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La figure du billet de 50 francs ressort de l’ombre

Sophie Taeuber-Arp, Café, 1928. Wolfgang Morell

Peu de Suisses connaissent l'artiste Sophie Taeuber-Arp. Longtemps ignorée, cette pionnière du modernisme, dont l'effigie orne le billet de 50 francs suisses, fait désormais l'objet d'une grande rétrospective à Aarau.

Dans le rapport de police sur son décès – Sophie Taeuber-Arp meurt en 1943 d’une intoxication au monoxyde de carbone à cause d’un fourneau défectueux – sous «profession», le fonctionnaire a écrit «femme au foyer». Signe évident de la méconnaissance d’une artiste pourtant aujourd’hui reconnue comme de premier plan.

En plus d’être l’épouse de l’artiste Jean Arp, Sophie Taeuber-Arp était peintre, sculpteur et danseuse. Elle avait un œil de maître pour combiner les couleurs, les formes et les matériaux de façon originale. Aujourd’hui encore, ses compositions ont conservé toute leur fraicheur et leur éclat.

Pour s’en convaincre, il suffit de visiter la plus large expositionLien externe jamais consacrée à son travail, qui se tient actuellement à l’Aargauer Kunsthaus. On y trouve plus de 300 œuvres, y compris des textiles multicolores, des meubles au profil élégant et des formes géométriques audacieuses. Elle y est présentée comme «l’un des artistes suisses les plus importants du 20e siècle».

Poupées étranges

Mais, comme l’a montré un récent reportage de la télévision suisse, elle reste une énigme pour le public helvétique, même si elle figure sur un billet de banque depuis 20 ans. 

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Curateur de l’exposition «Aujourd’hui c’est demain», qui a ouvert fin août, Thomas Schmutz croit savoir les raisons de ce manque de notoriété. «A l’époque, dans les années 20 et 30, il fallait effectuer des huiles sur toile pour être reconnu en tant qu’artiste et perçu comme l’auteur d’un chef d’œuvre. A l’inverse, la décoration d’intérieur ou le travail sur textile n’étaient pas source de reconnaissance immédiate.»

Les poupées étranges composées de formes géométriques et d’articulations exposées qu’elle a créées pour un théâtre de marionnettes étaient par exemple peu appréciées à l’époque. «Elles sont aujourd’hui considérées comme une œuvre exceptionnelle», poursuit le curateur.

Dans l’ombre de son mari

Ce manque de notoriété est également du à son mari, qui lui a fait de l’ombre de son vivant en tant que co-fondateur du mouvement Dada et pionnier de l’Art abstrait. Après sa mort, il n’a rien fait pour améliorer son image.

«Il a beaucoup souffert de la perte de sa femme, alors il a sans doute un peu exagéré le côté rêveur et intuitif de cette dernière», relève Thomas Schmutz. Mais elle était en fait très douée pour humer l’air du temps et s’en inspirer, tout en faisant preuve d’une grande précision, selon lui. C’est également elle qui maintenait le ménage à flot, financièrement.

Née en 1889, Sophie Taeuber-Arp a grandi à Trogen, dans le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures, dans un milieu où l’indépendance et l’intérêt pour la culture étaient encouragés. Elle a étudié l’art et le textile à Saint-Gall et en Allemagne, avant de s’installer à Zurich.

Elle s’y est mis à enseigner le design textile à l’Ecole zurichoise des arts appliqués. En 1922, elle a épousé le Strasbourgeois Jean Arp, qui lui a fait découvrir Dada, un mouvement gravitant autour du Cabaret VoltaireLien externe de Zurich tout en cherchant à repousser les limites de l’art. 

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Adepte de Dada

Sophie Taeuber-Arp s’est elle-même produite en tant que danseuse pour le Cabaret Voltaire et a créé une série de «figures dadaïstes» abstraites – des petites sculptures de bois montées sur des piédestaux. Pour conserver son emploi, elle a toutefois dû taire son rapport au mouvement rebelle.

Le couple d’artistes déménage près de Paris en 1929, ce qui permet enfin à la Suissesse de se concentrer uniquement sur son art. Plusieurs meubles aux proportions soignées, ainsi que des reliefs circulaires en bois réalisés durant cette période figurent parmi les points forts de l’exposition argovienne.

Mais lorsque Paris tombe aux mains des Nazis en 1940, les deux artistes doivent fuir vers la Suisse, en passant par le sud de la France. Sophie Taeuber-Arp meurt peu après son retour, en 1943, âgée de seulement 54 ans.

Rétrospective au MoMa

Après plusieurs décennies de relative obscurité, le Musée d’art moderne de New York (MoMA) lui a consacré une rétrospectiveLien externe en 1981, ce qui lui a conféré une notoriété internationale. L’institution possède désormais huit de ses œuvres. Le Centre PompidouLien externe de Paris en a également.

Plusieurs pièces prêtées par des musées étrangers sont exposés dans le cadre de l’exposition de la Aargauer Kunsthaus. La galerie d’art de l’université YaleLien externe, qui a fourni une sculpture en bois tournéLien externe datant de 1937, est l’une des rares institutions américaines à posséder un Sophie Taeuber-Arp.

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Cette œuvre possède «une forte présence sculpturale» et représente une pièce importante dans les collections de la galerie, souligne Pamela Franks, sa curatrice en charge de l’art moderne et contemporain. Jean Arp en a fait cadeau à l’institution en 1950, en mémoire de son épouse, après avoir été favorablement impressionné par cette collection lors d’une visite l’année précédente, ajoute-t-elle.

«Libre et expressif»

D’autres musées à l’étranger possèdent également des pièces de l’artiste suisse, inscrivant son travail dans une série de courants artistiques européens. Le Musée Kröller-MüllerLien externe, à Otterlo, aux Pays-Bas, qui détient la deuxième plus importante collection de tableaux de Van Gogh au monde, possède «ParasolsLien externe», un relief blanc datant de 1938 qui ne figure pas dans l’exposition argovienne.

«Cette œuvre témoigne du style plus libre et expressif développé par Sophie Taeuber-Arp à partir de 1938, estime la directrice du musée Lisette Pelsers. Nous apprécions également sa proximité avec des artistes comme Theo van Doesburg et, bien sûr, Jean Arp, qui figurent eux aussi dans notre collection.»

Le premier a fondé le collectif d’artistes parisien Abstraction-Création, dont la Suissesse était membre. Tous deux se sont associés pour réaliser la décoration du Café Aubette de Strasbourg, surnommée la Chapelle Sixtine de l’Art abstrait. Cette commande a par la suite aidé le couple Arp à s’installer près de Paris.

Aujourd’hui, c’est demain

L’exposition au Aargauer KunsthausLien externe court jusqu’au 16 novembre 2014. Plus de 300 œuvres de l’artiste y sont exposés, issus de ses diverses périodes et centres d’intérêt. Les liens qui les unissent sont mis en avant.

L’œuvre de Sophie Taeuber-Arp représente une sorte de «créativité inter-reliée», qui regarde à la fois vers l’avant et l’arrière, en direction d’autres approches, selon le musée argovien. D’où le titre de l’exposition.

L’Aargauer Kunsthaus possède un grand nombre de pièces de l’artiste. Il a complété cette collection au moyen de prêts obtenus auprès de musées en Suisse et à l’étranger, des institutions qui gèrent son patrimoine et de plusieurs collections privées.

Bien entourée

L’artiste s’est en outre retrouvée au cœur de l’exposition «Femmes de l’avant-gardeLien externe» organisée par le musée d’art moderne danois Louisiana en 2012. Ce dernier possède Equilibre, une «pièce majeure» qu’elle a réalisée en 1932 et qui fait partie de sa collection d’Art concret et constructiviste, note la curatrice de l’institution Kirsten Degel.

Elle considère Sophie Taeuber-Arp comme une artiste clef, qui se trouve à l’intersection du Bauhaus, un courant qui combine l’artisanat et les beaux-arts, du mouvement abstrait De Stjl et de l’Abstraction-Création.

Sophie Taeuber-Arp se trouve également en bonne compagnie dans son pays d’origine, puisqu’elle figure sur le billet de 50 francs aux côtés de l’artiste Alberto Giacometti, qui orne celui de 100 francs, et de l’architecte Le Corbusier, qui figure sur celui de 10 francs. 

(Traduction de l’anglais: Julie Zaugg)

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