«La Francophonie n’est pas la Françafrique»
Ouverture à Genève du Salon du livre et de la presse. Lequel accueille un autre Salon, africain celui là, qui fait le bilan du cinquantenaire des indépendances africaines. Un processus dans lequel est engagé l’Organisation de la Francophonie. Interview de Sandra Coulibaly, la représentante ajointe à Genève.
Comme les éditions précédentes, le 7e Salon africain du livre, de la presse et de la culture de Genève est fortement soutenu par l’Organisation Internationale de la Francophonie(OIF). Une manifestation qui permet de valoriser le vaste monde francophone. Interview de Sandra Coulibaly, représentante adjointe de la délégation de la Francophonie auprès de l’ONU à Genève, et amatrice de belles lettres.
swissinfo.ch: Que représente la Francophonie aujourd’hui?
Sandra Coulibaly: C’est une vision du monde, le partage de cheminements intellectuels différents à travers une langue commune. L’OIF regroupe 70 pays à travers le monde, et autant de besoins en énergie, en argent et en conviction. Signe d’un véritable accès à l’Autre, elle reflète non pas une relation bipolaire mais un espace de communautés.
swissinfo.ch: On rattache souvent la Francophonie à la politique extérieure de la France. Que répondez-vous?
S. C. : Nous sommes souvent associés dans une triangulaire plus fantasmée que réelle, entre la Francophonie, la France et l’Afrique, parfois confondus avec un bras armé de la Françafrique. Or nous développons notre propre politique étrangère et de coopération, principalement culturelle. Nous militons notamment pour la diffusion des auteurs francophones et la professionnalisation de la filière du livre.
L’Afrique appartient au monde et n’échappe en aucun cas à la globalisation. Les auteurs africains en sont parfaitement conscients. La Francophonie fait partie de leur culture, ils écrivent aujourd’hui sans complexe en français. Senghor, poète et président du Sénégal au moment des Indépendances, l’a bien souligné: «Comme toute aventure humaine, la colonisation a charrié de la boue et de l’or. Pourquoi ne faudrait-il prendre que la boue et ne pas retenir les pépites?»
swissinfo.ch: Une majorité des auteurs invités au Salon africain du livre sont pourtant très critiques vis-à-vis de la Francophonie.
S. C. : Tout bilan réaliste se nourrit de visions contrastées. Nous ne voulons pas enfermer la Francophonie dans un ghetto institutionnel, où l’OIF serait sourde aux débats d’idées. Entre afro-pessimisme et afro-optimisme, cette édition 2010 est consacrée à un bilan raisonné de 50 ans d’indépendances, alors même que la Francophonie fête ses 40 ans d’existence institutionnelle.
En s’interrogeant sur la traversée d’un demi-siècle du continent, cette manifestation permettra de valoriser les liens indéfectibles qui unissent l’Afrique au reste du monde. Et de réaliser combien des générations d’auteurs témoignent, à travers leur écriture, de la vitalité de ce continent dont la résilience est une source de créativité inépuisable.
swissinfo.ch: Ce Salon aidera-t-il à moderniser la perception de la Francophonie?
S. C. : On doit sortir des questions de la Françafrique pour ouvrir une nouvelle grille de lecture. Les Africains voient souvent la France plus grande qu’elle ne l’est. Or, la Francophonie, c’est aussi la Suisse, la Belgique ou le Canada. Aujourd’hui, la coopération n’est plus seulement Nord/Sud, mais de plus en plus Sud/Sud. Le premier
pays à avoir apporté une aide humanitaire à Haïti après le séisme n’a-t-il pas été le Brésil? Les écrivains aident à repenser le monde selon ces nouveaux équilibres.
swissinfo.ch: Mais quel réel pouvoir exerce l’OIF sur ses Etats membres? Il semble qu’aucune mesure contraignante n’existe.
S. C. : Détrompez-vous. La Déclaration de Bamako, adoptée de façon globale en 2000, prévoit la suspension ou l’exclusion en cas de rupture de l’Etat de droit. Ainsi Madagascar et la Guinée sont-ils actuellement suspendus de l’organisation.
swissinfo.ch: La Francophonie fait-elle encore rêver?
S. C. : Je crois que ce sont des modèles de consommation qui font rêver, pas des modèles culturels. Quand il n’y a plus de modèle qui tire les jeunes générations vers le haut, notamment après maints refus de visas étudiants comme en France, vers qui se tournent-elles? Le Québec, la Suisse ou la Belgique. La Francophonie et ses opportunités sont bien plus grandes que les frontières d’un seul pays.
Sandra Fontaine, InfoSud/swissinfo.ch
Têtes d’affiche du Salon africain du livre: Stephen Smith, Alain Mabanckou, Patrick Chapatte, Demba Moussa Dembélé, Michel Beuret, Jean Ziegler, Elizabeth Tchoungui, Henri Lopès…
22 tables rondes seront organisées pour dresser le bilan de 50 ans d’indépendance.
Haïti sera à l’honneur, sa littérature, son histoire et son peuple, avec des écrivains comme Lyonel Trouillot ou Rodney Saint-Eloi.
Le Prix Ahmadou Kourouma sera remis en présence de Jean-Michel Djian et Christiane Kourouma, qui écrivent à 4 mains la première biographie de l’auteur du «Soleil des Indépendances».
Une librairie africaine se tiendra sur 100m2, avec des œuvres souvent inédites en Suisse.
Le 24e Salon international du livre et de la presse ouvrira ses portes du 28 avril au 2 mai à Genève.
La Suède et les pays de Savoie en seront les hôtes d’honneur.
La grande exposition proposera une rétrospective du peintre suisse Félix Vallotton.
Au total, plus de 200 exposants de quinze pays formeront la cuvée 2010
Le Salon du livre de Genève, qui se présente comme «le rendez-vous culturel le plus important de Suisse», a attiré quelque 105’000 visiteurs l’an dernier.
Cette année, les billets pourront être achetés en ligne. L’entrée sera gratuite le 28 avril.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.