La Chaux-de-Fonds, capitale de l’espéranto

Depuis samedi, la troisième ville de Suisse romande accueille le congrès annuel de l’Association mondiale anationale.
La Chaux-de-Fonds est un carrefour mondial de la langue espéranto. Elle abrite un centre de documentation et une école de premier plan.
L’année 1887 a vu naître trois géants: l’écrivain Blaise Cendrars, l’architecte Le Corbusier et l’espéranto. Les deux premiers étaient enfants de la Chaux-de-Fonds, dans le canton de Neuchâtel. Le troisième a été rapidement adopté.
Du 12 au 19 juillet, la troisième ville de Suisse romande accueille le 76e congrès annuel de l’Association mondiale anationale. Une entité essentielle mais minoritaire et engagée à gauche du mouvement espérantiste.
Quelque 150 délégués des cinq continents y feront le point sur le rôle de la communauté espérantiste face à la globalisation. Parmi eux, un ancien ministre de la justice australien et une princesse indienne.
Un bon terreau
Ce congrès n’arrive pas dans le désert. L’espéranto a pris racines dans la région neuchâteloise depuis des lustres. Et La Chaux-de-Fonds s’est imposée sur la scène internationale dès la fin des années soixante.
Dès le départ, la cité horlogère offre un terreau fertile pour cette langue visant à la compréhension mutuelle dans le monde.
Edifiée en damier dans un environnement inhospitalier, La Chaux-de-Fonds se caractérise par un esprit libertaire, ses inclinations pour la tolérance et l’avant-garde.
Deux figures sont là pour le rappeler. Celle de l’anarchiste Bakounine, habitant un temps la ville, et plus tard celle de l’enfant du lieu Jules Humbert-Droz, fondateur du parti communiste suisse et compagnon de Lénine.
Ainsi, un an après la création de l’espéranto par le Polonais Zamenhof, un premier article parait sur le sujet en Suisse. Et rapidement, un premier cours est organisé. Le tout au Locle, à deux pas de la Chaux-de-Fonds.
Presque aussitôt, l’école de commerce régionale inscrit l’espéranto sur son programme de cours.
Plus tard, dès 1946, l’écrivain, historien et journaliste (fondateur de Radio Genève) Edmond Privat habite Neuchâtel. Cet ami personnel de Gandhi est connu comme un pionnier de l’espéranto, notamment dans le cadre de la Société des Nations (SDN). Inévitablement, il marque la région de son empreinte.
Une mine d’or
Puis en 1967-68, deux événements placent définitivement La Chaux-de-Fonds en position de force dans le monde espérantiste. C’est d’abord la bibliothèque de la ville, qui accueille le Centre de documentation et d’étude de la langue internationale (CDELI).
Fondé par Claude Gacond – auteur d’une méthode reconnue d’apprentissage de la langue internationale et ancien journaliste espérantiste à Radio suisse internationale – ce centre donne une idée précise de la masse des publications en espéranto.
Dans le monde, seul le Musée international de l’espéranto de Vienne abrite davantage de documents.
Le CDELI est une mine d’or pour les chercheurs de tout poil. Vingt à trente d’entre eux viennent chaque année y préparer une thèse, un doctorat, un livre. Sans oublier que cette bibliothèque abrite aussi les fonds d’archives d’Edmond Privat et du Service civil international.
Toujours en 68, des espérantistes romands décident la création d’un centre culturel. «On leur a déconseillé Lausanne, trop bourgeoise, et Genève, où il aurait été noyé, explique Mireille Grosjean, déléguée suisse du comité de l’Association universelle d’espéranto. Ils ont donc choisi La Chaux-de-Fonds».
Depuis, la cité neuchâteloise abrite le Centre culturel espérantiste, actif dans l’information, l’édition multimédia, l’organisation de congrès, mais aussi la formation.
Une faculté espérantiste
«L’école de vacances est unique au monde, indique Giorgio Silfer, écrivain et organisateur du congrès. C’est une faculté où les étudiants du monde entier viennent approfondir la langue, mais surtout la culture espérantiste (historiographie, anthropologie culturelle)».
Selon le même Giorgio Silfer, le centre fait le choix de la qualité. Chaque année, il accueille au plus quelques dizaines d’étudiants. Il n’empêche que selon l’écrivain, «La Chaux-de-Fonds est un peu à l’espéranto ce que Genève était au protestantisme.»
Mireille Grosjean est d’accord. Avec Vienne, Rotterdam (siège de l’Association universelle d’espéranto) ou La Haye, La Chaux-de-Fonds fait partie des cinq carrefours mondiaux de la communauté espérantiste.
swissinfo, Pierre-François Besson
– Le médecin polonais Ludwik Lejzer Zamenhof a créé l’espéranto en 1887.
– Cette langue très facile veut faciliter l’intercompréhension des personnes de divers peuples en garantissant l’égalité culturelle.
– Le mouvement espérantiste repose sur deux piliers: l’Association mondiale anationale (SAT), fortement connotée à gauche, et l’Association universelle d’espéranto (UEA, avec sa section helvétique centenaire: la Société suisse d’espéranto), majoritaire, politiquement neutre et reconnue par l’Unesco. De nombreux espérantistes font partie de l’une et de l’autre.
– Après le congrès de SAT à la Chaux-de-Fonds, Göteborg accueillera celui de l’UEA dès le 26 juillet (2000 délégués).
– L’espéranto connaît un nouvel engouement grâce à Internet, où il est facile de se former et de communiquer. D’où la difficulté d’évaluer le nombre de locuteurs – au bas mot entre 500’000 et un million dans le monde (1’000 à 2’000 en Suisse).
– L’espéranto est parmi les dix langues les plus utilisées sur Internet et les trente les plus parlées dans le monde (120 pays).
– La Suisse compte une quinzaine de groupes locaux (UEA) ou liés à un milieu particulier. Les cheminots par exemple. On y observe aussi des initiatives individuelles dans l’hôtellerie ou la traduction notamment.

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