La nouvelle présidente du Festival du film de Locarno vise plus large que le cercle des cinéphiles
Le plus prestigieux des festivals de cinéma suisses débute ce mercredi. S’il reste un paradis pour les cinéphiles, derrière les écrans, sa nouvelle présidente, Maja Hoffmann, le rapproche de ses contacts internationaux dans le domaine des arts.
La discrétion est la meilleure amie des milliardaires, et Maja Hoffmann est assurément discrète. Elle n’apparaît dans les médias que lorsqu’elle le souhaite ou qu’elle en a besoin, et ce même si elle dirige des organisations de premier plan, comme la Fondation LUMA pour les arts contemporains ou, plus récemment, le Festival du film de Locarno.
À la suite de sa nomination, l’an dernier, la nouvelle présidente n’a pas annoncé de grands chamboulements dans l’organisation du festival. Mais à l’approche de celui-ci, Maja Hoffmann a semé quelques indices indiquant qu’elle est désormais aux commandes, tout en nous laissant le soin d’interpréter la manière dont elle le dirigera. Pour cela, on peut commencer par comparer ses actions à celles de son prédécesseur, Marco Solari, qui a présidé le festival de 2000 à 2023.
Marco Solari avait des airs de grand seigneur italien. En réalité, il tenait plus d’un entrepreneur prospère que d’un membre d’une famille patricienne. Jouissant d’excellentes relations dans les milieux politiques, religieux, médiatiques et économiques suisses et italiens, il a toujours veillé à obtenir un soutien politique et financier. Non seulement pour son festival, mais aussi pour de nombreuses autres manifestations culturelles au Tessin.
Son travail a permis d’ancrer la manifestation en tant qu’institution nationale. Marco Solari a également su établir des liens entre les régions linguistiques du pays et assurer le financement du festival grâce à un savant mélange de donateurs et de sponsors privés et publics. Après l’annonce de sa retraite l’année dernière, la nomination de Maja Hoffmann à sa place a été une véritable surprise.
Un parcours international
Maja Hoffmann est issue d’une famille milliardaire, héritière du géant pharmaceutique Roche. Originaire de Bâle, en Suisse allemande, elle a grandi en France et ses liens avec le Tessin sont ténus. Elle ne parle pas italien (du moins pas en public), mais jouit d’une renommée internationale en tant que collectionneuse et mécène.
Avec des initiatives à Zurich, Arles, Gstaad, Londres et Moustique (une île privée de l’archipel des Grenadines), sa fondation LUMA est connue non seulement en tant que plateforme pour de nombreuses activités artistiques et de recherche, mais aussi pour son siège à Arles, conçu par l’architecte Frank Gehry.
La nouvelle présidente du Festival du film de Locarno n’est toutefois pas une néophyte dans ce milieu. Elle a étudié le cinéma à New York et a été productrice exécutive de plusieurs documentaires. En outre, son compagnon, Stanley Buchthal, est lui aussi producteur de films.
Modification du protocole
Le festival organisait traditionnellement en janvier un cocktail dans le cadre des Journées de Soleure, événement consacré exclusivement au cinéma suisse. Dans un cadre informel, les membres du conseil d’administration et l’équipe de direction – le directeur artistique Giona A. Nazzaro, le directeur opérationnel Raphaël Brunschwig et l’ancien président – accueillaient la presse, les donateurs et les sponsors pour annoncer le thème de la rétrospective du prochain festival, l’une de ses sections les plus prisées.
Mais cette année, les invités et les invitées sont arrivés dans un lieu différent, plus modeste, avec du vin et des canapés, certes, mais sans personne à qui parler. La presse, y compris votre serviteur, a appris sur place que Maja Hoffmann avait décidé à la dernière minute d’emmener ses directeurs faire un voyage professionnel au festival du film Sundance, aux États-Unis. Le message était clair: Locarno doit être plus présent sur la scène mondiale.
Le prochain rendez-vous public de Maja Hoffmann a été l’annonce officielle du programme, début juillet. Le Festival du film de Locarno commence généralement un mois avant son ouverture officielle par une conférence de presse au cours de laquelle ses responsables présentent le programme et la liste des invités, des lauréats et des temps forts. Sous Marco Solari, celle-ci se déroulait habituellement dans la capitale suisse, à Berne.
On y voyait traditionnellement des représentantes et représentants de la classe politique suisse, ainsi que des représentants des autorités et des cantons du Tessin et de Berne. Les discours de Marco Solari passaient naturellement de l’allemand à l’italien et au français, couvrant ainsi symboliquement la diversité culturelle de la Suisse tout en soulignant le caractère national du festival.
Mais pas de Berne pour Maja Hoffmann qui a organisé sa conférence au siège zurichois de la fondation LUMA. Sur place, aucune personnalité politique nationale ou locale, mais des membres de la presse réunis pour assister à un événement également retransmis en direct sur Internet. Les personnes présentes sur scène ont parlé allemand et Maja Hoffmann s’est exprimée en anglais.
La présentation du programme du directeur artistique Giona A. Nazzaro a permis de saisir des messages plus subtils. Marco Solari avait l’habitude de limiter sa présentation à un discours institutionnel, en respectant les conventions protocolaires telles que la mention officielle des personnalités présentes. Il laissait ensuite la parole au directeur artistique pour qu’il présente son programme. Cette année, à plusieurs reprises dans son discours, Giona A. Nazzaro a salué la contribution de Maja Hoffmann à la sélection des films et à la facilitation des contacts pour les amener au festival.
Maja Hoffmann a également influencé le choix de l’affiche. Le léopard emblématique de la manifestation, généralement représenté sous forme d’illustration, a cette fois été pris en photo par la photographe vedette américaine Annie Leibovitz, une amie de Maja Hoffmann.
Le choix du «glocal»
On devine donc le style de Maja Hoffmann. Tout en étant plus présente dans le processus de curation que son prédécesseur, elle semble moins préoccupée par les conventions des institutions nationales et politiques. La nouvelle présidente cherche à inscrire le festival dans les réseaux mondiaux qui englobent les élites du cinéma et des beaux-arts.
Son approche peut être saluée comme une évolution audacieuse, mais nécessaire du positionnement de Locarno dans le circuit des festivals internationaux. Sous Marco Solari, le festival a consolidé sa position de «petit parmi les géants (Cannes, Berlin, Venise) et de géant parmi les petits» – et de vitrine préférentielle pour les nouveaux talents du monde entier. Mais le marché des festivals de cinéma évolue de plus en plus rapidement et la concurrence pour les titres et les premières est de plus en plus rude.
Dans cette optique, la stratégie de Maja Hoffmann semble se concentrer sur la marque Locarno. D’une part, pour assurer l’avenir du festival, elle doit promouvoir son nom de manière plus agressive à l’échelle mondiale. D’autre part, pour garantir la qualité de la marque, elle doit également s’assurer que le festival reste fidèle à ses principes cinéphiles et reste une plateforme pour les nouveaux concepts et les nouvelles idées.
L’équilibre ne devrait pas être difficile à trouver: tandis que Maja Hoffmann ouvre au festival les portes du circuit international, elle peut compter sur son directeur artistique Giona A. Nazzaro, qui est aussi un critique de cinéma respecté et qui incarne naturellement l’esprit de Locarno. Elle peut aussi se reposer sur une équipe professionnelle et un réseau institutionnel que lui lègue Marco Solari. Mais le premier vrai test de la nouvelle direction commence mercredi. Pendant les dix prochains jours, nous serons à l’affût de signaux plus concrets.
À Locarno, les vedettes sont avant tout les films et non les célébrités. Cette année, cependant, le festival accueille la plus grande star indienne de Bollywood, Shah Rukh Khan; l’actrice franco-suisse Irène Jacob (vue récemment à la Berlinale dans «Shikun», d’Amos Gitai); le magicien suisse de l’animation Claude Barras, qui a réalisé «Ma vie en courgette»; et Jane Campion, la première femme à avoir remporté la Palme d’or à Cannes (pour «The Piano») et la première à avoir été nommée deux fois pour l’Oscar du meilleur réalisateur.
La section «Retrospettiva» (rétrospective) de Locarno est toujours l’un de ses principaux points forts, car elle présente des joyaux de la longue histoire du cinéma pour le plus grand plaisir des cinéphiles et du grand public. Cette année, elle célèbre le centenaire du légendaire studio américain Columbia Pictures avec une sélection de films allant du début de l’ère du son à la fin des années 1950, sous la direction du critique et cinéaste iranien Ehsan Khoshbakht, établi à Londres.
Dans le même esprit, le festival rend hommage à l’auteur américain Stan Brakhage (1933-2003), l’un des auteurs de films expérimentaux les plus influents du 20e siècle. Les cinéphiles auront le rare privilège de voir huit de ses œuvres sur grand écran.
Les principales compétitions offrent un tour du monde des nouveautés cinématographiques. Dix-sept films se disputent le «Pardo d’Oro» (Léopard d’or) et 15 autres concourent au «Concorso Cineasti del Presente», destiné aux cinéastes qui présentent leur premier ou deuxième long métrage.
Vous pouvez consulter le programme complet iciLien externe et suivre notre couverture spéciale du festival, en partenariat avec l’Académie des critiques de Locarno, une sélection de jeunes écrivains qui traitent du cinéma et de l’art venus du monde entier qui exploreront le programme pendant toute la durée du festival.
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais à l’aide de DeepL/dbu
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