La presse suisse s’investit dans le multimédia
Confrontés à des baisses de revenus publicitaires, Ringier et Edipresse, les deux principaux éditeurs de journaux en Suisse, ajoutent son et image à leur offre.
En investissant l’Internet, ils cherchent à regagner des parts sur un marché où les moteurs de recherche sont déjà bien présents.
«Tous s’interrogent.» Bruno Giussani résume ainsi l’état d’esprit des médias traditionnels et des groupes de presse face au développement fulgurant de l’Internet et de ses applications multimédias.
Pionnier de l’Internet, le journaliste tessinois a contribué à la création de « webdo.ch », le premier webzine de Suisse lancé en septembre 1995. Pour lui, «le modèle économique de la presse écrite est en déclin. L’Internet comme média est en pleine croissance. Mais personne ne sait vraiment comment trouver l’équilibre financier avec ce nouveau support, tant les sources potentielles de revenus sont fragmentées».
De fait, le lecteur d’autrefois se mue en consommateur infidèle et nomade. «Au XXème siècle, il s’informait à partir d’une ou deux sources. Aujourd’hui, le consommateur média utilise six ou sept plateformes et de plus en plus souvent depuis le Net», souligne Christophe Rasch, responsable du département TV et multimédia du groupe Edipresse.
Les grandes manœuvres
Raison pour laquelle en Suisse comme ailleurs, les groupes de presse élaborent tous des stratégies multimédia. Basé à Zurich, le groupe Ringier a lancé le 8 septembre « Cash daily », un quotidien gratuit centré sur l’économie.
«Plus qu’un gratuit, c’est un produit multimédia qui offre des podcasts audio ou vidéo d’informations financières depuis le site web de l’hebdomadaire Cash et qui fournit des informations actualisées», souligne Bruno Giussani qui va bientôt rejoindre le groupe zurichois.
En Suisse romande, Ringier a lancé une série de blogs animés par des journalistes et des personnalités.
La brèche du gratuit
L’éditeur zurichois s’est également engouffré dans la brèche du gratuit avec « 20 Minuten » et sa version francophone « 20 minutes ». Des quotidiens qui jouent à fond la complémentarité avec leur site web.
De son côté, Edipresse – le 2ème plus grand groupe de presse suisse – a conclu une série d’accords avec des télévisions régionales regroupée au sein de Vaud TV et les radios locales de Rouge FM.
Le groupe vaudois est également entré dans le capital de Virtual Network, un opérateur web qui a créé, entre autres, la plateforme Romandie.com. Avec son gratuit « Le Matin bleu », l’éditeur romand a également lancé une plateforme de blogs.
Une offensive tardive
Echaudés par le crash des valeurs technologiques en 2000 et 2001, les deux groupes réinvestissent aujourd’hui le web. «Mais c’est déjà tard. Une bonne partie de la publicité et des petites annonces ont déjà passé aux mains de Google », remarque Bruno Giussani.
L’objectif des groupes de presse est bien sûr de s’adapter à l’évolution des technologies de l’information et aux attentes de leur lectorat. Mais il s’agit également de contrecarrer la baisse des revenus publicitaires.
«Au sein du groupe Edipresse, les lecteurs ne sont pas en forte diminution. Nous en gagnons même avec notre journal gratuit et les magazines. C’est bien la publicité qui est en baisse dans la presse écrite. Son marché est de plus en plus éclaté », précise Christophe Rasch.
De multiples sources de revenus
Comme le souligne Philippe Mottaz, directeur de l’entreprise multimédia anyscreen, l’internaute est plutôt méfiant à l’égard de la pub, tout en étant habitué à disposer gratuitement des ressources du web.
Cet ensemble de facteurs explique pourquoi les profits sur le Net apparaissent comme incertains pour les éditeurs de presse.
«Il faut donc imaginer de multiples sources de revenus, tout en réinventant le métier de journaliste», résume pour sa part Bruno Giussani. Pour illustrer son propos, il cite le chroniqueur de la Silicon Valley Dan Gillmor: «Les lecteurs en savent plus que les journalistes.»
Une participation émergente
Selon lui, la multiplication des blogs, des wikis et autres sites de partages de liens, de photos et de vidéo (flickr, YouTube) couplés à des agrégateurs de contenu (netvibes) crée un écosystème informationnel d’un type nouveau.
Et Bruno Giussani de pronostiquer: «Nous allons vers une information développée en commun. Aux Etats-Unis, ça marche déjà très bien au niveau local.»
Un point de vue partagé par Philippe Mottaz, qui ajoute toutefois un bémol. «Il ne faut pas surévaluer la capacité à participer des internautes. Elle varie fortement d’une culture à l’autre et elle dépend aussi du facteur générationnel. Dans le monde de l’Internet, il y a les natifs et les immigrés (ceux qui l’ont découvert à l’âge adulte). Or, les produits et le modèle économique du média Internet seront inventés par les natifs.»
swissinfo, Frédéric Burnand à Genève
D’avril à septembre 2005, 70,1% des personnes de 14 ans et plus interrogées en Suisse avaient utilisé Internet au moins une fois au cours des six derniers mois. Elles font ainsi partie du cercle large des utilisateurs.
Pendant la même période, environ 44,7% des personnes interrogées utilisaient Internet tous les jours ou presque et 12,6% plusieurs fois par semaine; ces deux groupes forment le cercle restreint des utilisateurs (CRU).
L’utilisation de l’Internet a ainsi fortement augmenté ces dernières années et la croissance se poursuit, bien qu’à un rythme qui se ralentit. Alors qu’en 1997, seulement 7% de la population avait recours au «réseau des réseaux» de façon régulière (CRU), cette part se situait à 55,6% en mars 2005 et à 57% en septembre 2005.
Tandis que la pénétration quotidienne d’Internet était à peine de 5% en 1997, cette valeur était de 48,6% en mars 2005. Cela signifie concrètement que près d’une personne sur deux, âgée de plus de 14 ans, utilise l’Internet chaque jour.
(source : Office fédéral de la statistique)
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