La souffrance et la mort s’exposent à vif à Winterthour
Le Fotomuseum de Winterthour poursuit son exploration de l'image des corps, bien plus ravagés que magnifiés. L'intention du musée ravive le classique questionnement: faut-il et peut-on tout montrer? Ames sensibles s'abstenir...
Disons-le d’emblée: il ne faut pas aller voir la nouvelle exposition du Fotomuseum de Winterthour en famille, et les enfants les plus grands devraient être accompagnés.
Le thème retenu pour poursuivre la réflexion sur le corps «sexualisé» présentée en 2008 est un effet un voyage parfois très difficile au cœur des possibles déchéances guettant le corps humain, que la cause en soit naturelle, accidentelle ou meurtrière.
Mais même le désir et la sexualité, objets de la première exposition, étaient vus sous leur parfois côté sombre (l’exposition se nommait Darkside I). Il n’est dès lors pas étonnant que ce Darkside II – Pouvoir photographique et violence photographiée, violence, maladie et mort, dans son intitulé complet, aille encore plus loin dans la noirceur.
Dialectique
Dans les deux cas, le très dialectique directeur du musée, Urs Stahel, commissaire d’exposition, applique une grille de réflexion semblable: avec la sexualité, il cherchait à montrer que la photographie capte autant qu’elle suscite la jouissance des corps.
Dans le cas du corps déchu, il pose la question ainsi: la violence est, depuis tout temps, objet de représentation, mais dans quelle mesure la photographie déclenche-t-elle elle-même la violence?
Pour Urs Stahel, la violence attire les images et les images attirent la violence, mais la représentation, qui cherche à saisir l’horreur, peut consoler. Certaines images de son exposition restent toutefois plus perturbantes que rassurantes…
Urs Stahel a construit un parcours qui part du corps intact et qui finit par sa disparition, avec, in fine, la question du «que reste-t-il?» «De l’évidence du soi à la destruction, les frontières se brouillent entre corps transformé, corps opéré, corps en tant que marque», expliquait le responsable lors de la présentation de l’exposition aux médias.
Descente aux enfers
Dix chapitres ponctuent cette sorte de descente aux enfers. Ils se nomment par exemple Exposé, Image de soi, intrusion, destruction, Corps blessés, dociles et monstrueux ou Guerre: dévastation et annihilation.
Les titres sont déjà des programmes. Les noms de Nan Goldin, Cindy Sherman, Nobuyoshi Araki, Larry Clark, Andres Serrano (parmi une centaine d’auteurs) ont évidemment toute leur place ici.
Mais la violence est présente à toutes les étapes du corps «intact», y compris la première où les boxeurs photographiés par Ernst Haas laissent deviner les coups dans la vitesse des mouvements, où l’on ne sait pas si les corps enlacés d’Antoine d’Agata font l’amour ou subissent un viol…
Les «cavernes», comme l’on pourrait appeler les petites salles de projections vidéos, ne sont pas les moins éprouvantes pour le spectateur. Dans l’une, on voit l’humiliation-torture des prisonniers d’Abou Ghraïb, en face les loisirs d’autres soldats en Afghanistan.
Des icônes
La légèreté et l’insouciance des seconds suscitent un insupportable contraste. Sur un troisième écran, des soldats d’un pays inconnu d’Amérique du sud tirent depuis un hélicoptère sur des personnes courant nues dans des champs.
Dans cette débauche d’images traumatisées ou traumatisantes, certains clichés devenus icônes (la petite fille de Nick Ut courant devant les explosions au napalm de la guerre du Vietnam, la mère baignant, devant l’objectif de William Eugene Smith, sa fille lourdement handicapée par le mercure à Minamata) permettent de souffler un peu, non parce qu’elles seraient moins «terribles», mais parce qu’elles font déjà partie de la mémoire collective.
De même, les magnifiques corps morts mais reposant comme s’ils dormaient d’Elizabeth Heyert (The travelers project) ont une «efficacité» bien plus redoutable en terme de réflexion sur la mort.
Habillés, éclairés, mis en scène, les mains dans les poches pour certains d’entre eux, ces corps arrachés à la vie imprègnent davantage les rétines que les éclats de sang et de cicatrices…
Ariane Gigon, swissinfo.ch à Winterthour
Darkside II – Pouvoir photographique et violence photographiée, violence, maladie et mort est le deuxième volet d’une réflexion sur la représentation des corps.
Le premier volet, Darkside I) était sous-titrée concupiscence photographie et sexualité photographiée.
En dix étapes, l’exposition actuelle montre les étapes menant d’un corps «intact» au corps mort, en passant par de nombreuses déchéances possibles, naturelles ou accidentelles.
L’exposition se veut une réponse à la question «la violence attire la photographie, mais la suscite-t-elle également?»
Une centaine de photographes sont présents, parmi lesquels Nan Goldin, Cindy Sherman, Nobuyoshi Araki, Larry Clark, Andres Serrano, Nick Ut, Frank Capa, Elizabeth Heyert.
L’exposition est à voir jusqu’au 15 novembre.
Un symposium est organisé dans le cadre de l’exposition, Trop brutal? Seulement beau? Les représentations de la violence et de la beauté dans la photographie, le 21 septembre, avec Oliviero Toscani et Elisabeth Lebovici, entre autres. Dans la limite des places disponibles.
Le Fotomuseum de Winterthour a été créé en 1993.
Il jouxte la Fondation suisse pour la photographie (Fotostiftung Schweiz), créée en 1971 et logée au Musée des Beaux-Arts de Zurich jusqu’en 2003.
Depuis 2003, les deux entités forment le Centre pour la photographie.
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