La dernière empreinte d’Irene Bignardi
Le Festival international du film de Locarno, du 3 au 13 août, sera pour la dernière fois placé sous la direction artistique d’Irene Bignardi.
Reste toute une édition à vivre. Mais après l’annonce des démissions, il est déjà temps de faire un premier bilan. Interview.
Au siège du festival, c’est l’agitation. Le président Marco Solari, les secrétaires, les collaborateurs, vont et viennent. Irene Bignardi nous attend dans son bureau avec un large sourire et son agenda débordant de rendez-vous à portée de main.
swissinfo: Quelles sont les raisons qui vous ont amenée à démissionner?
Irene Bignardi: L’envie de changer, de prendre un autre chemin, simplement. Cinq ans, c’est un cycle relativement long. A Venise, par exemple, le directeur du festival est nommé pour quatre ans.
Ces années ont été très belles et je pense que j’ai laissé mon empreinte. Il n’y a aucune insatisfaction, si ce n’est le fait que la vie de directeur de festival est très dure. Aujourd’hui, j’ai envie de retrouver ma vie à moi.
swissinfo: Qu’allez-vous emmener dans votre boîte à souvenirs?
I.B.: Il me restera, j’en suis certaine, le souvenir de cette passion collective pour le cinéma. Une passion vécue avec enthousiasme même dans les moments les plus lourds. Mais aussi avec des instants de déprime quand les choses n’allaient pas dans le bon sens.
Cette passion collective a toujours été palpable en chacun de nous. En fait, je devrais dire ‘chacune’ de nous, puisque l’équipe est essentiellement féminine. Durant ces cinq ans, il n’y avait pas un directeur, un vice-directeur et des employés… Non, on formait une équipe qui travaillait pour un projet commun, avec un objectif commun: mener le projet à terme dans les délais.
Et je crois que nous avons obtenu des résultats. Nous avons apporté le cinéma du réel à Locarno, comme le film sur les événements du G8 de Gênes. Nous avons ouvert le festival au cinéma afghan qui renaissait trois mois après la fin de la guerre.
D’ici, nous avons aussi relancé le cinéma indien qui est ensuite devenu très à la mode. Nous avons découvert des ‘petites choses’ qui ont ensuite fait leur chemin ailleurs, parfois dans les grands festivals.
swissinfo: Parmi toutes les nouveautés introduites dans le programme de Locarno, lesquelles vous tiennent-elles le plus à cœur?
I.B.: C’est difficile à dire… Un exemple? Le fait d’avoir osé présenter sur la Piazza Grande un film indien de 3h40. Puis découvrir que ce film, Lagaan, a plu au public à tel point qu’il a demandé à le voir et le revoir encore. Ça a été une grande satisfaction. Un pari risqué que nous avons gagné.
Bien sûr, il y a beaucoup d’autres souvenirs que j’emmènerai avec moi, comme témoins d’un petit succès. Je pense encore aux rencontres avec les écrivains en 2001, à la leçon de musique d’Ennio Morricone, à toute une série d’événements, à certains instants, parfois quelques minutes seulement, mais qui ont nourri le public.
Le public de Locarno est très spécial, parce qu’il ne cherche pas les stars, le glamour, mais simplement le cinéma et ce qui lui est lié de près ou de plus loin. Dans le fonds, nous avons fait de Locarno une petite Biennale d’Art, nous avons transgressé les limites du festival de cinéma traditionnel. Ainsi nous avons élargi la section «In Progress» à toutes les formes d’art lié au cinéma.
Voilà les choses dont je suis fière et qui ont, je crois, laissé une trace.
swissinfo: A quel point est-ce difficile aujourd’hui de diriger un festival, et particulièrement celui de Locarno? En plus, en tant que femme?
I.B.: En tant que femme, le plus pénible est de vivre loin de son propre camp de base. Pour moi, c’est Rome. Là où se trouve ma famille, mes livres, où je paie mes factures. Si j’avais eu une épouse, peut-être que ça aurait été plus facile d’être un directeur de festival…
La vie de directeur de festival est globalement difficile. C’est vrai que les moyens à disposition sont importants, mais ils restent limités comparés à ceux d’une concurrence toujours plus riche et aguerrie. Le budget de Berlin, par exemple, représente le double du nôtre.
En outre, Locarno a des problèmes pratiques. A commencer par les dates du festival. Elles ne sont pas idéales, non seulement parce que c’est la saison des vacances, mais aussi parce que c’est une période au cours de laquelle bon nombre de films sont en tournage ou en production.
Par ailleurs, la Suisse est un petit pays quadrilingue dans lequel le pouvoir contractuel des distributeurs est modeste face au marché international.
Et c’est sans compter le problème inhérent a un festival qui se déroule en plein air: le moment magique des projections sur la Piazza Grande est lié aux caprices de la météo. Enfin, il y a le problème de l’hébergement avec la fermeture de plusieurs hôtels.
En somme, la vie de directeur de festival est compliquée… Et celle de directeur du festival de Locarno l’est encore un peu plus.
swissinfo: De quoi le Festival de Locarno a-t-il besoin aujourd’hui?
I.B.: Il a besoin que les gens aiment Locarno. C’est important que les personnalités publiques, politiques, sponsors, se rendent réellement compte du potentiel du festival du film.
Sans lui, Locarno ne figurerait même pas sur la carte du monde, si ce n’est en tant que délicieuse petite ville du bord du Lac Majeur.
Le festival diffuse l’image d’une Suisse internationale et indépendante en termes de choix culturels. Et c’est aussi l’occasion pour la Suisse de véhiculer son cinéma de qualité – lorsqu’il existe, et cette année c’est le cas. Enfin, le festival a un impact économique indéniable.
swissinfo: La dernière édition signée Irene Bignardi s’ouvre bientôt. Dans quel état d’esprit affrontez-vous ce dernier grand rendez-vous?
I.B.: Dans le même état d’esprit que d’habitude… Avec, en plus, un léger sentiment d’être libérée. Pas de Locarno, ni du festival. Mais de ma fatigue.
swissinfo, Françoise Gehring, Locarno
(Traduction de l’italien: Alexandra Richard)
L’édition 2005 se tient du 3 au 13 août
15 films sont en compétition pour le Léopard d’or
14 films sont programmés sur la Piazza Grande
La Confédération renouvelle son soutien financier pour ces trois prochaines années: 3,2 millions de francs
Irene Bignardi est née le 10 août 1943 à Mantoue et a grandi à Milan. Elle a étudié les Lettres modernes à l’Université de Milan et la communication à l’Université de Stanford.
Plus tard, elle travaille comme scripte pour la société Olivetti et à la télévision italienne RAI, critique cinéma pour l’Espresso et la Repubblica.
Son film préféré: Nashville de Robert Altman qui clôturera cette 58e édition. Parmi ses réalisateurs favoris: Federico Fellini et Billy Wilder. Son film de chevet: Les Lumière de la Ville de Chaplin.
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