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La littérature arabe circule mal dans le monde arabe

Dans une librairie de Benghazi, en Libye. Reuters

A Genève, le Salon du livre et de la presse lance cette année une nouvelle plateforme culturelle avec le Pavillon des cultures arabes. Rencontre avec un de ses initiateurs, le libraire genevois d’origine syro-libanaise Alain Bittar, pour qui la situation des écrivains arabes reste précaire.

C’est au cœur du quartier international et populaire des Pâquis qu’Alain Bittar a créé la librairie arabe L’Olivier en 1979, un foyer d’activités culturelles et un passage obligé pour les nombreuses personnalités du monde arabe en visite à Genève.

L’animateur culturel franco-marocain Younès Ajarraï (responsable du Pavillon) et Alain Bittar (responsable de la librairie du Pavillon) ont mis sur pied le programme de cette nouvelle section du salon du livre de Genève, qui présente déjà en son sein, depuis 2004, un salon africain du livre.

Pour Alain Bittar, cet espace culturel sur le monde arabe réalise un vieux rêve.

swissinfo.ch: Comment est née l’idée d’un pavillon arabe au salon du livre?

Alain Bittar: En 1986, nous avons participé au tout premier salon du livre de Genève avec un stand de 50 m2. Nous avions eu la chance d’accueillir  des géants comme les poètes syriens Adonis et Nizzar Kabbani, les romanciers libanais Elias Khouri et Amin Maalouf, qui démarrait comme écrivain.

Mais l’opération a constitué un grand sacrifice financier pour ma librairie. Je n’ai donc pu renouveler l’opération lors des éditions  suivantes, si ce n’est à l’occasion de la venue d’un pays arabe, comme hôte d’honneur du salon genevois.

L’idée d’une présence permanente d’un pavillon des cultures arabes a toujours trotté dans ma tête. J’en ai parlé avec les responsables de Palexpo (la plateforme d’exposition) et du Salon du livre qui ont accepté de tenter cette aventure et confié la responsabilité de la programmation à Younès Ajarraï, un excellent animateur culturel.

Notre rêve est que le Pavillon des cultures arabes (400 m2) devienne un espace pérenne du Salon du livre. C’est donc une année test pour nous. 

De tout temps, j’ai rêvé d’une librairie utopique qui soit le reflet d’un monde arabe ouvert à sa propre diversité, qui respecterait ses minorités, ses différentes religions, ses différentes ethnies. C’est potentiellement un monde d’une richesse incroyable, une Andalousie arabe dont je rêve la renaissance sur le plan culturel.

Plus l’offre culturelle sur le monde arabe sera large, plus la vision unilatérale que tentent d’imposer certains au nom de la religion sera relativisée. Le monde arabe est une mosaïque.

Une soixantaine d’auteurs participent aux débats et rencontres organisés par le Pavillon des cultures arabes, dont Ahlem Mosteghanemi, Abdelwahab Meddeb, Gamal Ghitany, Gilbert Sinoué, Robert Solé, Malek Chebel, Tahar Ben Jelloun.

Les thèmes abordés vont de la jeunesse aux révolutions du monde arabe en passant par les relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours.

Le pavillon des Cultures arabes occupe 400 m2 avec 200 m2 de librairie, un espace conférence débat et un espace restaurant-café.

swissinfo.ch: Avec ce pavillon et les nombreux auteur(e)s invités, quel message voulez-vous faire passer?

A.B.: Le monde arabe a une richesse, une diversité qui ne transparait plus depuis les attentats du 11 septembre 2001, dans la plupart des médias occidentaux. Ils ont simplifié, schématisé la vision du monde arabe. Nous-mêmes, nous ne nous reconnaissons plus dans l’image qui nous est renvoyée.

Il me semble aussi très important que les gouvernements des pays arabes réalisent que la diversité des sociétés arabes est leur meilleur outil diplomatique.

swissinfo.ch: Dans les années 80, votre librairie était une réponse à la censure sévissant dans la plupart des pays arabes. Aujourd’hui, les écrivains de cette région du monde sont-ils plus libres?

A.B.: En général, il n’y a jamais eu de censure panarabe. Un livre interdit en Egypte pouvait être disponible au Liban ou en Syrie. Un livre interdit dans la zone sunnite de Beyrouth pouvait être trouvé dans les quartiers chrétiens. Un livre interdit au Maroc pouvait figurer dans les librairies algériennes, etc…

Certaines grandes thématiques comme la religion pouvaient être plus problématiques. Dans certains cas, telle ou telle institution religieuse réussissait à faire imposer ses anathèmes par les gouvernements.

Avec l’apparition des chaînes satellitaires  et surtout l’internet, la situation a passablement changé.

Par exemple, il y a toute une édition de livres d’opposants politiques dans le monde arabe. L’apparition de la toile numérique a été une aubaine pour  ces écrits, rien qu’au niveau économique. Dans ce registre, les sites web se sont substitués aux livres et se sont développés à vive allure.

Dans les années 80, j’avais obtenu la liste des ouvrages interdits en Arabie saoudite, soit plus d’une centaine de pages. Dans ma librairie, cette liste a été un best-seller.

Depuis lors,  il y a eu une politiques d’ouverture en Arabie saoudite et dans les pays du Golfe.

Le 28e Salon du livre et de la presse se tient du 30 avril au 4 mai à Genève.

Le programme prévoit la venue de plus de 850 auteurs, plus de 2000 animations et 8 scènes thématiques dont une consacrée aux polars et une autre aux voyages. Quelque 100’000 visiteurs sont attendus.

«En trois ans, la mue est frappante. Sous la houlette du tandem Isabelle Falconnier, présidente, et d’Adeline Beaux, directrice, la manifestation s’est réinventée en une formule qui se démarque des salons du livre traditionnels tels que continuent d’être ceux de Paris et Bruxelles», souligne le quotidien Le Temps.

swissinfo.ch: Le sort des écrivains s’est-il amélioré par rapport aux années 80?

A.B.: Pas vraiment. Les esprits critiques sont toujours confrontés à leurs gouvernements et risquent toujours d’avoir de gros problèmes, s’ils publient un livre. C’est peut-être moins prégnant en Egypte ou en Tunisie (suite aux soulèvements dans ces pays, ndlr).

Mais il peut toujours y avoir des retours de flammes. Les attaques frontales contre un gouvernement sont toujours risquées.

swissinfo.ch: Que signifie aujourd’hui écrire en arabe? Y-a-t-il un arabe standard qui s’impose ou est-ce l’arabe dialectal qui prime?

A.B.: La langue écrite est la même dans tous les pays arabes. La langue parlée est celle des dialectes. La situation est équivalente à celle de la Suisse alémanique avec la pratique écrite du Hochdeutch et orale du Schwyzerdütsch, les différents dialectes parlés dans les cantons suisses.

Au siècle dernier, le père de l’indépendance égyptienne, Gamal Abdel Nasser, avait voulu « réarabiser » les pays décolonisés via, par exemple, la radio égyptienne en ondes courtes qui couvrait l’ensemble du monde arabe. A cette époque, tout le monde comprenait le dialecte égyptien grâce aux films et aux chansons d’Egypte.

Aujourd’hui, les télévisions et les radios des pays arabes utilisent l’arabe classique que je préfère appeler l’arabe moderne, l’arabe des médias. Avec le développement des chaines satellitaires, l’arabe moderne devient en effet plus compréhensible pour la plupart des habitants du monde arabe.

swissinfo.ch: Cela permet-il une meilleure circulation des livres en arabe ?

A.B.: Les frontières qui délimitent les pays du monde arabe sont plus infranchissables pour les citoyens de ces pays que pour les citoyens occidentaux. C’est la même chose pour les livres. Il n’y a aucune cellule culturelle au niveau régional. Le livre circule très peu entre les pays du monde arabe. Les tirages y sont donc très faibles – de 500 à 3000 exemplaires – donc très chers proportionnellement au niveau de vie des gens.

Au siècle dernier, l’Irak, l’Egypte et la Syrie avaient une politique de subvention des livres qui les rendaient très bon marché. Mais ces politiques n’existent plus.

Cela dit, pratiquement tous les pays du monde arabe ont aujourd’hui leur salon du livre. C’est l’occasion quasi unique dans l’année de découvrir des livres des autres pays arabes. Ces salons connaissent le plus souvent une affluence record.

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