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La photographie sculpturale de Hannah Villiger se dévoile à Rome

Photo montrant de main au-dessus d un meuble ancien.
Arbeit (1980), C-print d'un Polaroid sur aluminium. LA SUCCESSION DE HANNAH VILLIGER. Skulptural (1984/85), C-print d'un Polaroid sur aluminium. LA SUCCESSION DE HANNAH VILLIGER. © photo Ela Bialkowska, OKNOstudio

L’Institut suisse de Rome accueille une exposition consacrée à l’artiste suisse Hannah Villiger, qui a passé une partie de sa vie dans la capitale italienne. Regard sur la carrière de cette artiste qui, bien qu’utilisant la photographie, s’est toujours considérée comme une «sculptrice».

La production de Hannah Villiger (1951-1997), dont une grande partie reste à redécouvrir, est l’objet de l’exposition Works/SculpturalLien externe, la première grande exposition personnelle de l’artiste en Italie, ouverte jusqu’au 27 juin 2021 à l’Institut suisse de Rome. Sous la curation de Gioia dal Molin, l’exposition sera accompagnée d’un livre publié par les éditions Mousse, qui sortira à l’été 2021, avec des contributions de la curatrice, d’Elisabeth Bronfen, de Quinn Latimer et de Thomas Schmutz.

L’exposition monographique vise à faire connaître l’artiste en dehors des frontières helvétiques, en offrant une rétrospective de sa carrière, avec un accent mis sur l’influence de la période où elle a résidé à l’institution de la Villa Maraini, où elle a été boursière de 1974 à 1976.

Après sa formation en Suisse, à l’école des arts appliqués de Lucerne, Hannah Villiger séjourne à Rome, où elle reste jusqu’en 1977. Cette phase s’avère fondamentale dans la définition de son imaginaire, puisque grâce à ce séjour, elle peut approcher les expériences qui caractérisent la scène culturelle romaine de l’époque, en premier lieu celle de l’Arte Povera.

Parallèlement, elle participe déjà à d’importants événements artistiques européens, tels que la Biennale de Paris de 1975, où elle représente la Suisse aux côtés de John Armleder et Martin Disler.

Reconquérir le corps

Sa palette commence à se définir dans ces années-là, au cours desquelles elle montre un intérêt pour des langages tels que le dessin et la performance. Son intérêt déjà manifeste pour la photographie se fixe définitivement dans les années 1980, lorsque, en partie à cause de ses problèmes de santé, Hannah Villiger découvre l’immédiateté de l’appareil photo Polaroid comme dimension et mesure ultimes de sa pratique esthétique. En effet, ce langage lui permet non seulement d’éviter le fastidieux passage au laboratoire pour le développement des négatifs, mais surtout d’acquérir une vitesse de visualisation, et donc de composition, idéale pour rendre la mutabilité et la fragilité des éléments qui composent son quotidien.

Composition photographique avec des bouts de corps nu.
Les volumes saisis par l’artiste suisse Hannah Villiger (1951-1997) sont des grilles de chair vivante, des masses transformées enveloppées d’un épiderme qui devient espace critique, symbolique, politique. Copie du montage Polaroid pour Block I (1988), Lambda Print. Hannah Villiger Nachlass / Gottfried-Keller Stiftung

Son corps, dans ce cadre, devient l’élément d’étude privilégié, autour duquel l’artiste développe une pratique représentative quasi rituelle, marquée par des séances de travail qui se déroulent au sein d’une «arène» – un drap blanc posé au sol – dans laquelle les formes du corps font l’objet d’un processus de métamorphose. Ces expériences alignent sa recherche sur un courant fondamental de la pratique artistique du moment, dans lequel le genre de l’autoportrait, historiquement une prérogative masculine, est conquis et reconquis par des expériences féminines fondamentales, comme celles d’Eleanor Antin, Ana Mendieta et Cindy Sherman.

Entre les années 1980 et 1990, Hannah Villiger expose ses œuvres dans d’importantes institutions européennes telles que la Kunsthalle de Bâle (1981 et 1985), le Centre culturel suisse de Paris (1986), le Museum für Gegenwartskunst de Bâle (1988/1989) et le Kunstverein de Francfort (1991). Du point de vue du langage artistique, les photographies s’orientent vers des résultats extrêmement fragmentés, presque abstraits, radicaux dans le choix de dissimuler la reconnaissabilité du corps, qui s’est désormais imposé comme le sujet principal de son imagination.

Hannah Villiger passe ses dernières années à Paris, ville dans laquelle elle s’est installée en 1986. Cette période est marquée par sa participation à la 22e Biennale de São Paulo (1994), où elle représente la Suisse aux côtés de l’artiste Pipilotti Rist (Grabs, 1962). L’événement est l’un des plus suivis de l’histoire de l’institution brésilienne, avec 70 pays participants et un nombre record de visiteurs. Sous la direction du curateur Nelson Aguilar, l’événement réunit des artistes établis – dont Piet Mondrian – et des protagonistes de l’histoire contemporaine, dont Lucio Fontana, Robert Rauschenberg, Gerhard Richter et Rosemarie Trockel.

Jusqu’au bout, la production artistique de Hannah Villiger ne s’arrête pas. Malgré sa mauvaise santé et ses séjours à l’hôpital, elle continue à créer ses «blocs» polaroïd au printemps 1997. Elle meurt d’une insuffisance cardiaque en août de la même année, quelques jours après son retour en Suisse, dans le canton d’Argovie.

L’exposition présentée à l’Institut suisse de Rome offre un échantillon de la pratique de l’artiste, alternant des œuvres photographiques de grande envergure avec des panneaux de notes, des documents et des dessins, au point que le dispositif esthétique de l’exposition en vient à se connoter comme un journal intime monumental dans lequel la hiérarchie entre œuvre et note s’efface au profit d’une narration totale. La parenthèse temporelle des œuvres exposées s’ouvre sur des réalisations des années 1970 et se referme sur deux œuvres photographiques de ses dernières années (1996; 1995/97), placées dans la première salle comme pour sanctionner la structure circulaire et fluide de l’exposition. Les deuxième et troisième salles présentent une constellation d’images et d’esquisses qui traduisent les visions et les amours de l’artiste, documentant le potentiel de transformation de ses obsessions et leur synthèse progressive vers une expérimentation plus mature.

Salle ancienne avec des photos au mur.
Le mouvement frénétique de l’objectif du Polaroïd secoue et transperce son corps, champ de bataille d’un récit à la fois intime et universel. Bloc XVIII, six C-prints de Polaroids sur aluminium. LA SUCCESSION DE HANNAH VILLIGER. Photo © Ela Bialkowska, OKNOstudio

Pas des œuvres photographiques, mais sculpturales

La représentation du corps conserve une centralité incontestée dans l’exposition, grâce à une succession d’œuvres qui racontent sa fragmentation progressive à travers les espaces éclectiques de la Villa Maraini. La présence d’œuvres qui s’éloignent du thème du corps – Von der Terrasse, der Baum (1984/85) dans la première salle de l’exposition -, ainsi que la sélection de polaroïds «jetés» placés dans la dernière salle, dans laquelle apparaissent des vues d’arbres, permettent également d’échantillonner le périmètre d’investigation réel de l’artiste, mettant en évidence les trajectoires d’un regard qui scrute méticuleusement ce qui est immédiatement adjacent, atteignable à portée de bras ou dans l’horizon le plus proche.

L’étude de la plasticité de l’image photographique, comprise comme une succession de volumes qui transcendent la bidimensionnalité de la prise de vue, est une note fondamentale dans la recherche de l’artiste, au point qu’elle va elle-même jusqu’à définir ses œuvres comme proprement sculpturales, suggérant cette propriété également par le choix des titres (Skulptural, Bildhauerei – Sculptural, Sculpture). Des architectures torsadées dans l’espace, des paysages lunaires, des collines et des dépressions apparaissent dans ses images, créant un court-circuit dans la fonction anatomique originelle de ce qui est représenté.

Et ce sont précisément ces ruptures et dissimulations qui deviennent les interprètes du désir de réappropriation du corps, une position prise par un regard féminin historiquement situé et conscient. Hannah Villiger, avec ses images, porte un coup au regard masculin qui voudrait qu’elle soit un objet et jamais un sujet, scrutée et jamais scrutatrice. «Par la répétition constante, dit l’artiste, mon corps devient ‘un corps’». Ainsi, cette fragmentation obsessionnelle devient une extension de la volonté de créer un corps universel, méconnaissable et donc inexpugnable.

Photos exposées devant une fenêtre style art nouveau.
Vitrine 1 : Hannah Villiger, Journal de travail 06, 07, 08, 09, 1974 / 1975. LA SUCCESSION DE HANNAH VILLIGER. Mur, jardin d’hiver : Arbeit (1976), épreuve d’art (réimpression). LA SUCCESSION DE HANNAH VILLIGER. © photo Ela Bialkowska, OKNOstudio

Et ce regard qui segmente, déforme et rapproche peut être considéré comme le véritable sujet de l’exposition de l’Institut suisse, non seulement parce qu’il est reconstitué dans la chronologie de son évolution, mais parce qu’à partir de là sont tracées les distances infinitésimales parcourues, montrant comment l’artiste, en se déplaçant de quelques pas, a sans cesse cherché, et trouvé en elle, la proportion et la substance du monde.

(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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