spécial). Attribué en février dernier lors du Festival International du film de Berlin (La Berlinale), ce Prix récompense un film bouleversant. Entretien avec sa réalisatrice.
swissinfo.ch: Depuis «La barque est pleine» (1981) de Markus Imhoof, nominé aux Oscars, la Suisse n’avait plus connu une présence éclatante dans une grande manifestation cinématographique. Pensez-vous que votre Ours d’Argent va booster notre cinéma?
Ursula Meier: Ce prix va en tout cas accroître l’intérêt que les grandes compétitions réservent aujourd’hui aux jeunes réalisateurs de ce pays. Pour ce qui me concerne, la présentation de mon précédent film «Home» au festival de Cannes 2008 avait agi comme un déclencheur.
Je ne saurais vous dire pour autant si l’Ours d’Argent profitera à mes confrères. Tout ce que je sais, c’est que l’œuvre de jeunes cinéastes suisses comme Lionel Baier, Frédéric Mermoud ou Stéphane Bron suscite actuellement un véritable engouement. Pour preuve, leur présence, ainsi que la mienne, à IndieLisboa 12, Festival international du film indépendant, qui se tiendra à Lisbonne en avril prochain. Une section entière, programmée sous le titre «A Band Apart», est consacrée au cinéma suisse émergent.
swissinfo.ch: «A Band Apart» fait penser au Groupe 5 dont firent partie, dans les années 60, Claude Goretta et Alain Tanner, entre autres. Réclamez-vous une certaine filiation avec ces grands noms du cinéma helvétique, ou au contraire est-ce que vous vous en distancez?
U.M.: Il y a quelques années, on observait dans notre milieu un rejet des aînés. Il fallait tuer les pères. Pour ma part, j’ai toujours éprouvé une immense admiration pour ces hommes que vous citez, comme pour Jean-Luc Godard et Daniel Schmid d’ailleurs. Je ne pense pas qu’il faille, pour se distinguer, nier l’influence qu’ont eue sur nous les Goretta ou les Tanner.
Sans vouloir me vanter, je dirais que «l’Enfant d’en haut» est à mi-chemin entre le célèbre film d’Alain Tanner «La Salamandre» et le chef-d’œuvre de Fredi Murer, «L’Ame sœur». Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de personnages qui vivent en marge de la société. Des laissés-pour-compte.
swissinfo.ch: A Berlin vous avez dit que «L’Enfant d’en haut» est un film politique. Quelle acception donnez-vous à ce mot?
U.M.: Mon film met en relief un décor, non pas au sens esthétique du terme, mais au sens topographique. La Suisse y est vue dans cet aller-retour entre la plaine industrielle où vivent, pauvrement, Simon et sa sœur, et les stations de ski où se déploie crânement la richesse. Le côté carte postale de la Suisse faite pour illustrer les pages d’un calendrier ne m’attire pas. Pour moi, la beauté de ce pays réside aussi dans ses contradictions: le bas et le haut. Le va et vient entre les deux donne au film sa couleur politique.
Cette couleur est, à mon goût, plus expressive que celle de nos pâturages vantés par ce que j’appelle le «Heimat film». Lequel a aujourd’hui la cote en Suisse alémanique, comme on a pu le constater au dernier festival de Soleure où le cinéma du terroir était largement représenté.
swissinfo.ch: «Home» pouvait se lire comme la métaphore d’une Suisse isolée de l’Europe. «L’Enfant d’en haut» se passe dans les endroits les plus beaux du monde, mais pas mal de scènes sont tournées dans les toilettes. Une certaine puanteur s’en dégage. Casser l’image d’une Suisse idyllique vous obsède-t-il?
U.M.: Non, pas du tout. Je dirais plutôt que j’ai un drôle de lien avec la Suisse. J’ai grandi à Ferney-Voltaire, à la frontière franco-genevoise. Genève a toujours été ma ville, sans l’être vraiment. Mon père est Alémanique. Toute jeune, je me suis nourrie de cinéma helvétique. Aujourd’hui, je vis à Bruxelles. C’est peut-être une fuite. Je retourne néanmoins très souvent en Suisse, mais j’ai besoin d’une certaine distance pour pouvoir écrire mes films.
C’est peut-être cette distance qui me fait voir la Suisse autrement que comme un ensemble de cimes qui rapprochent l’humain de Dieu. La montagne, je la montre comme un lieu de tourisme un peu sauvage où se croisent beaucoup d’étrangers qui changent notre rapport à la langue et au monde. C’est également ce rapport-là que je raconte dans «l’Enfant d’en haut».
swissinfo.ch: Votre prochain film, sur quoi portera-t-il?
U.M.: J’ai des idées, mais je n’en parlerai pas, je les laisse mûrir. En attendant, je profite de la vie et me laisse traverser par ces instants de bonheur que peut procurer une grande récompense.
«L’Enfant d’en haut» (Suisse/France) de Ursula Meier. Avec notamment Léa Seydoux et Kacey Mottet Klein. Sortie en Suisse le 4 avril.
Née à Besançon en 1971, de père suisse et de mère française.
Elle fait ses études scolaires au lycée de Ferney-Voltaire (France voisine) et grandit entre Genève et le pays de Gex.
Plus tard, elle suit les cours de l’Institut des arts de diffusion (IAD), à Bruxelles, où elle vit aujourd’hui.
Après la réalisation de plusieurs cours métrages et documentaires, elle signe pour la chaîne Arte un téléfilm «Des épaules solides».
Présenté au Festival de Cannes en 2008, «Home» est son premier long-métrage de fiction. Il a, depuis, obtenu de nombreuses distinctions à travers le monde.
«L’Enfant d’en haut» a reçu, en février 2012, l’Ours d’Argent au festival de Berlin.
On lui attribue plusieurs influences cinématographiques, dont Ken Loach et les frères Dardenne. Mais elle affirme que le cinéma de ses aînés suisses l’a beaucoup nourrie.
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