La glorieuse incertitude de l’art
La vie d'artiste à New York est un rêve difficile à réaliser. La concurrence est rude et la vie chère. Un défi qui n'effraie pas un certain nombre de Suisses. Exemples et témoignages avec la plasticienne Katia Bassanini et le photographe Christoph Schreiber installés depuis quelques années à New York.
«La ville change chaque jour et j’aime ça.» Attablé dans un troquet du Lower East Side, Christoph Schreiber avale son petit déjeuné composé d’œufs aux plats, de houmous et de taboulé, le tout arrosé d’un cappuccino servi par une personne au sexe indéterminé. Rien de tel que ce concentré des mixages à l’œuvre à New York pour démarrer sa journée.
«Ici, je travaille mieux qu’ailleurs. Car cette ville pousse à trouver des solutions. A Berlin où j’ai également séjourné, le climat est trop léthargique à mon goût», explique ce photographe zurichois de 36 ans qui recompose subtilement ses prises de vue à l’aide de l’ordinateur, tourne des vidéos et monte des installations.
Venu à New York grâce à une bourse du canton de Zurich, Christoph SchreiberLien externe a décidé d’y rester. «Je n’ai pas trouvé ailleurs tant de stimulations et un caractère aussi cosmopolite. Ici, je me sens comme chez moi», assure le photographe.
Vivre de son art
Après deux ans de vie à New York, Christoph Schreiber est plus déterminé que jamais à rester, pour autant que ses revenus le lui permettent. A noter que la plupart des artistes new yorkais – américains ou non – ne vivent pas de leur art. Ils multiplient donc les emplois alimentaires pour survivre, au point parfois de ne plus pouvoir pratique leur art.
Jusqu’à maintenant, Christoph Schreiber n’a pas eu besoin d’en passer par là. Pour vendre ses travaux photographiques, l’artiste s’est associé à 4 galeries en Suisse, à Berlin et à New York.
Mais rien n’est jamais acquis. «Actuellement, mon horizon est de 6 mois. Au-delà, tout peut arriver», précise le photographe. Sa galerie new-yorkaise vient d’ailleurs de fermer. Christoph Schreiber se démène pour en trouver une nouvelle, car le marché américain est essentiel.
«Ici, les gens achètent plus facilement des œuvres d’art qu’en Suisse», explique le Zurichois qui habite un petit appartement dans le Lower East Side, une rareté à 1000 dollars par mois, soit un tarif exceptionnel vu le boom de l’immobilier.
Pour démarrer sa vie dans la mégapole américaine, il a assidument fréquenté la communauté helvétique. «Les Suisses de New York constituent un excellent réseau pour démarrer sa vie sur place. Une communauté que j’ai pu facilement rencontrer grâce à l’attachée culturelle du Consulat suisse, Gabriella Eigensatz», raconte le photographe.
Une veille permanente
Tout comme Christoph Schreiber, Katia Bassanini crée à New York et vend en Europe, en Suisse et en Italie tout particulièrement.
«A New York, il est plus difficile de montrer un travail critique qu’en Europe. C’est un phénomène qui fait suite aux attentats du 11 septembre», juge l’artiste qui pratique la peinture, la vidéo et la performance en développant une lecture ironique, voire satirique du monde qui l’entoure. L’une de ses sources d’inspiration: les photos de presse.
Arrivée à New York en 2001 pour vivre avec son mari, natif du lieu, Katia Bassanini y a rapidement trouvé ses marques. «Ici, je sors tout le temps, car il y a toujours de nouvelles choses à découvrir. Mais il faut en permanence être en état de veille, sinon quelqu’un d’autre prend votre place ou vous arnaque», remarque la Tessinoise.
«Je finis souvent par avoir marre de cette ville. Mais si je la quitte, elle me manque très rapidement», ajoute la plasticienne de 36 ans, en qualifiant son rapport à New York de «dépendance».
Raison pour laquelle Katia BassaniniLien externe n’éprouve guère de nostalgie pour la Suisse. Ayant grandi au Tessin et en Autriche, la jeune femme s’est en fait toujours sentie européenne.
Le joker helvétique
Cela dit, la jeune femme souligne que la nationalité suisse offre à New York quelques avantages pratiques sur le plan professionnel, comme gage de qualité. «C’est un de mes jokers dans mes relations professionnelles», assure la plasticienne.
Une réputation de sérieux utile dans cette ville d’affaires. «Contrairement à la Suisse, le milieu artistique est très orienté vers le business. Il faut que l’art rapporte de l’argent. Il y a très peu d’espaces artistiques à but non lucratif, comme les kunsthalle de Suisse», remarque la jeune femme.
Avant d’ajouter: «A New York, on trouve le courage de prendre des risques. Si un projet tourne mal, on n’est pas définitivement grillé. Car les possibilités de se retourner sont nombreuses.»
Autre avantage du pragmatisme local: «Les New-Yorkais fonctionnent très sainement, y compris avec les questions d’argent. Ici, une femme n’a pas besoin d’accepter une invitation au restaurant pour obtenir un contrat.»
Par ailleurs, l’esprit d’entreprise qui mène la ville ne signifie pas forcément le règne du chacun pour soi, du moins chez les artistes. «Jusqu’à la fin des années 90, l’individualisme des artistes était très fort, remarque Katia Bassanini. Mais depuis deux ans, j’ai l’impression que le vent tourne. Les artistes retrouvent l’idée de communauté et de travail collectif.
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